À bien y penser

Quelle folie de tuer un jardin!

C’est l’histoire d’un parc urbain de Montréal, tout petit, niché au pied des immeubles du centre-ville, sans autre prétention qu’offrir un répit ombragé. Un parc pas encore mature et pourtant sottement condamné.

Photo: @alex_kay_realestate

Il y avait longtemps que je n’avais pas traversé le Jardin Domtar. Je l’ai pourtant beaucoup fréquenté à l’époque où je travaillais au Devoir, à son ancienne adresse de la rue de Bleury. Tout le voisinage du petit parc en faisait – en fait encore – autant.

Mettez au cœur d’une ville un endroit joliment aménagé pour que les travailleurs des alentours puissent y manger leur lunch en plein-air; ajoutez des arbres, des fleurs, de la verdure, mais aussi du bois, des pierres et quelques sculptures pour attirer les flâneurs; réservez une aire de jeux pour les enfants de la garderie qui loge tout à côté; et bingo!, vous aurez un endroit qui se fond si naturellement dans la trame urbaine qu’il semble y avoir de tout temps appartenu.

On appelle ça une réussite.

Cette réussite est en fait un cadeau. En 2000, Domtar avait décidé d’acheter le terrain de stationnement municipal jouxtant son immeuble du centre-ville montréalais dans le but précis d’en faire un parc. L’entreprise entendait ainsi faire valoir sa conception de l’environnement, centrée autour de la forêt et associée à l’importance de verdir la ville. Le Jardin Domtar fut inauguré en 2002 et dès l’année suivante, deux prix étaient remis à l’entreprise montréalaise WAA qui l’avait si intelligemment conçu.

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J’ai souvenir de cette naissance et j’ai immédiatement applaudi au concept. Reste qu’à l’époque, les arbres – chênes, érables, bouleaux, frênes, peupliers – étaient bien jeunes et la végétation s’étalait timidement, en retrait des allées de pierres. La patience serait de mise. Chaque année pourtant, soigneusement entretenu par Domtar, le jardin prenait de la vigueur et de plus en plus de gens trouvaient refuge sous l’ombre des branches qui s’étiraient.

C’est ainsi que peu à peu, l’endroit est devenu indispensable, un poumon, un plaisir, un acquis.

J’ai moins l’occasion maintenant de flâner au centre-ville : j’y vais par affaires ou pour des courses, ne jetant qu’un œil lorsque le bus ou la voiture passent devant le joli jardin. Mais il y a quelques jours, le hasard des pas m’a fait m’y retrouver.

Wow! Comme il avait grandi, comme il avait embelli! Adieu chicots, bonjour arbres solides qui entremêlent leur feuillage vert tendre du printemps. Au sol, des arbustes, des plantes dont je ne connaîtrai jamais le nom (hélas, je ne sais qu’admirer la nature, pas en tirer des leçons!). Et tout ça débordait sur les allées, les bancs de bois, l’aménagement de pierres… Débordait de vie quoi! Avec de la vraie vie dedans : plein de gens venus profiter de cet oasis de verdure en plein soleil du midi. Comme un sourire dans la ville.

… Et je me suis demandé comment quelqu’un, quelque part, chez Domtar avait pu décider de signer l’arrêt de mort de ce parc afin de mieux y loger cette chose si rare (!) au centre-ville : un immeuble de 36 étages…

La nouvelle avait créé un choc quand elle a été révélée par les médias l’été dernier. Depuis, une pétition a été lancée pour sauver le jardin, d’autant qu’il se raconte qu’en 2000, Montréal n’aurait pas cédé ainsi son terrain si ç’avait été pour un autre usage qu’un parc.

Mais vous connaissez autant que moi le faible poids des foules face au pouvoir de l’argent – surtout quand les affaires se mijotent depuis longtemps. Or il semblerait que c’est depuis 2014 que Domtar veut se débarrasser de son jardin. Et pendant que des citoyens s’agitaient, la vente du terrain à la firme Canvar fut tout bonnement conclue en décembre dernier. Pour 14 millions $, voyez l’aubaine, l’avenir appartient désormais à l’hôtel, aux commerces et aux condos qui s’érigeront sur les lieux. Oui, exactement ce que l’on trouve déjà à profusion dans les édifices voisins.

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Ah, c’est sûr, il y a un plan B! L’administration montréalaise n’ayant ni le pouvoir légal (l’emplacement n’a jamais été zoné « parc »), ni l’argent pour sauver le Jardin Domtar, elle a maintenant le projet de transformer en parc le terrain de stationnement qui est juste en face. (Permettez ici le sourire ironique : il y a dix ans, un des jolis pommetiers offerts par la ville de Shanghaï et qui entourent ce stationnement avait été coupé afin de faire place à une roulotte logeant le bureau des ventes pour un immeuble de condos dont on planifiait la construction dans le coin… Oui, le mot « condo » est un sésame qui ouvre la porte à tous les abus.)

Le nouveau projet de parc, donc…. Sitôt annoncé, sitôt contesté. Le Musée McCord dit que l’emplacement lui avait été promis et grondait fort la semaine dernière quand l’annonce a été faite. Et même sans contestation, l’aménagement du nouveau parc va-t-il vraiment coûter moins de 14 millions $, somme que Montréal disait ne pas avoir pour le Jardin Domtar? Et même si on oublie l’argent, nous voilà reparti à zéro : le temps que ça prendra pour réfléchir, décider, aménager; puis le temps des chicots d’arbre et de la végétation timide; puis les années à attendre pour que tout s’épanouisse…

Alors que juste à côté, sorti de sa jeunesse et maintenant bien enraciné, il y a un jardin qui, traversant son dernier été, s’apprête à être massacré. C’est tellement bête. Mais la bêtise est si souvent le plan A quand il s’agit de gérer l’espace, l’urbanisme et la beauté au Québec.

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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