À bien y penser

Réussite scolaire: l’école est-elle assez importante pour nous et nos enfants?

Bon, on vient encore de tomber en bas de notre chaise, choqués de l’écart entre le Québec et l’Ontario, et entre les garçons et les filles, en matière de décrochage. Bienvenue au royaume du déjà-vu!

Photo: iStock.com/monkeybusinessimages

Le rapport Décrochage scolaire au Québec, publié ces derniers jours par l’Institut du Québec, groupe de recherche issu du Conference Board et de HEC Montréal, a fait grandement jaser. Le Québec se retrouve, et de loin, bon dernier de classe au Canada.

Rien de nouveau sous le soleil, des tas d’études au fil des décennies n’ont cessé de tirer le même constat. Mais on fait mine chaque fois de le redécouvrir, en s’interrogeant et en poussant les hauts cris. Ça ne durera pas : c’est une constante de notre histoire. Et c’est sur celle-ci qu’il faut d’abord s’arrêter si on veut comprendre la profondeur du problème éducatif au Québec.

Il faut même remonter jusqu’au milieu du 19e siècle. Pour le monde occidental, l’heure était venue de mettre en place des systèmes scolaires publics et de rendre l’école obligatoire. Ce sera fait en 1842 en Suède; en 1852 dans un premier État américain, le Massachusetts; en 1880 en Angleterre; en 1882 en France, etc.

À lire aussi: Tous diplômés en 2030, mais en ayant appris quoi?

Au Canada, l’Ontario sera la première à imposer la fréquentation scolaire. En 1871, elle obligera les enfants de 7 à 12 ans à aller à l’école quatre mois par année. Au fil du temps, l’obligation couvrira de plus en plus de jeunes – le dernier changement ayant été fait aussi récemment qu’en 2003 pour l’étendre jusqu’à 18 ans.

En 1873, c’est au tour de la Colombie-Britannique de rendre l’école obligatoire pour les jeunes de 7 à 14 ans, suivant certaines modalités. L’Île-du-Prince-Édouard y arrive en 1877, la Nouvelle-Écosse suit en 1883… En fait, en 1910, l’école sera devenue obligatoire dans toutes les provinces… sauf au Québec.

Il y avait pourtant eu ici une tentative en 1892… à cause d’une comparaison avec l’Ontario (oui, déjà!) : le recensement avait permis de constater que le Québec comptait 30% d’illettrés contre 7,5% dans la province voisine. Choc! Mais le gouvernement québécois rejettera finalement l’idée, tout comme il le fera en 1901, en 1912…

L’ironie, c’est qu’en 1868, le Québec avait créé le premier ministère de l’Instruction publique au Canada. Mais face à l’opposition farouche du clergé, il fut aboli dès 1875. Envoyer ses enfants à l’école regarde strictement les familles, pas l’État, clamait l’Église. En fait, celle-ci voulait garder la main haute sur l’éducation et aucun chiffre, aucune statistique n’allait la faire bouger.

Pour donner la pleine mesure de cette opposition, il faut savoir qu’en 1930, le pape lui-même avait imposé la fréquentation scolaire des jeunes de 6 à 14 ans dans la cité-État qu’est le Vatican. Ici, cela ne changea rien : le Québec était donc plus catholique que le pape, diront les historiens!

Mais en 1943, enfin, grâce au gouvernement libéral d’Adélard Godbout, la fréquentation scolaire obligatoire jusqu’à 14 ans est adoptée. Il faudra néanmoins attendre encore vingt ans, en 1964, pour que le Québec retrouve un ministère de l’Éducation et établisse un véritable réseau d’enseignement public, avec écoles secondaires, cégeps et universités accessibles. C’est là un haut fait de la Révolution tranquille, mais qui ne faisait que combler un retard indécent! J’ajoute encore que ce n’est qu’en 1988 que la fréquentation deviendra obligatoire jusqu’à 16 ans.

Nous sommes donc issus d’une société où, pendant 100 ans, l’État a officiellement décidé de se passer de l’école. L’éducation, c’était pour l’élite des collèges classiques et le gouvernement n’en voyait pas la nécessité pour le peuple (« ce serait une trahison que d’instruire les nôtres », dira même dans les années 1950 Antoine Rivard, ministre du gouvernement de Maurice Duplessis et lui-même assez instruit pour devenir juge!).

À lire aussi: Ils ont fondé leur école

Pour plusieurs familles francophones, l’école était d’ailleurs un embêtement. Plus moyen de tout arrêter à 11 ou 12 ans pour aller aider aux champs ou prendre le chemin de l’usine et rapporter de l’argent. Ce temps-là est encore assez proche pour que les plus vieux s’en souviennent. Surtout, il a duré tellement longtemps qu’il a laissé des traces dans les mentalités.

On se méfie toujours de l’école aujourd’hui. À preuve, la désertion de l’école publique au secondaire qui n’achale guère les élus, les intellectuels, les dirigeants en tout genre… (ils envoient leurs enfants au privé). À preuve, la création de « qualifications » au secondaire, voie de garage qu’on noie avec le véritable diplôme pour faire gonfler les taux de réussite. À preuve, nos plus grands modèles de succès, Guy Laliberté et Céline Dion, sont des décrocheurs.

À preuve surtout, c’est qu’il est toujours possible au Québec d’obtenir un emploi sans diplôme, particulièrement en région. Notre économie de PME s’y prête très bien et notre inconscient collectif, façonné par le passé, n’est pas rebuté par cette possibilité, au contraire!

Or, il est plus facile pour un garçon sans diplôme de se trouver un job correctement payé que ça ne l’est pour une fille. C’est une des raisons qui explique l’écart de 14% entre les garçons et les filles en matière de décrochage.

Bien des commentateurs ont plutôt affirmé que l’école n’est pas adaptée aux garçons. Il faudrait alors nous dire pourquoi une telle différence ne se voit qu’au Québec! Dans les autres provinces, elle se situe entre 1% et 7%, et ce n’est pas parce que le programme scolaire varie selon le sexe.

Mieux encore, au Québec même, on constate que du côté du réseau public anglophone, 70% des jeunes garçons obtiendront un diplôme du secondaire en cinq ans. Du côté du réseau public francophone, c’est seulement… 49,1%. Même pas la moitié! La faute au système scolaire, vraiment?

On nous dit qu’il y a quand même de quoi se consoler : en étirant le secondaire sur sept ans, 72% des garçons et 81% des filles du réseau public obtiendront un diplôme. En plus, le Québec est le champion du « raccrochage ». Mais pour moi ces arguments témoignent encore de notre légèreté collective! Et c’est elle qui est à changer.

Il faudrait trouver l’école assez importante pour en hausser la fréquentation obligatoire jusqu’à 18 ans. Pour arrêter de remplir les classes de cas-problèmes qui alourdissent la tâche des profs et le climat pour apprendre. Pour décourager les employeurs (ces grands oubliés alors qu’ils ont leur responsabilité dans l’affaire!) d’embaucher des jeunes sans diplôme. Et pour ne plus lancer des objectifs utopiques de diplomation : 85% des jeunes d’ici 2030 lançait l’été dernier le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx en présentant sa Politique de la réussite éducative. Encore de la poudre aux yeux.

Or cesser de s’aveugler, ce serait enfin prendre le défi au sérieux.

À lire aussi: L’école n’est pas comme l’imaginent les ministres

***

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.