Société

Deux Québécoises à l’UNESCO

À Paris, Élaine Ayotte et Line Beauchamp portent respectivement les couleurs du Canada et du Québec à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Elles travaillent de concert à promouvoir le dialogue entre les cultures. Rencontres.

Photo: Hélène de Billy

Menue, bien coiffée, les ongles impeccables, Élaine Ayotte m’accueille dans son appartement parisien alors que la tour Eiffel, derrière son immeuble, est exceptionnellement éteinte ce soir-là. Nous sommes le 15 novembre 2015. L’avant-veille, la capitale française a été secouée par les attentats les plus meurtriers de l’histoire du pays depuis la Seconde Guerre mondiale. « Face à un terrorisme qui s’en prend aux valeurs qui nous sont les plus chères, il faut continuer plus que jamais à travailler pour la construction de la paix », dit la diplomate en poste depuis bientôt un an.

Élaine Ayotte s’est fait connaître comme journaliste et chef d’antenne à TVA et à Télévision Quatre-Saisons. Elle a mené des rencontres et des entrevues mémorables, notamment avec l’ex-président américain Bill Clinton et le généticien et philosophe français Albert Jacquard.

Après avoir animé des émissions grand public à Radio-Canada, elle fait le saut en politique. Élue conseillère municipale sous la bannière de Vision Montréal en 2009, elle est nommée responsable de la culture, du patrimoine et du design au comité exécutif trois ans plus tard. « C’est une rassembleuse, dit son ancien collègue Jean-Robert Choquet, directeur du Service de la culture à la Ville de Montréal. Quand elle est habitée par un sujet, elle devient très convaincante. »

En juin 2013, Élaine Ayotte est mandatée par la Commission Culture de l’organisation internationale Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) pour prononcer une allocution au siège de l’ONU, à New York. Présent dans plus de 150 pays, l’organisme lui a demandé de livrer un plaidoyer sur la culture et son rôle dans le développement durable. « Nous devions interpeller l’ONU, dit Élaine Ayotte, afin qu’elle inscrive la culture dans ses objectifs pour le millénaire. » Jean-Robert Choquet était à New York lors de cette allocution : « Élaine se présente bien. Et puis sa simplicité est remarquable. Elle a beaucoup impressionné l’auditoire. »

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Avec ce vibrant discours, elle se fait remarquer entre autres par Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO. Une prestation qui n’est pas étrangère à sa nomination. Élaine Ayotte voue une grande admiration à la politicienne bulgare qui est la première femme à occuper ce poste.

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À l’université déjà, Élaine Ayotte envisageait une carrière à l’international. « J’en suis à ma quatrième vie de chat », dit-elle en référence à son goût marqué pour le changement. Deuxième femme à diriger la Délégation canadienne depuis 1945, la diplomate est attentive aux questions d’égalité entre les sexes et participe à la lutte contre le pillage de sites et de biens culturels. Avec le saccage de Palmyre, en Syrie, perpétré par l’État islamique, « on a atteint un sommet dans la barbarie », s’indigne-t-elle en sortant de sa réserve habituelle.

Élaine Ayotte n’est pas seulement chargée de défendre les politiques d’Ottawa auprès de la prestigieuse institution internationale. L’ambassadrice cumule également les fonctions de chef de mission et veille à la gestion et à la sécurité de son équipe. « J’ai reçu une formation sur la procédure à suivre pour évacuer nos bureaux en cas d’attaque terroriste. Espérons que je n’aie jamais à m’en servir. »

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Quebec Education Minister Line Beauchamp announces her resignation Monday, May 14, 2012 in Quebec City. Beauchamp, a former Liberal cabinet minister under Jean Charest, has snagged a prime foreign posting with the province.THE CANADIAN PRESS/Jacques Boissinot

Line Beauchamp | Photo: Jacques Boissinot/La Presse Canadienne

Line Beauchamp : la culture avec un grand C

Nous sommes dans un restaurant de la place Saint-Sulpice, trois jours après les attentats de novembre 2015. Il y fait bon malgré l’état d’urgence proclamé dans l’Île-de-France par le président Hollande. Je lui demande si elle perçoit son exil dans la capitale française comme un baume. Elle me corrige : « Ce n’est pas un exil, pas du tout. Je reste au service du Québec et comme je dois garder le pouls, je m’abreuve davantage aux médias québécois qu’aux médias français. Mais je dois admettre que je suis très heureuse d’être ici. »

C’est au terme d’une carrière politique bien remplie, voire mouvementée, que Line Beauchamp arrive à Paris. Ministre de la Culture, puis de l’Environnement, elle est passée à l’Éducation en 2010 et y a terminé sa course en démissionnant de ses fonctions politiques lors du Printemps érable, en 2012. « L’atmosphère a été “mouvementée” pendant quelques mois, me corrige-t-elle de nouveau. Sur une période de 15 ans, dont 9 comme ministre, on ne peut pas dire que ce soit énorme. »

La politique active ne lui inspire aucune nostalgie. « J’ai donné, dit-elle. Avoir un titre procure une satisfaction, au début. Mais avec le temps, je vous le jure, ça ne joue plus du tout. »

Et la présence du Québec à l’UNESCO? « C’est une situation unique, reconnaît Line Beauchamp. Néanmoins, en raison de notre spécificité, de notre usage de la langue française et de notre culture particulière, nous apportons un point de vue différent [à la table des nations]. » L’ancienne ministre libérale est la représentante du Québec au sein de la Délégation canadienne. Elle participe aux débats, invite des experts, collabore aux tables rondes.

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La diversité culturelle

Les mandats de l’UNESCO ne sont « pas faciles à comprendre pour le citoyen québécois ordinaire », concède-t-elle. Mais, depuis sa nomination, elle a assisté à suffisamment de colloques sur la santé des femmes, de conférences sur les arts de la scène africains, sur les modes d’intervention en zone côtière et autres sujets, pour pouvoir affirmer que « si l’UNESCO n’existait pas, il faudrait l’inventer ».

Elle cite l’exemple de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée par l’UNESCO en 2005 et ratifiée par 130 États parties, dont le Canada. « On ne le réalise pas, mais la télévision, la musique et les livres que l’on consomme quotidiennement sont assujettis à des politiques culturelles adoptées à la suite de recommandations de l’UNESCO. »

Le Canada a été l’un des instigateurs de cette convention. Après 10 ans, il faut à présent adapter la Convention au passage au numérique. « Il y a 30 ans avec l’arrivée de CNN, dit-elle, on craignait une hégémonie américaine au niveau de l’information. Ça ne s’est pas produit entre autres à cause de l’apparition, ailleurs dans le monde, de plusieurs chaînes d’information continue, comme TV5. »

Malgré son agenda chargé, Line Beauchamp profite de ce temps à l’étranger pour se ressourcer. « Une première pour moi », souligne-t-elle. Le week-end prochain, elle compte visiter les cimetières où reposent les soldats tués durant le Débarquement de Normandie. Les petites pierres tombales blanches sous lesquelles dorment ces milliers de jeunes qui se sont battus pour la liberté sont un symbole culturel. « Et ça me touche beaucoup », conclut-elle.

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Qu’est-ce que l’UNESCO ?

Surnommée le temple de la diversité culturelle, l’organisation culturelle des Nations unies a fêté son 70anniversaire en 2015. Sa mission est de contribuer au maintien et à l’édification de la paix par l’éducation, la communication et les sciences. L’institution regroupe 197 délégations (une pour chaque État membre) et son siège social se trouve à Paris. Chaque année, experts et intellectuels y défilent pour proposer des pistes de réflexion et d’action en vue de prévenir des conflits. « C’est ici que sont discutés la plupart des problèmes qui affligent l’humanité », souligne Élaine Ayotte.

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