Chroniques

Marie-France Bazzo : la bienveillance a ses limites

Lorsque la bienveillance est érigée en vertu cardinale, les idées novatrices s’éteignent et la société se retrouve au point mort. Pourtant, du choc des idées et de la remise en question de certaines valeurs émerge souvent un monde plus juste, selon Marie-France Bazzo.

Depuis trois ou quatre ans, y compris tout récemment dans des publicités du gouvernement, la « bienveillance » est devenue le sésame universel, la vertu cardinale, le mot doudou, le plus grand concentré de belles valeurs. Ça dégouline de bons sentiments. Dans le discours public, la bienveillance a même supplanté la résilience, ce qui n’est pas rien.

La bienveillance est une disposition favorable à l’égard d’autrui, avec l’absence naturelle de jugement négatif et l’inclination à l’indulgence. Le bienveillant porte sur tout un regard aimant et compréhensif. C’est la définition stricte.

Force est toutefois de constater que la bienveillance a muté et est devenue synonyme d’adhésion : « J’accueille ta cause, j’embrasse ta position. » C’est un chocolat chaud intellectuel, une posture idéologique tout confort qui interdit le jugement.

Qu’on me comprenne bien. Il ne s’agit pas ici de rejeter la bonté, qui fait de l’humain ce qu’il est. Mais d’observer comment une disposition d’esprit généreuse s’est mise à dériver vers, paradoxalement… le jugement. Car notre époque est bien moralisatrice.

Être dans la bienveillance, c’est se garder de critiquer les questions de fond, accepter l’Autre dans sa troublante différence. Pourtant, plusieurs adeptes de la bienveillance font dans le jugement à temps plein : on écorche les vieux, les jeunes, la politique, Montréal, les régions, tout y passe, le plus souvent sur le mode passif agressif. C’est louche !

La bienveillance est la plus voyante et scintillante preuve extérieure d’universalisme. C’est la tolérance absolue, une bande-annonce pour le citoyen repentant et ouvert. La valeur de tout s’équivalant, tout est mis sur le même pied d’égalité.

Or, la culture au sens large et la vie des sociétés progressent avec la prise de conscience des inégalités. Collectivement, des choses bougent et des injustices se corrigent parce que le constat que tout ne se vaut pas est posé.

Un jugement s’exerce, des batailles sont menées, des valeurs supposément immuables sont remises en cause, critiquées, et des conditions de vie s’améliorent. Sous le règne de la bienveillance omniprésente et du gnangnan actuel, toutes les valeurs, toutes les idées se valent, noyées dans une soupe lénifiante. Faire preuve de jugement n’est pourtant pas un handicap, ni une insulte…

Oui à la bonté. Oui à la nécessaire indulgence. Faisons attention aux autres. Mais n’aplanissons pas toutes les différences. Gare à la bienveillance fourre-tout. C’est une posture d’esprit à la mode, et non une qualité intemporelle de l’âme.

 

Productrice et animatrice télé, Marie-France Bazzo signe une chronique dans La Presse et travaille en ce moment sur un essai.

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