Chroniques

S’attaquer au gaspillage ou aux déchets? Une réflexion écolo de Florence-Léa Siry

Le mouvement «zéro déchet» est en vogue, mais peut être difficile à adopter. Et si on commençait par réinventer nos résidus alimentaires?

Photo: Marjorie Guindon

J’ai longtemps refusé de dire que j’adhérais au mode de vie zéro déchet. Je préférais affir­mer que je faisais du zéro gas­pillage. À mes yeux, c’étaient deux concepts bien différents. Le second débute avec la revalorisation des «déchets alimentaires» et la créativité de ­réinventer les surplus. Le zéro déchet? Cela me semblait plus radical. Je croyais alors qu’il fallait nécessairement bannir tout ce qui était un détritus potentiel. Des emballages jusqu’aux cotons-tiges et au papier hygiénique – fallait-il vraiment passer au bidet?

J’ai développé une passion pour la cuisine sans gaspillage alors que j’étais cantinière sur des plateaux de tournage. Les budgets diminuant sans cesse, je n’avais pas d’autres solutions. C’est en apprêtant les épluchures des fruits et des légumes et en prenant plaisir à donner une, deux ou trois vies aux surplus que je me suis découvert un talent de cuisinière. J’ai surfé sur ce succès quelques années dans le plus grand anonymat, jusqu’au jour où un éditeur a entendu parler de moi et m’a proposé d’écrire mon premier livre de recettes.

C’était en 2014. Les expressions «zéro gaspillage» et «zéro déchet» n’avaient pas encore envahi le vocabulaire courant. Je disais que je «réduisais les pertes alimentaires» et que je pratiquais le «développement durable»…

Par la suite, le mouvement zéro déchet s’est rapidement fait connaître grâce à Béa Johnson, la papesse de ce mode de vie spartiate. À l’époque, elle constituait le seul modèle populaire et respecté. Les autres adeptes – souvent catalogués comme hippies – étaient dénigrés. J’en sais quelque chose: ma mère, militante en environnement depuis plus de 30 ans, adoptait des pratiques semblables et était perçue comme une personne malpropre et grippe-sou. J’ai longtemps eu honte de ses convictions et de ses mœurs écologiques! Pour­tant, la ligne entre Béa Johnson et ma mère est mince. La première, issue de la banlieue bourgeoise de San Francisco, la deuxième, anonyme, vivant en autarcie dans sa fermette des Laurentides. Ce qui les différencie réside donc dans leur statut social.

J’étais à la fois inspirée et rebutée par Béa Johnson. C’est pour cette raison que je rejetais l’étiquette du zéro déchet, trop stricte pour moi. J’avais besoin de faire mon épicerie au supermarché en toute liberté. Qu’allaient dire les gens s’ils me voyaient mettre dans mon panier un aliment suremballé?

Je désamorçais toute critique à l’avance. J’avais beau répéter à mes amis: «Je ne fais pas du zéro déchet, j’ai même acheté des vermicelles suremballés!», ils me contredisaient: «Bien sûr que tu en fais! Regarde la façon dont tu consommes, c’est complètement différent de moi. Chaque fois que je jette quelque chose, je pense à toi, car je sais que tu l’aurais converti en quelque chose d’utile.»

Photo: Shutterstock / Igisheva Maria

Aujourd’hui, je ne suis plus du tout gênée de déposer mon sac de vermicelles dans mon panier d’épicerie, car j’offre à son emballage le même sort qu’à mes restes de nourriture: je le revalorise. Si la pellicule plastique va directement au recyclage, je transforme le filet rose en petit sac à fruits et légumes. Même chose avec les filets d’agrumes ou d’oignons. J’évite ainsi d’utiliser des sachets en plastique à usage unique.

J’ai compris que les deux critères les plus importants pour le maintien de mon indice de bonheur sont ma spontanéité et ma flexibilité. À force de tout exclure, je ressentais de plus en plus de frustration. J’achète encore aujourd’hui du tofu, même s’il est emballé, un exemple parmi tant d’autres. Main­tenant que je sais que la créativité est la meilleure arme contre le gaspillage, il m’est plus facile de consommer en pleine conscience et d’assumer mes déchets. C’est un choix personnel, je préférerai toujours une consommation zéro gaspillage à l’élimination du plastique. Je n’ai plus souvenir de la dernière fois où j’ai sorti ma poubelle et je ne sais pas quand celle-ci se retrouvera au chemin. Ce n’est plus important à mes yeux, car, quand un déchet y aboutit, je sais que c’est un dernier recours.

Peut-être le mouvement «zéro déchet» vous intimide-t-il encore? Sachez que vous ne partez pas de zéro. Amener sa tasse au travail ou son sac réutilisable à l’épicerie, nettoyer la maison avec du vinaigre blanc… c’est aussi ça, faire du zéro déchet. L’im­portant, c’est que vous cherchiez à améliorer vos habitudes. Soyez fière de vos efforts.

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Grâce à sa créativité culinaire, Florence-Léa Siry transforme les déchets qu’elle produit. Aujourd’hui, elle anime plus de 100 conférences par année, ainsi que le blogue chicfrigosansfric.com. Ses deux derniers livres de cuisine, 1, 2, 3 vies – Recettes Zéro Gaspi (Éditions Glénat, 2018) et La consommation dont vous êtes le z’héros (Éditions de l’Homme, 2018), sont offerts en librairie.

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