Chroniques

Soie dentaire et ours polaires

Le cerveau humain est-il équipé pour bien comprendre les menaces telles que les changements climatiques?

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Traquer les gras trans. Perfectionner son salut au soleil. Améliorer son temps au 5 kilomètres. Manger bio, local et sans gluten…  Si on ne reste pas jeunes et en santé jusqu’à 104 ans, ce ne sera pas faute d’avoir fait tout ce qu’il faut, bien comme il faut.

On fait tout ça, parce que, dit la science, le cerveau humain est capable d’une époustouflante prouesse : penser à l’avenir, le prédire, le prévoir et nous faire agir en conséquence. C’est pour ça qu’on met des sous dans un REER, qu’on souscrit une assurance au cas où, malchance, le voisin se casserait la figure dans l’entrée, et qu’on se tartine de crème anti-rides. Bravo. C’est quand même pratique, l’intelligence.

Mais pendant qu’on inculque à ses enfants la nécessité de se passer la soie dentaire tous les jours, on ne prête qu’une oreille distraite aux discours annonciateurs d’un péril plus menaçant que la gingivite : celui des changements climatiques. Les scientifiques ont beau multiplier les adjectifs alarmants, on continue à employer la plus grande partie de ses énergies à perdre du poids ou à hésiter entre le yoga et la méditation.

Pourquoi ? demande le génial (et drôle) psychologue Daniel Gilbert, qui dirige un important laboratoire à l’Université Harvard. Après tout, dit-il, c’est par son intelligence que l’espèce humaine, physiquement assez faible, a fini par dominer toutes les autres. En inventant les outils, l’agriculture, la science, la philosophie, l’ordinateur et le bouton à quatre trous. Comment se fait-il alors qu’on agisse si peu pour protéger l’environnement ?

Son hypothèse : le réchauffement climatique est le pire ennemi que nous ayons jamais eu car il lui manque les quatre caractéristiques qui déclenchent les sonnettes d’alarme du cerveau humain.

1  Il n’a pas un visage menaçant. « Mal­heu­reusement, explique le psychologue, le réchauffement climatique ne manifeste pas l’intention claire de nous tuer. Alors on n’y prête pas attention. »

2  Il ne heurte pas notre sens moral et ne nous inspire ni dégoût ni révulsion. Voilà pourquoi l’acquittement de Guy Turcotte peut provoquer des manifs, mais pas la prolifération de véhicules utilitaires sport, pourtant beaucoup plus dangereuse pour notre survie collective.

3  Il menace notre avenir, oui, mais pas notre présent. L’Homo sapiens a derrière lui des centaines de milliers d’années d’expérience dans l’art de détecter un danger immédiat et d’y réagir. Un ours dans le terrain de camping ? Un coup de feu dans le cinéma ? Nous réagissons sur-le-champ. Mais nous n’avons commencé à prévoir des dangers plus lointains ou plus diffus qu’il y a quelques milliers d’années. Conséquence : moins de 10 % de la matière qui bouillonne entre nos oreilles se consacre à l’avenir. Assez pour inventer l’assurance-habitation mais pas assez pour renoncer à la climatisation en juillet.

4  Nous sommes champions pour percevoir les changements rapides. Mais derniers de classe pour détecter la dégradation graduelle de la qualité de l’air ou de l’eau. « Les climatologues affirment que le réchauffement climatique survient beaucoup plus vite qu’ils ne l’avaient prévu, dit Daniel Gilbert. Nous, psychologues, répondons qu’il est beaucoup trop lent. Voilà pourquoi on n’en tient pas vraiment compte. »

Bref, la partie n’est pas égale. Il ne nous reste qu’une solution : devenir une génération de superhéros. Qui, oui, peuvent s’amuser à courir des marathons. Mais qui sont surtout capables de surmonter les limites de leur cerveau et de leur intelligence. Pour que leurs enfants, en plus d’avoir de belles dents, jouissent aussi d’un avenir respirable.

Louise.gendron@chatelaine.rogers.com

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