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Extrait : Michelle Blanc, un genre à part

Le destin fascinant d’une transsexuelle.


Michelle Blanc est aujourd’hui une spécialiste des réseaux sociaux, une sommité du Web reconnue au Québec comme à l’étranger. Elle est aussi devenue une personnalité publique. Elle anime un blogue (www.michelleblanc.com) très lu, publie des livres (le plus récent : LES MÉDIAS SOCIAUX 201 Comment écouter, jaser et interagir sur les médias sociaux), se fait entendre à la radio et se fait voir à la télévision. En 2009, Châtelaine l’a même élue « l’une des 100 femmes qui marquent le Québec, catégorie visionnaire ». Et pourtant…

Il n’y a pas si longtemps, Michelle s’appelait Michel. Né homme le 1er janvier 1961, à Sainte-Foy, près de Québec, Michel Blanc a vécu une enfance en apparence normale. En réalité, il vivait un enfer incompréhensible, écrasé par un mal-être énorme et l’impression que la Nature s’était moquée de lui en se trompant de corps. Incapable d’accepter cette part de sa personnalité qui aime s’habiller et être traitée en femme, Michel, grand et baraqué, entre à l’école militaire, joue au football, devient videur d’un bar de danseuses.
Bref, il mène une existence virile, connaît plusieurs aventures féminines, puis rencontre un soir l’amour, une femme superbe qu’il surnomme Bibitte. Ils sont encore ensemble.

Mais le jour arrive où Michel Blanc ne peut plus se cacher la vérité. Sa vraie nature est d’être une femme. Sinon, à quoi bon vivre? Commence alors une longue, douloureuse et très coûteuse transformation physique pour que vienne au monde, à son tour, Michelle Blanc.

Au moment où s’amorce cet extrait exclusif, Michelle Blanc est encore un homme qui se travestit, qui vit en femme, mais n’en est pas une. Pas encore. Première étape : la féminisation faciale.

Extrait :

Plus approche le jour de la chirurgie faciale, plus l’excitation grandit. Michelle n’a aucune idée de ce que sera son visage ni son look après l’opération, qui devrait durer huit heures. Le chirurgien ne peut s’avancer à prédire les résultats avec exactitude. À quoi donc ressembleront ses yeux, son nez, ses joues, sa bouche, son menton, etc. ? Impossible de visualiser à l’avance le résultat, pas même à l’ordinateur. C’est comme donner un chèque en blanc à son chirurgien. Mais Michelle accepte le risque. Même si Michel Leblanc avait une certaine estime de lui-même et qu’il se considérait comme un homme attrayant à plus d’un point de vue, Michelle Blanc se dit que cette transformation, qui la mettra au diapason avec ce qu’elle vit intérieurement, ne pourra faire d’elle un monstre.

Elle a d’ailleurs pris soin de prendre, peu avant le jour fatidique, des clichés d’elle en homme, pour mieux comparer et apprécier les changements à venir. Ce seront les dernières photos de Michel Leblanc ! On est loin du grand mâle fier de lui qui a dragué la belle Bibitte dans une discothèque du centre-ville de Montréal. Sur l’une de ces photos, encore visible sur son site et prise en pleine dépression, avant l’in­gestion d’hormones, il affiche bien involontairement un air quelque peu égaré et morose. Le rêve semble avoir quitté ses yeux éteints, hier si pétillants. Il est déjà dans cette autre vie dont il ne connaît pas encore toutes les répercussions.

Michelle salue une dernière fois les amis qu’il lui reste, comme s’il s’agissait d’un dernier tour de piste… en tant qu’homme, très certainement. Moment solennel. Elle pas­sera la dernière journée avec sa Bibitte chérie. Pour la pre­mière fois, Bibitte décide de marcher dans la rue avec elle et lui prend la main. Mais Michelle est encore profondé­ment affectée par les regards moqueurs et méprisants des personnes croisées en chemin. Le plus grand mépris vient, semble-t-il, des gens des communautés ethniques, qui découvrent une réalité jusque-là inconnue dans leurs pays d’origine, où prédominent bien souvent machisme et homo­phobie. Lorsqu’ils la dévisagent comme s’il s’agissait du diable en personne, Michelle voudrait disparaître à jamais. À ces moments, Bibitte s’empresse de lui réaffirmer tout son soutien et son amour. Que de souffrance avant de franchir cette porte du non-retour…

Après un dernier rendez-vous avec le Dr Bensimon, qui l’a rassurée sur l’opération du lendemain – « Si vous ne dormez pas bien ce soir, ne vous en faites pas, vous aurez amplement le temps de vous reprendre les nuits suivantes » –, Michelle passera la soirée avec son cousin Claude, qui a promis de l’ac­compagner durant ces moments qui seront empreints d’une grande émotion. Claude Vigneault est sans doute la personne qui l’a le plus aidée, celui qui a le mieux compris la maladie de Michelle. Il ne tarit pas d’éloges à l’endroit de celle qui a su braver les tempêtes pour enfin sortir de la cage identitaire où le destin implacable l’avait confinée, à l’image de ses fiers descendants venus des îles de la Madeleine.

En après-midi, Michelle rencontrera son avocat. Elle veut entreprendre sans délai les démarches en vue de changer de nom. Si changer de prénom est une opération relativement facile et peu coûteuse, il en va autrement du changement de nom de famille et du sexe, procédure beaucoup plus com­ plexe qui doit recevoir l’aval d’un juge. Ces démarches, fort coûteuses, s’échelonneront sur plusieurs années et exigeront une multitude de documents, photos et preuves à l’appui.

Tôt le matin suivant, à la fois craintive et décidée, Michelle se rend à l’hôpital, le Centre métropolitain de chirurgie plas­tique, situé dans l’arrondissement Saint-Laurent, avec une petite valise contenant l’essentiel de sa garde-robe. Après toutes ces tergiversations et hésitations à propos de la marche à suivre, après avoir joué les fanfarons devant les amis en jurant être prête à aller jusqu’au bout, voici enfin le moment de vérité. Elle a une grosse boule dans l’estomac. Il s’agit d’une intervention majeure, où elle demeurera huit heures sous anesthésie. Peut-être même risque-t-elle de trépasser, se répète-t-elle, mais plutôt que d’altérer ses ardeurs, cette menace ravive sa démarche de trancher une fois pour toutes entre les deux sexes. Car en fait, ce n’est là que la première étape de ce qu’il lui faudra endurer pour atteindre le but souhaité.

Le Dr Bensimon l’accueille sans attendre et le personnel se montre des plus affables. On la dirige vers la chambre qu’elle occupera durant les prochaines vingt-quatre heures puis, sitôt terminés les examens d’usage, on l’emmène au bloc opératoire. « Le sort en est jeté », pense-t-elle. Elle se sent soudain bien seule et toute petite pour relever un si grand défi. L’image de sa mère vient la hanter, comme pour l’accompagner jusqu’au bout de sa démarche.

Après l’intervention, Michelle demeurera une journée à l’hôpital. À son réveil, un immense sentiment de bonheur l’envahit : « Je suis encore en vie ! Ça a marché ! Qui l’au­rait cru ? » Le visage couvert de pansements, elle ne sent pas encore les douleurs de la chirurgie. Opération réussie, au dire du médecin. Mais pour l’heure, elle ne peut encore apprécier ces transformations faciales.

Transférée à la maison de convalescence spécialisée pour transsexuelles (l’Asclépiade), qui jouxte l’hôpital, elle y demeurera deux jours de plus. Elle sera la seule Québécoise sur place – les autres provenant des quatre coins de la pla­nète –, pour récupérer après avoir subi la chirurgie de réat­tribution sexuelle (sex reassignment surgery). Cette maison de convalescence est située sur un site magnifique, sur les rives verdoyantes de la rivière des Prairies qui, en cette période de l’année, se donne des airs champêtres à la Renoir. On ne peut demander mieux pour Michelle qui se sent à l’aise au milieu de la nature. Donnez-lui une rivière, quelques arbres, un jardin fleuri, des petits oiseaux, elle refera le monde depuis Adam et Ève et organisera, l’instant d’après, un déjeuner sur l’herbe. Les infirmières et le personnel, triés sur le volet, font preuve d’un grand professionnalisme tout en se montrant des plus attentionnés. Heureusement, la souf­france, due aux nombreuses chirurgies subies sur diverses parties de son visage, est atténuée par de bonnes doses d’analgésiques.

Claude est la personne la plus près de Michelle durant ces journées vertigineuses de l’été 2009 ; avec Bibitte, il a été son principal soutien. Il est à ses côtés à son réveil. Une demi-heure après que Michelle a repris ses esprits, il entre dans sa chambre, sans trop savoir ce qui l’attend. Mais il doit reculer puis se ressaisir avant de s’approcher de nouveau du lit où est allongée Michelle. Il admettra avoir subi tout un choc en apercevant ce visage couvert de sang, d’enflures et de bandages. On aurait dit un extraterrestre kidnappé de son vaisseau spatial et emmené de force dans cet hôpital pour y subir diverses analyses. Aussi conseillera-t-il à Bibitte d’at­tendre quelques jours avant de venir visiter son amour, le temps que son visage désenfle et que les traces de sang aient été complètement lavées. « Tu as vraiment un look de femme battue », lui dira-t-il. Mais Michelle a survécu à cette première intervention, c’est l’essentiel. Elle a eu le courage de franchir cette première étape, on verra ensuite pour le look.

De retour chez elle, une semaine plus tard, Michelle reprendra peu à peu ses activités à partir de son petit bureau, installé à la maison. Dans un premier temps, elle continuera son blogue Femme 2.0 ou le parcours transsexuel, qui, incidem­ment, figurera en 2010 parmi les onze finalistes (sur les 8 300 proposés) aux BOB’s mondiaux (Best of Blogs) ; elle entre­tiendra ses nombreux lecteurs sur l’évolution de sa transfor­mation et de son moral. Ceux-ci s’empresseront de la féli­citer de son courage et de sa détermination.

La voilà maintenant prête à se montrer en public, les cica­trices prenant peu à peu la couleur de sa peau. « C’est normal, tant de personnes ont souffert comme moi et attendent de voir les résultats avant de s’engager sur la même voie que moi. » Elle considère qu’il est de son devoir de s’affirmer sous son nouveau jour, pour faire disparaître les préjugés à l’en­droit des transsexuelles. Elle ira même jusqu’à publier sur son site plusieurs photos prises durant sa convalescence puis d’autres alors que les nombreux pansements ont été enlevés et que les principales cicatrices se sont atténuées. Rien d’of­fensant, cependant, ni d’exhibitionniste. Son visage conti­nuera de se transformer pendant quelques semaines, après que tous les effets de la chirurgie auront disparu.

Globalement, elle est très satisfaite des résultats et n’a que des félicitations pour son chirurgien, qui devra encore se pencher sur son visage, dans les semaines à venir, pour com­pléter le tableau. Car après les multiples interventions aux principaux endroits, son visage est trop enflé, et le Dr Ben­simon ne peut parfaire certains détails, aux paupières et au menton, entre autres. Michelle est tout à fait d’accord avec cette façon de procéder, car elle se considère elle-même comme une perfectionniste et déteste le travail bâclé, de même que les demi-mesures.

 

 

 

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