Le premier livre qu’on a acheté, parce qu’on n’avait pas d’argent. Et le premier qui m’a donné une image romantique du Vietnam, que j’avais connu seulement en guerre. Avec Marguerite Duras, je découvrais mon pays natal sous le soleil. Je la voyais sur le traversier, la robe au vent, amoureuse d’un riche Chinois… Je l’ai lu à 15 ans, l’âge qu’a l’héroïne, avec mon oncle qui m’en expliquait chaque phrase. Et je l’ai appris par cœur. Pour apprendre une langue, c’est la meilleure façon. J’ai dû me sevrer, car j’écrivais comme Duras, je vivais comme Duras.
Au cégep, c’était une lecture imposée. Il s’agit de mon premier livre québécois et de mon premier Anne Hébert. Je ne savais pas que le fou de Bassan était un oiseau, je pensais que les gens étaient fous dans une ville ou un village appelé Bassan. En fait, honnêtement, je n’ai pas vraiment compris l’histoire, même si j’ai lu le roman à plusieurs reprises. La première fois, je pouvais prétendre que c’était une question de langue, parce que c’est une réalité très québécoise, mais après c’est gênant. N’empêche, je l’ai souvent cité.
Le jardin d’acclimatation (1980)
Yves Navarre a gagné le Goncourt pour cette histoire d’un fils de bonne famille française. Pour le guérir de son homosexualité, son père ira jusqu’à le faire lobotomiser. Au Vietnam, cette réalité, officiellement, n’existait pas. J’ai un oncle gai, mais on ne le savait pas à l’époque et lui non plus je pense… C’est lui qui avait acheté le livre, grâce auquel j’ai appris le mot acclimater, important pour une nouvelle arrivante. J’ai appris aussi qu’on pouvait jouer avec les mots, écrire « Je. ». Ou « Je aime ».
La grande fabrique de mots (2009)
Julie Macquart, directrice littéraire de mon roman mãn, m’a envoyé ce livre. Pourtant, la littérature jeunesse, ce n’est pas mon genre. Eh bien, je m’en suis procuré 25 exemplaires, pour les offrir. Dans ce pays imaginé par Agnès de Lestrade, les gens doivent acheter les mots, qui sont fabriqués en usine. Parfois, dans une poubelle, les pauvres trouvent des mots qui ont été jetés, comme philodendron. Ce conte rappelle combien le savoir est précieux. Quand on apprend une langue, chaque nouveau mot est un trésor.
Fragments d’un discours amoureux (1977)
Je trouvais le titre magnifique. J’avais 20 ans quand mon oncle, toujours le même, me l’a fait découvrir. Il venait de lire L’empire des signes, aussi du sémiologue français Roland Barthes. Dans Fragments, j’aimais la composition en petits paragraphes où sont expliqués divers termes : désir, attente, jalousie… Bon, ces mots-là sont communs, mais il y en a d’autres très rares (comme loquèle, employé au 15e siècle). Un livre qui m’a beaucoup enseigné sur l’analyse des sentiments, et même sur la sensualité…