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Marc Séguin : j’écris donc je suis… peintre!

Doigts en or et idées singulières.

Il a des doigts en or et des idées singulières. À New York, ses toiles se vendent
jusqu’à 60 000 $ dans les galeries les plus branchées. Au Québec, il vient de publier un deuxième roman au diapason de son œuvre : très organique.

Marc Séguin, 42 ans, partage sa vie entre un atelier à Brooklyn et une ferme à Hemming­ford, en Montérégie, où il habite avec sa femme et ses quatre enfants. Ce diplômé en beaux-arts de l’Université Concordia manie aussi bien la plume que les pinceaux. La foi du braconnier, son premier roman (2010), une œuvre virile sur fond de chasse et d’amour, a remporté le Prix des collégiens, devant L’énigme du retour de Dany Laferrière. Puis, il y a quelques semaines, Hollywood(Leméac Éditeur) arrivait chez les libraires. Pourquoi ce titre?? «Parce que le héros se raconte des histoires dans lesquelles il se donne le beau rôle, comme au cinéma», a-t-il expliqué à notre journaliste, qui a cassé la croûte avec lui à Montréal.

À l’image de La foi du braconnier, Hollywood est à la fois court, violent et charnel. Pourquoi?
Court, parce que je veux que mon texte soit dense, à l’image de la vie d’aujourd’hui. Violent, parce que je souhaite secouer tous les gens à qui on dit quoi penser à coups de publicité. Charnel, parce que le sexe fait partie de la vie, de ma vie. Mais ce n’est pas vulgaire. Du cul pour du cul, non. Parce que ce n’est pas le sexe qui est important à mes yeux, mais le désir. Cette sensibilité immédiate, cette passion animale qui, sans devenir freudiennes, vont bien au-delà du sexe. Parce que sans désir la vie est plate. C’est le début de la mort. Sans désir, la vie n’a pas le même goût. Le vin, la bouffe et l’amour non plus.

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Vos romans, parsemés de phrases lumineuses et de pensées philosophiques, sont aussi irrévérencieux. Comme mes tableaux, mes livres sont irrévérencieux dans le sens où il y a dedans une volonté personnelle de dénoncer la société de consommation. Ce monde dans lequel on vit et qui cherche à nous anesthésier en nous poussant à aller sans cesse magasiner pour acheter des choses dont on n’a pas toujours besoin. Je suis conscient que j’y participe et cela me dérange, mais, sauf pour assurer la survie de mes proches, je n’emmène jamais mes enfants au centre commercial. Parce que magasiner n’est pas une activité familiale. Enfin, c’est ce que je pense. Mais je suis peut-être dans le champ…

C’est tout de même ironique sortant de la bouche de quelqu’un qui gagne grassement sa vie avec l’art contemporain. L’art contemporain, c’est du capitalisme pur. Il n’y a pas d’encadrement. Pas d’Autorité des marchés financiers. Pas d’ombudsman. La valeur d’une œuvre, c’est le prix qu’elle se vend ce jour-là. C’est complètement aléatoire. Un tableau peut valoir 40?000?$ au printemps, puis 350?000?$ à l’automne, parce qu’un musée, un critique ou un collectionneur s’en est emparé et a créé un buzz autour.

C’est pour créer un buzz que vous avez peint des toiles avec des cendres humaines?
Non. Je l’ai fait pendant environ un an, puis j’ai arrêté parce que je ne voulais pas que cela devienne une gimmick, justement. C’était une parenthèse qui transcendait quelque chose de fort. Le corps, déjà. Et le temps. Au lieu d’avoir une urne funéraire, j’aime bien l’idée que les cendres, qui sont une partie matérielle et physique d’une personne, soient sublimées en autre chose. Je trouve intéressant aussi que la poussière devienne un tableau appelé à être conservé et à s’inscrire dans le temps. C’est un peu comme recycler une âme.

Vous êtes un peintre reconnu. Vous gagnez très bien votre vie. Pourquoi écrivez-vous des livres?
Parce que je connais la portée des mots et qu’ils sont plus accessibles que des tableaux. J’écris aussi parce que ce support me permet de dire autre chose. De dérouler dans le temps une histoire narrative qui ressemble beaucoup plus à la vie quotidienne que la peinture. L’écriture, celle de fiction en particulier, permet de rejoindre les gens (les lecteurs) dans leur intimité et leur solitude. Enfin, j’écris parce que les livres ont un pouvoir social plus officiel que la peinture, dont la subjectivité de l’image, qui est un autre langage complètement, obéit à des règles plus abstraites.

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Quelle est la différence entre l’écrit et la peinture?
La peinture réussit exactement là où les mots échouent?: le non-respect des codes en vigueur. Pour qu’elle soit belle, la peinture doit être sincère, personnelle et inventée. Parce que peindre est un geste terriblement sensuel et instinctif. Un tableau, c’est un rectangle ou un carré dans lequel toutes les données sont concentrées, où tout est sujet à interprétation, où tout doit être décodé. À l’opposé, l’écriture d’un livre, avec son début, son milieu et sa fin, est plus calquée sur la vie. Tu ne peux pas commencer un livre à n’importe quelle page si tu veux comprendre l’histoire. Alors que, dans une peinture, tout est dit en un coup d’œil.

Est-ce plus difficile d’écrire ou de peindre?
Si je ne raconte pas les mêmes choses dans mes peintures que dans mes romans, les mêmes doutes m’habitent. Et je me réveille encore souvent la nuit avec les mêmes angoisses. À quoi je sers? Ai-je quelque chose à dire? Suis-je encore pertinent?

Hollywood, en résumé
À quelques jours d’accoucher, Branka est atteinte par une balle perdue en marchant dans la rue et meurt dans les bras de son amoureux (le narrateur). Désemparé, ce dernier se soûle et échoue au fond d’une ruelle de Brooklyn, où il est accueilli par un couple de marginaux débonnaires. Au même moment, les télés du monde diffusent en direct les images d’un astronaute en train de commettre le premier suicide spatial. Du fond de sa ruelle, entre chagrin et vapeurs d’alcool, le narrateur revisite sa vie avec Branka, qui avait survécu aux snipers de Sarajevo, et celle de Stan, son ami d’enfance, l’astronaute en orbite.

 

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