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Profession : auteures de best-sellers

Les critiques les boudent? Tant pis. Elles sont abonnées aux palmarès des meilleures ventes, ont des tirages à faire damner leurs confrères écrivains et des fans fidèles à la vie à la mort!

On ne la reconnaît pas dans la rue et elle peut faire son épicerie en toute tranquillité. Pourtant, Louise Tremblay-D’Essiambre est une star. À 59 ans, l’écrivaine, qui habite dans la région de Montréal, a 31 romans derrière elle, et des dizaines devant qui attendent leur tour. Les quatre tomes de sa série Les soeurs Deblois ont été achetés par Pocket et vendus en France. Et ses fans n’hésitent pas à appeler son éditeur, Guy Saint-Jean, quand ils n’en peuvent plus d’attendre la suite de leur saga préférée.

Chaque fois qu’un de ses titres atterrit en librairie, 50 000 exemplaires au bas mot s’envolent, « juste au Québec, précise-t-elle, et sans compter les ventes des clubs de livres comme Québec Loisirs ».

Drôle de destin pour une mère de neuf enfants (sa plus jeune a 11 ans). Louise Tremblay-D’Essiambre fait partie des rares écrivains québécois (une quinzaine peut-être) à avoir fait de l’écriture leur gagne-pain, avec, du côté des femmes, les Diane Lacombe, Pauline Gill, Sonia Marmen et Mylène Gilbert-Dumas.

Avec ses 36 romans, 4 « livres compagnons » et 3 BD – « Et c’est pas fini, c’est rien qu’un début ! » –, Anne Robillard compte elle aussi parmi les auteurs les plus prolifiques et les plus populaires du Québec. Admiratrice de Tolkien (Le Seigneur des anneaux) et de J.K. Rowling (Harry Potter), elle écrit depuis 10 ans des romans fantastiques, dont la série des Chevaliers d’Émeraude, phénomène de l’édition : près de 2 millions d’exemplaires vendus, en France seulement!

Ses personnages suscitent une telle fascination qu’elle a embauché des comédiens pour les incarner. Elle arrive donc aux lancements et aux séances de signature flanquée du chevalier Wellan, de Falcon, de Chloé, de Kira (peau mauve, cheveux et yeux violets). Même le terrible Asbeth est là. Il n’y a pas si longtemps, ils l’accompagnaient dans les salons du livre. Mais avec leurs costumes clinquants, leurs perruques et leurs épées, ils monopolisaient tant l’attention qu’on a dû demander à l’auteure de s’abstenir.

Qu’à cela ne tienne, Anne Robillard s’est alors rabattue sur des événements ponctuels – congrès, fêtes, rencontres avec ses chevaliers d’Émeraude… La foule accourt de partout, vêtue de pied en cap de costumes médiévaux, pour festoyer et rencontrer les preux en chair et en os, puis, avec un peu de chance, se faire adouber par Parand’Anne (Anne Robillard), qui veille sur son univers telle une bienveillante reine mère. Quand les héros font leur entrée, ça crie, applaudit, siffle – c’est le délire. « Mon plus grand talent, c’est de créer des mondes tellement réels dans leur irréalité que les lecteurs ont l’impression d’en faire partie, raconte l’écrivaine. Ils s’évadent de leur quotidien. Mes personnages deviennent leurs amis. Les gens m’en parlent comme s’ils existaient vraiment. »

Des lettres et des (gros) chiffres
Quand on sait qu’au Québec on commence à parler de best-seller à partir de 3 000 exemplaires écoulés, et que la plupart des auteurs – et des meilleurs – n’en vendront jamais plus de 700 ou 800, on comprend que les Tremblay-D’Essiambre et Robillard constituent des cas d’exception. Et si l’on connaît bien les Marie Laberge, Chrystine Brouillet et Francine Ruel (« Peut-être parce qu’elles sont comédiennes, journalistes ou animatrices », avancera Louise Tremblay-D’Essiambre), d’autres travaillent la plupart du temps dans l’ombre.

Elles n’ont pas de doctorat en lettres et proviennent de tous les milieux. Louise Tremblay-D’Essiambre a étudié en soins infirmiers. Anne Robillard a été secrétaire juridique, Sonia Marmen, denturologiste, et Diane Lacombe, conseillère en communication et journaliste dans la presse spécialisée. ­Mylène Gilbert-Dumas et Pauline Gill ont d’abord oeuvré dans l’enseignement.

Cette dernière a fait sa marque en publiant des biographies romancées de figures méconnues de notre histoire (Irma LeVasseur, Victoire Du Sault, Gaby Bernier). Quand elle a décidé d’avoir une famille (elle a élevé cinq enfants), elle a abandonné son poste de professeure pour ouvrir une garderie dans sa maison de Longueuil. « J’avais le cordon ombilical trop court, dit Pauline Gill. Je voulais rester près de mes enfants. Et aussi avoir plus de temps pour écrire. » L’auteure, qui a tenu cedouble emploi jusqu’à ce que sa plus jeune entre à l’école, prend alors « le risque » de se consacrer uniquement à l’écriture. « Récemment, vu le succès de mes livres, je me suis décidée à fonder une compagnie, ce qui semble avantageux sur le plan fiscal. »

Pour sa part, Louise Tremblay-D’Essiambre a récemment créé sa propre entreprise de gestion de droits d’auteur.

Anne Robillard a transformé le sous-sol de sa maison de la banlieue sud de Montréal en bureau et recruté deux employées. L’une s’occupe des courriels, appels téléphoniques, commandes de produits dérivés ; elle gère également l’embauche de comédiens et l’entreposage de costumes (il y en a 125). L’autre est affectée au multimédia – site Web, capsules vidéo et tutti quanti. Depuis quelques années, déçue par le traitement que lui réservaient ses éditeurs successifs (de Mortagne, puis Michel Brûlé), l’écrivaine a pris ses affaires en main : elle publie à compte d’auteur (éditions Wellan – tiens donc, ça rappelle un certain chevalier !). Ex-secrétaire dans un bureau d’avocats, elle négocie elle-même tous ses contrats. Sa soeur Claudia veille à la production des livres – infographie, contacts avec l’imprimeur et le distributeur. Une vraie PME! « C’est fou, reconnaît Anne Robillard, mais nous avons pris le rythme. Je suis bien entourée. La seule chose que je déplore, c’est de ne pas avoir assez de temps pour écrire! »

Grâce au succès de sa Trilogie de Mallaig (400 000 exemplaires vendus), Diane Lacombe a pu prendre une retraite anticipée pour vivre à plein temps avec ses personnages. Pendant quelques années, elle et son mari ont organisé des voyages littéraires en Écosse « sur les traces de Mallaig », au grand plaisir de ses admirateurs. Aujourd’hui, elle explore la Nouvelle-France avec sa nouvelle série, Pierre et Renée.

Sonia Marmen a fermé son cabinet de denturologiste en 2006 pour retourner dans l’univers qu’elle et ses lecteurs aiment tant : l’Écosse du 17e siècle. Quant à Mylène Gilbert-Dumas, dont le plus récent roman, Yukonnaise, remporte déjà un franc succès, elle a dû se mettre à percevoir TPS et TVQ. « Tout cela demande une structure de comptabilité dont je n’avais pas besoin avant d’être écrivaine. Mais je ne m’en plains pas. On me paie pour raconter des histoires : il n’existe pas de meilleur job sur Terre! Il n’y a pas un matin où ça ne me tente pas d’aller travailler. Pourtant, je travaille tout le temps, tout le temps. Même quand je suis en voyage. »

Populaire = moins bon?
Ces auteures s’attirent la reconnaissance du public, mais aussi, trop souvent, le mépris des gens de lettres. Parce qu’elles écrivent des biographies romancées, des sagas, des histoires fantastiques, des romans d’époque, on les étiquette « auteures de romans populaires ». Ce qui ne plaît pas à toutes, surtout quand le terme est prononcé avec une moue condescendante.

« J’écris depuis 22 ans, dit Pauline Gill, et je me demande toujours ce qu’on entend par littérature populaire. » Pour celle qui a enseigné dans des écoles de rang (« Comme Gabrielle Roy! »), avoir un style accessible, fluide, à la portée de tout lecteur ou lectrice, exige pourtant du travail.

« Cette notion de littérature facile me fait rire, renchérit ­Mylène Gilbert-Dumas, la voyageuse fascinée par le Yukon. Quand le plus important pour l’auteur est le propos – l’histoire, les personnages –, la langue sert d’outil et ne doit pas faire obstacle à la lecture. Si les phrases sont trop ciselées, le lecteur est happé par le style et sort du récit. »

Pour Sonia Marmen, tout cela rappelle le 19e siècle, qui réduisait le roman populaire à une forme de paralittérature, une production en marge de la « vraie » littérature. « Des préjugés blessants, autant pour les auteurs que pour leurs lecteurs, dit-elle. On croit encore que le populaire s’adresse à la classe ouvrière alors que le littéraire serait l’apanage des lettrés. Je connais pourtant des gens qui n’ont pas fait leur cégep et qui lisent Camus! »

Les clés du succès
Qu’est-ce qui explique la popularité de ces auteures? Leur énorme capacité de travail (elles bossent toutes d’arrache-pied et ne prennent jamais de véritables vacances)? La passion qui les anime? L’abondante correspondance qu’elles entretiennent avec leurs lecteurs? Si l’on en croit les principales intéressées, le secret tient peut-être au fait qu’elles écrivent la plupart du temps des sagas qui s’échelonnent sur plusieurs tomes. Elles créent l’attente. On veut les suivre. Mais, surtout, elles ont le souci d’offrir à leurs fans un bienheureux moment d’évasion.

Pour Mylène Gilbert-Dumas, il y a l’histoire, mais surtout la manière de l’écrire. « Je pense que nous sommes toutes d’habiles conteuses, dit-elle. Et c’est ça la clé du succès : une bonne histoire bien racontée, qui hypnotise. »

« Et qui va plaire à des gens ordinaires, qui aiment se retrouver à travers des personnages qui leur ressemblent, précise Louise Tremblay-D’Essiambre. La lecture, c’est la chose la plus merveilleuse. Avec elle, on a l’éducation, l’instruction, le réconfort, le voyage, bref, tout ce qu’on souhaite y trouver. Si quelqu’un me dit que, grâce à moi, il a pris plaisir à la lecture, je le reçois comme le plus beau des prix littéraires! Si c’est ça faire du roman populaire, je vais continuer à en faire jusqu’à mon dernier souffle. »

L’expression « auteure à succès » peut aussi se décliner au masculin ! Par exemple :

1. Michel David est décédé en août 2010. Mais, en librairie, il est toujours parmi les meilleurs vendeurs. Il a laissé plusieurs manuscrits qui seront publiés dans les années à venir. Ses sagas La poussière du temps, À l’ombre du clocher, Chère Laurette et Un bonheur si fragile se sont vendues à près d’un million d’exemplaires. Sa dernière, Au bord de la rivière, serait en train de battre tous ses records. Aux Éditions Hurtubise.

2. Jean-Pierre Charland, chez le même éditeur, avec L’été de 1939 avant l’orage (2006), La rose et l’Irlande (2007) et les sagas Les portes de Québec (quatre tomes, 2007-2011) et Les folles années (quatre tomes, 2010-2012), a touché près de 80 000 lecteurs.

3. Le psychologue René Forget est l’auteur de la série Eugénie, une saga qui décrit le Canada français des 17e et 18e siècles. Émeline, la filleule de la diva, paru il y a peu aux éditions Michel Brûlé, en est le septième tome. 

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