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Romans : dans la peau d’une femme

À l’occasion de la Journée de la femme, Châtelaine présente quatre écrivains qui font de la femme, l’héroïne de leur roman.

En ce mois de la Journée de la femme, Châtelaine suggère quatre écrivains à la sensibilité féminine, dont l’héroïne de leur roman a souvent la voix d’une femme.



 

Le titre : La poursuite du bonheur

L’auteur : Douglas Kennedy (57 ans)

L’exergue :
« Nous n’agissons pas comme il le faudrait. Et ce qu’il ne faudrait pas, nous le faisons. Et puis, nous nous rassurons avec l’idée que la chance sera notre alliée. » Matthew Arnold

L’histoire : Le jour de l’enterrement de sa mère, Kate remarque dans le cortège une vieille dame dont elle n’a aucun souvenir. Qui est-elle? La question se fait de plus en plus pressante au fur et à mesure de ses coups de téléphone et de ses lettres. Et cela, jusqu’au jour où la vieille dame annonce à Kate que son père a été le grand amour de sa vie.

L’univers : Entre un New York de l’après-guerre et une Amérique déchirée par la Peur Rouge et le maccarthysme, Douglas Kennedy dévoile les secrets d’une famille à travers l’histoire de deux femmes avec, en arrière-plan, plus de 50 ans d’histoire américaine.

La voix :
« Douglas a l’art de faire tourner les pages », assure Françoise Triffaux, son éditrice chez Belfond. Le magazine Marie-Claire a décelé en lui une faculté « quasi médiumnique de comprendre les femmes ». Comment? « Je n’ai pas une petite poche d’œstrogènes sous le bras, répond le principal intéressé au journal français Libération. Je suis comme un acteur, c’est tout. »

Les premières phrases :
« La première fois que je l’ai vue, c’était devant le cercueil de ma mère. Dans les soixante-dix ans, grande, anguleuse, de beaux cheveux gris sévèrement retenus en chignon sur la nuque. Tout à fait le genre de femme auquel j’espère ressembler si jamais je parviens jusqu’à son âge. Elle se tenait très droite, le dos refusant de ployer sous le poids des ans. Sur ses traits harmonieux, la peau était restée souple, avec quelques rides qui, loin de marquer son visage, lui conféraient du caractère, une certaine “gravité”. Elle était encore belle, d’une beauté discrète, altière. On devinait que le temps était tout proche où les hommes l’avaient admirée. Ce sont ses yeux, pourtant, qui ont plus particulièrement attiré mon attention sur elle. D’un bleu presque gris, attentifs à tout, critiques, avec juste une pointe de mélancolie… Mais qui n’est pas mélancolique, à un enterrement? Qui, en contemplant un cercueil, ne s’imagine pas allongé à l’intérieur? »

La raison de le lire : Pour la plupart de ses aficionados, La poursuite du bonheur est le meilleur roman de Douglas Kennedy. Sa meilleure histoire d’amour… Et 774 pages de pur bonheur.

En un mot :
Phénoménal.

Éditeur : Belfond, 774 pages.



 

Le titre : Manuella

L’auteur : Philippe Labro (75 ans)

L’exergue : « Quelle est cette promesse que l’on m’a faite et qu’un Dieu obscur ne tient pas? »
Saint-Exupéry

L’histoire :
Celle d’une jeune fille de 17 ans, avec tous ses problèmes d’adolescente. Certes, elle a des parents aimants et de bonnes amies, mais elle reste obnubilée par ses angoisses à propos de ses résultats scolaires, ses problèmes avec son physique, ses interrogations par rapport à sa première expérience sexuelle, sans oublier sa peur de ressembler aux adultes autour d’elle. Et puis, arrivent les vacances d’été qui vont bouleverser son regard sur le monde et lui permettre de passer à une autre étape de sa vie.

L’univers :
Divisé en trois parties et composé de plusieurs chapitres courts, ce roman raconte la mutation d’une jeune fille en phase de devenir femme. Dans la première partie, intitulée Allons z’enfants du secondaire, on découvre une Manuella fragile, vierge et complexée, qui manque de confiance en elle, même si tout le monde autour la trouve géniale. Bref, on est en pleine contradiction adolescente. Dans la seconde, intitulée Un Bateau dans la baie, Manuella est en vacances, où elle devient soudainement moins naïve et surtout moins complexée. Dans Partir, la troisième partie, qui est plus triste, elle retrouve son quotidien après les vacances, mais avec une perception de la vie et un corps qui a changé.

La voix :
Attachante et légère, voire un brin idéaliste. Un livre à la fois cru et pudique sur une année charnière dans la vie d’une jeune adulte.

Les premières phrases :
« Moi, je serais curieuse de savoir ce qu’est devenu Jonathan Prevette. J’ai collé sa photo, parue dans un journal avec quelques lignes qui accompagnaient le portrait, dans un scrapbook que je tenais de façon irrégulière. À une époque, j’y mettais uniquement des photos de top models. C’était ma période débile, je les trouvais toutes tellement belles, grandes, minces, ça fait un moment que j’ai abandonné, quand même. Maintenant, je mets plutôt des citations, des statistiques, des faits divers. Les top models, je savais bien que je ne serais jamais comme elles, mais bêtement, je collectionnais leurs images. Jonathan doit dater de quelques années, peut-être pendant ma période top, et c’est d’autant plus surprenant de retrouver sa bonne gueule ronde et enfantine au milieu de toutes ces tiges sur talons qui défilent sur les rampes en balançant les hanches et en faisant la moue boudeuse avec leurs lèvres collagénées. »

La raison de le lire :
Pour nous rappeler les angoisses existentielles reliées à cette étape cruciale de la vie. Pour nous aider à mieux comprendre nos adolescentes.

En un mot : Émouvant.

Éditeur :
Éditions Gallimard, 252 pages.



 

Le titre : Les heures

L’auteur : Michael Cunningham (60 ans)

L’exergue : « Le temps me manque pour exposer mes projets. J’aurais pourtant beaucoup à dire au sujet des Heures et de ma découverte : comment je creuse de belles grottes derrière mes personnages. Je crois que cela donne exactement ce qu’il me faut : humanité, humour, profondeur. Mon idée est de faire communiquer ces grottes entre elles, et que chacune s’offre au grand jour, le moment venu. »
Virginia Woolf, Le journal d’un écrivain, jeudi 30 août 1923.

L’histoire : Trois femmes, trois villes, trois époques, trois destinées reliées par un fil rouge : Mme Dalloway, le chef-d’œuvre de Virginia Woolf sur le temps et l’altérité. Note importante : Les heures était le titre de travail choisi par Virginia Woolf pour ce qui allait par la suite devenir Mme Dalloway.

L’univers :
À travers un jeu de miroir, Michael Cunningham réussit un tour de force littéraire. Sa plume, très woolfienne, illustre les trajectoires de vie de trois femmes à travers leurs petits plaisirs, leurs désillusions, leurs espérances.

La voix : Ou plutôt les voix, puisque c’est un roman choral.

Les premières phrases : « Elle se hâte hors de la maison, vêtue d’un manteau trop chaud pour la saison. On est en 1941. Une autre guerre vient d’éclater. Elle a laissé une lettre à l’intention de Leornard, et une autre pour Vanessa. Elle se dirige d’un pas décidé vers la rivière, certaine de ce qu’elle va faire, et pourtant, même alors, elle se laisse distraire par la vue des vallons, de l’église et de quelques moutons épars, incandescents, teintés d’une légère nuance soufrée, qui paissent sous un ciel menaçant. Elle s’immobilise, contemple le ciel et les moutons, puis reprend sa marche. Les voix murmurent derrière elle ; des bombardiers grondent dans le ciel, bien qu’elle cherche en vain à apercevoir les avions. Elle croise un des ouvriers de la ferme (…) vêtu d’un gilet couleur pomme de terre, en train de nettoyer le fossé qui traverse l’oseraie (…) En passant devant lui tandis qu’elle marche vers la rivière, elle songe au bonheur, à la chance qu’a cet homme de nettoyer un fossé dans une oseraie. Elle, elle a échoué. Elle n’est pas du tout une écrivaine, en réalité; elle n’est qu’une excentrique douée. »

La raison de le lire :
Parce que le roman est aussi grandiose (sinon plus) que son adaptation cinématographique; pour laquelle Nicole Kidman a reçu l’Oscar de la meilleure actrice (2002) pour son interprétation de la romancière Virginia Woolf.

En quatre mots : Un véritable exploit littéraire.

Éditeur : Belfond, 222 pages.


 

Le titre :
Le cœur régulier

L’auteur : Olivier Adam (38 ans)

L’exergue : « There is a crack in everything. That’s how the light gets in. »
Leonard Cohen

L’histoire : Dévastée par la mort suspecte de son frère, une femme abandonne famille et boulot (ainsi que son existence bourgeoise et terne) pour aller revivre, au Japon, les derniers moments de la vie de ce frère aussi aimé que méconnu. Éprouver les mêmes sensations, les mêmes vertiges que son frérot pour réaliser à quel point elle a fait fausse route dans sa vie. Un roman sur cette fâcheuse habitude à vouloir mettre les gens dans des cases précises et sur les errances de jugement qui en découlent.

L’univers : « Mes livres sont sombres, mais ils vont toujours vers la lumière, explique ce jeune auteur au parcours sans faute, dont plusieurs romans ont été adaptés au cinéma (Je vais bien, ne t’en fais pas, À l’abri de rien, Des vents contraires, Poids léger). Mes livres parlent de ce que j’appelle le combat ordinaire de nos vies. De ce que les gens font pour rester debout. Pour avancer face à la violence économique et sociale, et face à la violence des sentiments et de la vie elle-même, qui fait qu’on perd des proches. Mais ce n’est pas de la révolte. C’est plutôt une sorte de résistance. »

La voix : « La vie n’a aucun sens, il faut juste vivre. » D’une grande simplicité, son style a du mordant et une belle musique. Les amateurs de bulletins météo seront aussi ravis, puisqu’il décrit le temps comme pas un. En vérité, très peu d’auteurs savent décrire avec autant de justesse la dureté de notre monde constitué d’individus solitaires sans pitié aucune pour les êtres plus fragiles.

Les premières phrases : « C’est une nuit sans lune et c’est à peine si l’on distingue l’eau du ciel, les arbres des falaises, le sable des roches. Seules scintillent quelques lumières, de rares fenêtres allumées, une dizaine de lampadaires le long de la plage, deux autres aux abords du sanctuaire, le néon d’un bar, un distributeur de boissons, myriade de canettes multicolores sous l’éclairage cru. Plus grand monde ne s’attarde à cette heure. La fin de l’été a ravalé les touristes, les dernières cigales crissent dans les jardins de la pension, nous sommes fin septembre, mais il fait encore tiède. Par la baie entrouverte monte la rumeur du ressac (…) Je rentrais des falaises par ce chemin sinueux que j’emprunte depuis déjà six jours (…) Trois gamins en tenue de base-ball me suivaient en bavardant, la batte sur l’épaule. Ils ont bifurqué dans mon dos sans que je m’en aperçoive, quand je me suis retournée, il n’y avait plus personne, j’aurais aussi bien pu avoir été filée par des fantômes. Arrivée à la pension, je me suis installée près des fenêtres, accroupis autour d’une table en bois laqué nous étions que cinq à dîner, Katherine, moi-même et trois Japonais (…) Nous nous sommes salués en hochant la tête, bustes inclinés et sourires de convenances, puis chacun s’est de nouveau penché sur son assiette. »  

La raison de le lire : Le cœur régulier est possiblement le plus abouti de la quinzaine de romans (jeunesse inclus) d’un auteur qui, depuis la parution de son premier livre, il y a 10 ans, s’impose comme l’un des plus grands écrivains de sa génération.

En un mot : Confondant.

Éditeur :
Éditions de l’Olivier, 217 pages.

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