L'édito

Avons-nous encore besoin des magazines féminins?

Les magazines féminins jouent un rôle essentiel dans notre société, notamment en faveur de la cause des femmes. Notre rédactrice en chef en est convaincue. Et vous?

Photo:Unsplash/Charisse Kenion

En voyant le titre d’un article du Washington Post, j’ai failli m’étouffer avec ma tisane: « Women’s magazines are dying. Will we miss them when they’re gone? » (Les magazines féminins se meurent. Vont-il nous manquer quand ils ne seront plus là?)

Cette question a le mérite d’être claire. Mais, misère, comme elle est tendancieuse. Des quotidiens agonisent, aussi. Qui oserait remettre ainsi en cause leur pertinence? Cherche-t-on, une fois de plus, à accuser la presse féminine de frivolité? J’en ai marre de ce discours sexiste. Peut-on s’intéresser à la mode, au voyage et au féminisme en même temps? Aimer la culture et la tarte aux pommes?

J’ai fini par me calmer – je buvais une infusion de camomille, après tout – et j’ai lu le reportage. J’ai vite compris qu’on traitait d’un autre type de presse féminine. Un extrait: « En maintenant le statu quo, même si les femmes ont changé, ces magazines ont perdu de leur pertinence, selon Harriet Brown [professeure de journalisme à l’Université de Syracuse]. En cette ère d’acceptation du corps et de féminisme de la énième vague, “je ne veux pas lire 2 500 articles par an sur la façon de perdre cinq kilos ou de me débarrasser de mes poignées d’amour, dit-elle. C’est réducteur et superficiel.” » Dieu merci, Châtelaine ne propose pas ce genre d’articles…

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Il n’en demeure pas moins que les médias traversent une crise sans précédent. Les annonceurs, dont des entreprises d’ici, ont déplacé leurs investissements vers Facebook, Google et YouTube (aussi propriété de Google), privant ainsi les médias traditionnels de leurs principales sources de revenus. Ces plateformes ramassent le pognon et utilisent, sans payer, les reportages créés par les équipes des médias, qui se demandent si elles auront un job la semaine prochaine.

« Facebook est devenu le plus prospère et le plus puissant des éditeurs de l’histoire en remplaçant les artisans de l’information par des algorithmes », rappelait en novembre dernier Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian. Ce quotidien britannique est maintenant financé davantage par son lectorat que par ses annonceurs.

À quand des solutions concrètes pour la survie des quotidiens, des hebdomadaires et autres publications au pays?

Le gouvernement fédéral devrait imposer des redevances sur l’achat d’appareils numériques, les tablettes comme les ordinateurs, ainsi que sur les abonnements à Internet, estime Jean-Hughes Roy, professeur à l’École des médias de l’UQÀM. « Pourquoi on s’abonne à Internet? C’est pour accéder à des contenus. Les producteurs de ces contenus-là, autant en information qu’en culture, voient de moins en moins l’argent percoler vers eux », a-t-il expliqué à la radio de Radio-Canada. Il a rappelé que lors de l’apparition du câble, l’État s’est adapté en imposant une redevance de 5 % sur la facture de câblodistribution. Les sommes recueillies ont ainsi servi à financer la production télévisuelle. « On pourrait faire exactement la même chose [avec la presse] », a-t-il précisé, jugeant insuffisante l’aide de 600 millions de dollars promise par Ottawa aux médias canadiens.

En attendant, des publications tombent au combat et on continue d’abolir des postes dans la presse partout au pays – Châtelaine n’a pas été épargné, avec des coupes qui ont réduit de plus de la moitié son équipe au cours des deux dernières années. Depuis 2010, 30 % des postes de journalistes ont été supprimés au Canada et 27 quotidiens ne sont plus publiés, rapportait l’an dernier le Washington Post. Dans son analyse, le réputé quotidien compare les médias à des miroirs de la société. « Imaginez votre maison sans aucun miroir, que vous ne puissiez jamais voir votre reflet. Maintenant, imaginez que votre pays a perdu son miroir national et que vous n’avez plus de reflet fidèle de ce qu’il est. Pire encore, remplacez ce miroir perdu par un miroir déformant, par des tentatives omniprésentes de dissimuler, de mentir et de répandre de fausses nouvelles. Le résultat pourrait être bien pire que ce que nous imaginons », concluaient les journalistes Douglas McLennan et Jack Miles.

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Il en va de même pour la presse féminine. Des magazines comme Châtelaine ont toujours leur raison d’être, j’en suis persuadée plus que jamais après une décennie à y œuvrer. Dans nos pages, vous avez lu des reportages sur les risques liés à la pilule contraceptive de troisième et de quatrième génération, la réalité des mères prises en sandwich entre leurs parents vieillissants et leurs enfants à élever ou les avantages de mieux connaître son clitoris. Châtelaine fait résonner la voix des femmes, porte leurs batailles et célèbre leurs réussites.

Notre plus grande force, toutefois, c’est vous. Vous qui nous écrivez chaque jour, qui renouvelez votre abonnement année après année ou qui continuez à acheter Châtelaine à l’épicerie – nos ventes en kiosque ont augmenté en 2018, ce qui témoigne de l’extraordinaire engagement de notre lectorat.

Avons-nous encore besoin des magazines féminins? Je réponds oui sans hésiter. 

 

 

 

 

Johanne Lauzon, rédactrice en chef

Écrivez-moi à  johanne.lauzon@chatelaine.rogers.com

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