Mercredi matin, Le Devoir nous apprenait que les éditions de La Courte échelle étaient au bord du gouffre. Depuis, j’ai le vertige et un grand trou s’est creusé dans mon cœur.
C’est comme si on m’avait dit qu’un ami d’enfance luttait pour sa vie, atteint d’une grave maladie dont on ne connait pas les séquelles. Guérira, guérira pas? Un sentiment de tristesse et d’impuissance m’habite. La colère aussi. Voyons donc! Comment cela est-il possible? L’année passée, La Courte échelle fêtait ses 35 ans!
La Courte échelle m’a accompagnée tout au long de ma jeunesse. Comme bon nombre d’entre vous, je suppose. J’ai appris comment on faisait des bébés avec Venir au monde (à ce jour, quand j’imagine un ovule et un spermatozoïde, ce sont les illustrations de Darcia Labrosse que je vois dans ma tête, ah!). J’ai lu beaucoup de Jiji et Pichou avec ma cousine dans le canapé ultra moelleux de ses parents. Ani Croche et Rosalie évoquent la bibliothèque en mélamine blanche au bout de mon lit où je classais mes premiers romans par numéro. Encore aujourd’hui, la vue des couvertures finement rayées de cette collection m’enveloppe d’un genre de bien-être. Celui des tout premiers bonheurs de lecture : être capable de lire une histoire seule, plonger dans des réalités inventées, ne jamais m’ennuyer même si je n’ai personne avec qui jouer.
Et c’est peut-être là où l’effondrement possible de ce monument de la littérature jeunesse fait le plus de dégâts. La perte imminente d’une des sources les plus fiables de livres pour enfants d’excellente qualité. Un français impeccable, une facture visuelle soignée, des histoires qui sortent des sentiers battus, des auteurs et des illustrateurs québécois au talent qui dépasse les frontières… Les livres de La Courte échelle sont bons et on y revient toujours.
D’ailleurs, c’est comme ça qu’on crée des lecteurs et ultimement, des citoyens informés : avec de la récurrence et de l’excellence. L’envie de retrouver des personnages attachants ou des plumes singulières. La fierté renouvelée d’avoir été capable de terminer un livre ou le plaisir, parfois salvateur, de décrocher de sa vie réelle.
Car quoi qu’en pense le ministre de l’Éducation, bien qu’aucun enfant ne meurt de ne pas avoir accès à une bibliothèque diversifiée, la littérature comme en fait La Courte échelle, ça aide à vivre en tabarnouche. Croyez-en ma parole d’ex-fillette à la timidité maladive.
En terminant, j’ai une pensée pour tous les collègues qui ont perdu leur emploi et tous ceux qui s’inquiètent de ce qu’il adviendra de leur œuvre et de leurs droits. Solidarité.
Avez-vous de beaux souvenirs de lecture de La Courte échelle?
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