L'édito

Adopter un ado

Je devais avoir 14 ou 15 ans, je rêvais de changer le monde. Ma fibre rebelle se tricotait serré et je cherchais ma voie.

Maxyme G. Delisle

Je me savais douée pour écrire, parler, discuter, bref je me savais déjà communicatrice et engagée. Mais je ne savais que faire de ces talents ni comment les utiliser pour changer le monde.

C’était plus fort que moi, toutes mes conversations déviaient vers cette préoccupation. Par chez nous, on ne rêvait pas bien grand, et mes aspirations ne cadraient pas dans mon environnement peuplé de familles d’ouvriers. J’étais un vilain petit canard qui voulait faire tomber des barrières, repousser les limites, s’affranchir des contraintes qu’on lui imposait. Avoir 18 ans aujourd’hui, j’aurais passé mon printemps dans la rue, c’est certain.

Au quotidien, je mettais mon entourage au défi. Et plus souvent qu’autrement, j’étais déçue de ne pas trouver d’écho. J’interrogeais chaque adulte qui croisait ma route : « La vérité, c’est dans quelle direction, svp? » « Le sens de la vie, je le trouve où? » « Et changer le monde, je fais ça comment? »

Parmi ceux qui ont eu le courage de ne pas éviter mes questions à 100 piasses, c’est Andrée qui m’a offert les réponses les plus satisfaisantes. Andrée, une belle enseignante dans un milieu difficile, qu’il était impossible de ne pas aimer dès le premier regard. Andrée, avec sa voix à la fois douce et rocailleuse, qui ne se moquait pas de mes angoisses. Qui écoutait, réfléchissait avec moi à voix haute, jusqu’à tard le soir. Andrée, immense dans son humanité et sa modestie, qui un jour m’a dit : « Tu sais, Mélanie, changer le monde, c’est un sacré beau défi. Et pour marcher dans cette voie, tu dois toujours te sentir en adéquation avec ce que tu es profondément. Respecter ton essence et garder la tête haute. Mettre un pied devant l’autre et ne jamais oublier que tu arriveras à tes fins petit à petit, avec chacune de tes paroles, chacune de tes actions, si celles-ci reflètent entièrement ton identité et tes valeurs. » J’en ai eu le souffle court pendant des jours. Vingt ans plus tard, j’éprouve encore un vibrant frisson à me remémorer ces sages paroles.

Cette semaine, Andrée nous a quittés. Et le souvenir de nos discussions est revenu m’habiter. Je me suis demandé si je l’avais suffisamment remerciée, même si je sais qu’elle me savait reconnaissante. Et j’ai eu envie d’adopter un ado. En regardant les bulletins de nouvelles, en croisant des manifestants, je me suis réjouie un instant que la jeunesse québécoise soit la vedette de l’heure. Bien sûr, des dérapages et des gestes violents auraient pu être évités. Mais les jeunes ont pris la parole avec fougue et pertinence. Et ça, c’est une bonne nouvelle. Ça m’a donné envie de m’asseoir avec eux et de les écouter. Pas pour leur faire entendre raison ni pour les freiner dans leurs élans, ou leur demander d’être raisonnables. Plutôt pour les entendre partager leurs rêves et leurs craintes, pour discuter ouvertement, sans juger. Car je le sais intimement : dans le destin d’un adulte en construction, de telles discussions peuvent tout changer.

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