L'édito

Ambitionne pas!

Est-ce un relent de notre héritage judéo-chrétien si les femmes qui cherchent à se dépasser au travail s’attirent bêtises et platitudes?

© Julie Artacho

L’arriviste est dénué de scrupules. Il veut réussir par n’importe quel moyen, nous apprend Le Petit Robert. Le carriériste, pour sa part, est une personne qui recherche avant tout la réussite sociale par le biais d’une carrière, souvent sans s’embarrasser de scrupules. Et l’ambitieux, lui, que veut-il ? Toujours selon Robert, il désire passionnément réussir. Et dans son sens le plus courant, réussir signifie avoir une heureuse issue, un bon résultat.

L’arriviste, le carriériste et l’ambitieux marchent souvent main dans la main. Mais on peut très bien souhaiter réussir et être doté d’une solide morale. Repousser sans cesse ses limites et respecter un code de valeurs humanistes, ascendant égalitaires. L’envie de se dépasser ne naît pas du besoin d’écraser les autres. Et l’on peut se nourrir des forces de ceux qui nous entourent sans profiter d’eux.

En théorie, ça fonctionne. En pratique, toutefois, les belles idées sont souvent mises à mal. Et l’ambition féminine a mauvaise presse. Quand une femme déploie l’artillerie lourde pour réussir – heures supplémentaires, réseautage, formations de pointe –, les commentaires fusent. « Que cherche-t-elle à prouver? », « Qu’est-ce que ça va lui donner? » ou le classique « Et sa famille? » On papote dans le dos de la principale intéressée, on observe sa trajectoire, on tente de prédire l’issue de sa course. Au royaume bien nébuleux de la solidarité féminine, les ambitieuses sont priées de rester sur le pas de la porte.

Ces remarques, je les ai toutes déjà entendues. Et d’autres, que je vous épargne. Certes, j’occupe un poste enviable dans lequel j’investis temps et énergie. Et j’ai poussé l’audace jusqu’à mettre au monde deux enfants. Je mène ma vie professionnelle tambour battant et, savez-vous quoi? je n’ai pas l’intention de m’arrêter de sitôt. Ça me rend heureuse. Et si j’ai une ambition, c’est bien celle-là, d’être heureuse.

Loin de me justifier, je m’interroge. Pourquoi l’ambition féminine est-elle encore source de commentaires mesquins? Pourquoi le père de mes enfants, qui occupe un poste l’amenant à voyager, n’a-t-il jamais entendu de remarques désobligeantes au sujet de son horaire de fou? Nous sommes de la même génération et nous évoluons dans des milieux dits « ouverts d’esprit ». Je n’ose pas imaginer ce que ça peut être pour une entrepreneure ou une politicienne se taillant fièrement une place au sein du boys’ club. J’avance une théorie : le jour où nous respecterons l’ambition des femmes autant que celle des hommes, peut-être abolirons-nous ce fameux plafond de verre auquel plusieurs se heurtent encore.

Ce mois-ci, nous avons cédé la place aux hommes. Des forts, des grands, des puissants. Puis, nous nous sommes assurées qu’ils côtoient des femmes audacieuses. Des ambitieuses. Que nous admirons. Car nous pensons qu’il n’y a aucun mal à rêver grand. Nous croyons même que c’est avec des hommes et des femmes ambitieux que nous bâtirons un monde meilleur.

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