Un frisson me parcourt l’échine. Un mélange d’étonnement et d’exaltation me saisit alors que je suis assise parmi les participantes à la conférence internationale de Women Deliver, consacrée à l’égalité entre les sexes.
Autour de moi, des femmes de partout lèvent la main dans un élan de ferveur. L’assistance réagit à une question lancée par la journaliste indienne Barkha Dutt, qui anime une plénière sur la force des mouvements sociaux. « Les mouvements ne peuvent pas naître dans le silence. Qui se sent prête à briser le silence? » demande la chroniqueuse du Washington Post.
Que de chemin nous avons fait toutes ensemble! #Agression NonDénoncée et #MoiAussi, comme d’autres initiatives du genre, ont changé la donne. Nous nous levons pour dire haut et fort: « C’est assez! » Plus question de porter la honte et de subir l’inacceptable.
Partout sont rejetées les vieilles façons de faire, ce fond de machisme qui gangrène les studios d’Hollywood, les campus universitaires ou les villages africains. Nous prenons notre place, conquérons le pouvoir.
« Mon nom est Aissata Camara. Je suis une survivante des mutilations génitales. » Bang. La phrase tombe comme une tonne de briques. Silence assourdissant dans la salle. (On compte parmi ces mutilations l’ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins externes avec un couteau ou un rasoir.)
Il en faut du courage pour faire pareille révélation. Je le mesure avec précision: jeune journaliste, j’ai parcouru l’Afrique et j’ai recueilli de telles confidences au gré de mes rencontres. Mes interlocutrices voulaient en parler, mais n’étaient pas prêtes à témoigner à visage découvert dans un reportage. Elles avaient peur – avec raison – d’être rejetées par leur communauté. Mais voilà, tout change là-bas aussi.
Le mouvement est porté par de jeunes femmes comme Aissata Camara, 31 ans, coinstigatrice de la fondation There Is No Limit (« Il n’y a pas de limites »). Née en Guinée, elle a émigré aux États-Unis avec sa famille à 13 ans, après avoir subi l’excision. « Après, ma vie a changé. J’étais assez âgée quand cela s’est passé, alors j’ai vécu un choc. J’étais traumatisée. Depuis, je le sens dans mon corps… chaque jour. »
Aissata porte une grande blessure dans sa chair et cherche maintenant à en protéger d’autres fillettes – la pratique est présente sur tous les continents, sauf en Antarctique. « Pourquoi les mutilations sexuelles subsistent? Les parents font ça pour éviter que leurs filles aient une vie de débauche! dit-elle, exaspérée. Alors, il faut les éduquer. Aussi, on doit dire à chaque fillette: ton corps est sacré. »
There Is No Limit travaille à sensibiliser les familles et les exciseuses au moyen de pièces de théâtre, de concerts, de causeries dans des pays africains. « Ce n’est pas facile de changer les traditions. Ça commence à bouger grâce aux jeunes, les femmes comme les hommes, qui sentent qu’ils ont une responsabilité sociale. Mais il y a encore une culture du silence autour des mutilations génitales. Voilà pourquoi on veut en faire un sujet de discussion », martèle-t-elle.
Encore ce silence à fracasser… pour mieux faire entendre nos voix et nos droits.
Johanne Lauzon, rédactrice en chef
Écrivez-moi à johanne.lauzon@chatelaine.rogers.com
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