L'édito

Être patiente malgré le culte de l’urgence

Comment cultiver sa patience dans un monde qui va toujours plus vite?

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Ça y est : la rentrée est bien entamée et, d’ici quelques semaines, toute la zénitude savamment cultivée cet été à coups de vélo, de baignade et de chardonnay sera mise à l’épreuve. Les sources de stress ne manqueront pas : bouchons de circulation et métro bondé, routine essoufflante, dossiers casse-tête au boulot… Ouf !

En fait, non, je ravale ce « ouf ! ». Car cet automne, j’ai décidé de renouer avec la patience. Rien de moins. Quelques ­lectures sur le temps et la vitesse m’ont fait réfléchir récemment. Je savais qu’on vivait dans un monde où tout va toujours plus vite – et j’en apprécie plusieurs aspects, mais je n’avais jamais réalisé à quel point cette frénésie influence notre niveau de patience.

culte de lurgence

Éditions Champs Essais

Comme l’écrit la sociologue Nicole Aubert dans Le culte de l’urgence, notre rapport au temps a été complètement bouleversé dans les dernières années. Révolue, l’époque du « tout vient à point à qui sait attendre ». Place à l’ère du « ce que je veux, quand je le veux », où on tente de comprimer les heures en minutes pour faire le plus de choses possible. Une ère où presque tout se fait vite, et à toute heure du jour : manger sur le pouce dès qu’on a une fringale, communiquer par texto en quelques secondes, magasiner à crédit si on n’a pas les sous, en ligne si on ne veut pas se déplacer…

Une espèce d’ubiquité des besoins qui influence nos exigences envers la vie – on veut être heureux maintenant, et tout le temps – et crée « une frustration intolérable quand les contingences de la technique ne permettent plus, subitement, de tenir le monde entier à portée de main ».

Cet empressement donne lieu à de drôles de scènes. Des gens vont, par exemple, frapper à répétition dans la porte d’un magasin qui a fermé un peu plus tôt que prévu, comme si c’était illégal, lancer leur portable parce que le signal a coupé en pleine conversation ou hurler devant un ordinateur quand le réseau wifi est trop lent. Bon, je pourrais peut-être, parfois, dans certaines conditions, entrer dans la dernière catégorie. Je sais, c’est ridicule.

Ridicule, aussi, l’impatience chronique dont nous souffrons dans les transports. Comme si le fait de ne pas avoir tout à fait dompté cette facette du temps nous rendait fous. La téléportation n’étant pas au point, il faut encore « perdre » des minutes, voire des heures, pour se déplacer. Malheureu­sement, les avions et les voitures, bien que toujours plus rapides, ne nous empêchent pas d’être coincés à l’aéroport ou dans la circulation.

Ni sur le trottoir. Observez les gens pressés soupirer derrière ceux qui marchent trop lentement ou encore – attention, âmes sensibles – ceux qui demeurent immobiles dans un escalier mécanique ! Je ne serais pas surprise qu’on donne bientôt des contraventions pour ne pas avoir respecté une vitesse minimum de marche.

Une vitesse qui augmente sans cesse, d’ailleurs. Des chercheurs britanniques ont étudié le rythme des piétons dans 35 villes du monde et découvert que nous avancions 10 % plus vite que dans les années 1990. Imaginez si on se comparait aux marcheurs d’il y a 50 ans… Nous pouvons bien être à bout de souffle !

Évidemment, ce culte de l’urgence ne génère pas que des caprices. Il crée une pression énorme, surtout chez les travailleurs, qui doivent être toujours plus productifs. Cette pression influence aussi les relations entre collègues. Dans plusieurs milieux de travail, on note une diminution des conversations plus personnelles et du badinage au profit des échanges brefs, liés au boulot. À la longue, cette perte de chaleur humaine nous rendrait plus irritables, plus nerveux et provoquerait chez certains des accès de colère.

Hum, je me suis lancé tout un défi… Comment cultiver ma patience dans un monde qui va toujours plus vite ? Les sommités zen me recommanderaient de commencer par intégrer de vraies périodes de relaxation à mon agenda – et je m’annonce d’emblée que somnoler dans le métro parce que j’ai quitté le bureau trop tard ne compte pas. Et davantage de sommeil, tiens. La patience est allergique au stress et à la fatigue.

Mais d’abord, je colle cette note sur mon écran d’ordinateur : inspire, expiiiiiiire… Misère.

Crystelle Crépeau, rédactrice en chef
crystelle.crepeau@chatelaine.rogers.com

Photo: Maude Chauvin

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