L'édito

Initiales DVF

Rencontre avec la légendaire Diane von Fürstenberg.

Photo: Caroline P. Digonis/Lebrecht Music and Arts/Corbis

Photo: Caroline P. Digonis/Lebrecht Music and Arts/Corbis

« Jeune, je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie. Mais j’ai toujours su quel genre de femme je voulais devenir. Et j’ai réussi. »

L’ego de la légendaire créatrice de mode Diane von Fürstenberg, qui me balance cette phrase comme d’autres parlent de météo, se porte très bien, merci, et son assurance lui va à ravir. Tout comme son chic manteau zébré, ses boucles exubérantes, ses bijoux rutilants, son grand rire tête renversée et ses talons vertigineux qui mettent en valeur des jambes absolument parfaites. Elle a 66 ans et en paraît… 66. Ce qui fait d’elle un cas unique dans la faune liftée de la jet-set new-yorkaise.

C’est au C2-MTL, l’événement-brainstorm créatif organisé fin mai par l’agence de communications Sid Lee – où elle était conférencière invitée – que je l’ai rencontrée. J’y tenais : je suis une fan finie de cette femme d’affaires qui a cumulé les succès et les échecs, qui a su se réinventer et qui, au sommet de sa réussite, a décidé de redonner aux femmes qui ont fait sa fortune par l’entremise de multiples fondations. Ce n’est pas tous les jours qu’on croise une muse d’Andy Warhol qui, avant d’avoir 30 ans, avait déjà épousé un prince, eu deux enfants, révolutionné l’industrie de la mode, in­venté une robe iconique (dans les années 1970, elle vendait 25 000 robes portefeuilles par semaine !) et cédé sa ligne de cosmétiques pour quelque 22 millions de dollars.

J’avais droit à 10 minutes (et trois questions) avec DVF, mais « Appelez-moi Diane » m’en a finalement accordé le double. En français SVP car elle est d’origine belge – et parle parfaitement cinq langues. « Ce que j’ai appris de plus essentiel ? C’est simple : la relation la plus importante de notre vie est celle qu’on a avec soi-même. Il faut pouvoir compter sur soi et ça, je l’ai appris très jeune. »

Leçon mise en pratique lorsqu’elle s’est mariée avec le prince Egon von Fürstenberg, un riche héritier allemand. Le couple d’étudiants fait connaissance à 20 ans, en Suisse. C’est le coup de foudre, et il est vite question de fiançailles. À l’époque, pendant qu’Egon se fait les dents dans une banque new-yorkaise, Diane entre dans le monde de la mode à Milan. « Après une virée en Maserati avec un manufacturier de textiles qui conduisait trop vite – comme tous les Italiens ! – je tombe dans les pommes. » Elle est enceinte. Affolée, elle appelle son fiancé, qui lui propose de l’épouser tout de suite. « Comme je ne voulais surtout pas qu’on imagine que j’étais tombée enceinte exprès pour provoquer ce mariage, j’ai décidé de travailler et de gagner mon indépendance. »

À sa demande, l’homme à la Maserati lui fabrique quelques échantillons de jersey – la matière fluide qui fait tout le charme de sa fameuse robe portefeuille – qu’elle ramène dans une valise aux États-Unis. Le succès est quasi instantané, les commandes affluent, Diane devient DVF. Son fils Alexandre naît ; trois mois plus tard elle est enceinte de Tatiana. « Je courais derrière le succès et je n’arrivais pas à l’attraper. » On la voit en couverture de Newsweek, elle est encensée par la presse, devient riche et célèbre. Sa wrap dress est exposée au Musée d’art métropolitain de New York. « On peut dire que cette robe a bien garni mon portefeuille ! »

Elle réalise aussi que son mariage ne va nulle part. « Quand nous avons divorcé, je n’ai pas demandé un sou à Egon. » Indépendante, comme elle l’a toujours désiré, elle élève seule ses jeunes enfants, voyage aux quatre coins du monde, fréquente le Studio 54, collectionne les amants, les aventures. Inexpérimentée, elle crée des al­liances avec des partenaires douteux qui dévaluent progressivement sa marque. Et puis deux histoires d’amour l’éloignent de New York et de ses affaires pendant une décennie, la première à Bali avec un beau Brésilien, l’autre à Paris avec l’écrivain Alain Elkann. À l’aube des années 1990, la quarantaine bien entamée, elle constate avec consternation que la griffe DVF ne vaut plus grand-chose. « J’étais une has been. »

Elle n’a pas baissé les bras, a tout reconstruit petit à petit. « Ç’a été une période difficile, mais j’ai beaucoup appris. De ma mère surtout, qui m’a toujours incitée à foncer et à ne jamais avoir peur. Lorsque j’étais enfant, pour me guérir de ma crainte du noir, elle m’a enfermée dans un placard pendant 10 minutes, malgré mes larmes. » Dure ? Oui. Réaliste, surtout.

« Maman, qui était juive, a survécu à l’Holocauste. À sa libération d’Auschwitz, elle pesait 25 kilos. Son médecin lui a dit qu’elle ne pourrait jamais avoir d’enfant. Quelques mois plus tard, elle était en­ceinte. Elle a toujours dit que j’étais un miracle, qu’elle avait survécu à cette épreuve pour me donner la vie et que j’étais son flambeau de liberté. »

Tout un héritage, qui l’a inspirée à se rebâtir dans des moments de défaite. Aujourd’hui, la griffe DVF est plus in que jamais, auprès de ses premières clientes comme de leurs filles. Elle veut maintenant préparer sa succession. « Je songe à ce que je veux laisser comme héritage lorsque je ne serai plus là. »

Ce n’est pas demain la veille. Cette force de la nature, capable de renaître de ses cendres comme le phénix, est plus influente que jamais. DVF sans DVF ? Impensable.

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