Chroniqueuse du mois

Rebelle avec une cause

Je me fous d’habiter une vieille maison, de la chauffer minimalement, de m’habiller à la friperie et de surveiller les rabais dans les circulaires. Je ne suis pas endettée, et cela me procure une grande liberté de choix et de mouvement.

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J’ai toujours eu le bonheur facile.

Quand j’étais petite, le summum de la joie consistait à commencer la fin de semaine en se rendant au club vidéo en famille délibérer beaucoup trop longtemps sur le choix du VHS à louer. Puis on passait chez Dunkin Donuts et je salivais devant toutes ces étagères remplies de beignets frais. Il fallait en choisir seulement douze et on s’obstinait entre nous, sauf ma petite sœur Marie-Lune, qui disait tout aimer, mais qui au fond ne voulait surtout pas déranger… (Elle s’est bien reprise depuis, pour ce qui est de brasser de l’air!).

Adolescente, le gros trip de mes étés avec mon chum de l’époque consistait à faire un tournoi de Rummikub sur la table de patio dans la cour de ses parents en mangeant des poutines commandées avec notre argent de poche.

Je repense à tout ça aujourd’hui et je me dis que je n’ai pas tellement changé. Entre le visionnement en rafale d’épisodes de la série Stranger Things en flattant la bedaine chaude et molle de mon beagle-basset et ma compulsion à fabriquer des brownies, tartelettes et autres gâteries, j’ai encore le bonheur vachement ordinaire.

D’ailleurs, comme l’Halloween est ma fête préférée, mon chum m’a concocté cette année la meilleure soirée qui soit. On a fait un tour de vieux bazou pour aller voir un film d’horreur dans une salle de cinéma «vintage» (ok, disons vétuste, mais ça ajoute un certain charme suranné à la sortie, et peut-être même une touche d’épouvante…). J’ai pu admirer chemin faisant les costumes des enfants effectuant la ronde des bonbons. Puis, au retour, on est allés chercher du poulet barbecue à la rôtisserie du coin, et on s’est délecté.

Ma vie est jalonnée de ces moments parfaits.

 

Une vie simple, mais pas simpliste

Quand je repense à la petite fille gourmande et enjouée que j’étais, qui rêvait d’écrire dans les journaux et les magazines, peut-être même un livre et, surtout, qui détestait se lever tôt le matin pour aller à l’école, je me dis que je ne l’ai pas trahie.

Ça m’a frappée cette semaine alors que j’étais sous la douche (l’endroit où mon cerveau semble le plus à même de réfléchir): si je pouvais utiliser une machine à remonter le temps pour revenir en 1987, je pourrais me regarder droit dans les yeux en arborant un large sourire et déclarer à la fillette que j’ai été: «J’ai accompli tes rêves et respecté tes volontés.»

Oh, bien sûr, tout n’est pas parfait… Mon métier de pigiste est précaire, imprévisible et pas très payant. Mais c’est là le prix à payer pour cette incroyable liberté que je me suis donnée, qui me permet de ne plus faire sonner le satané cadran tous les matins et de rester en pyjama toute la journée si le cœur m’en dit.

 

Riche de liberté

Au fond, ça ne prend pas beaucoup d’argent pour mener la vie qui me plaît.

J’aime rouler à vélo. Ça ne me dérange pas de prendre le métro quand il neige et de me déplacer en voiture à l’occasion, principalement pour sortir de la ville. Je me fous d’habiter une vieille maison, de la chauffer minimalement, de m’habiller à la friperie et de surveiller les rabais dans les circulaires.

Je ne suis pas endettée, et cela me procure une grande liberté de choix et de mouvement.

Si par mégarde mon discours vous rappelle celui de Pierre-Yves McSween, sachez que je n’ai pas eu besoin de lui pour adopter la simplicité volontaire comme mode de vie, il y a des années de cela. Mes pauvres amis à qui je rebats les oreilles avec ça depuis toujours pourront en témoigner…

De plus, le discours comptable de M. McSween me fait sourciller, lui qui propose en quelque sorte aux consommateurs en puissance que nous sommes de tirer profit du système économique hautement inégalitaire dans lequel nous vivons, sans le remettre en cause.

Je préfère largement l’approche citoyenne, collective et altruiste de Serge Mongeau, cet homme valeureux qui parle de simplicité volontaire aux Québécois depuis près de 40 ans et qui porte un idéal de justice sociale et de sauvegarde de l’environnement.

 

Pas une gourou!

Maintenant que j’ai partagé avec vous ce qui est cher à mon cœur, loin de moi l’idée de m’ériger en modèle. J’ai tellement de croûtes à manger et de points à améliorer pour vivre en harmonie avec l’idéal de la simplicité volontaire. Par exemple, il serait bien que je sorte plus souvent de ma grotte pour aller jaser avec mes voisins ou que je participe à un jardin collectif, à l’instar de mon amoureux.

Je suis bien consciente également que ce que je raconte n’est pas à la portée de tout le monde. J’ai beau être née dans une relative pauvreté matérielle, je ne souffre d’aucun handicap physique et l’ai donc eu plus facile que certaines de mes consœurs.

Et puis, si je voulais être cynique, je dirais que pour bien des femmes, la simplicité est plutôt involontaire. Dois-je rappeler qu’au Québec, pour un dollar gagné par les hommes, les femmes gagnent en moyenne 80 cents, et que 76 % des familles monoparentales sont dirigées par une femme?

Il n’empêche, j’estime qu’il y a certainement une piste à explorer dans la simplicité volontaire du point de vue de l’autonomisation des femmes, ne serait-ce que pour contribuer à les mettre à l’abri de la dépendance à un conjoint pourvoyeur qui pourrait s’avérer abusif.

Pour ma part, cette capacité à vivre et bien vivre avec peu entraîne une certaine indépendance d’esprit et fait en sorte que si un jour je choisis de quitter mon statut de pigiste pour aller œuvrer ailleurs à plein temps, ce sera pour accomplir une mission qui a du sens à mes yeux, pour m’engager dans ma société.

Pas pour aller chercher un gros salaire dont je n’ai que faire, moi qui ne dois rien à mon banquier.


Chroniqueuse du mois

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Journaliste indépendante, conférencière et auteure, Marilyse Hamelin dirige le blogue féministe La semaine rose. Son premier essai, Maternité, la face cachée du sexisme, vient tout juste de sortir en librairie.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

 

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