Chroniqueuse du mois

Rosalie Bergeron: la femme aux mille et une vies

Les femmes qui m’inspirent ont le cœur grand ouvert, et l’esprit encore plus. Elles sont authentiques et passionnées, mais ce qui m’émeut surtout, c’est cette force tranquille qui les habite. Voici l’histoire de l’une d’entre elles: Rosalie Bergeron.

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Rosalie Bergeron

Rosalie Bergeron

J’ai rencontré Rosalie Bergeron lorsqu’une amie m’a recommandé ses services. Elle faisait les ongles dans un salon de coiffure de la rue Saint-Denis. On m’a dit qu’elle était la meilleure en ville. Au-dessus de sa petite table, entre le limage et la couche de finition, je suis tombée sous son charme. Trente-huit ans, elle? Impossible! C’était il y a cinq ans.

Aussi improbable que naturelle, notre amitié s’est soudée au fil des rendez-vous. Rosalie, c’est une petite tornade, une boule d’énergie, une femme passionnée, drôle et allumée. Je l’ai suivie quand elle a ouvert son propre salon, un peu plus haut sur la même rue. On a continué à se raconter nos vies entre deux couches de vernis.

Avec le temps, les cafés ont pris le relais des manucures. J’ai découvert sa vie et son parcours pour le moins atypique.

À 15 ans, Rosalie est tombée amoureuse d’un gars pas mal plus vieux qu’elle. Quatre ans plus tard, elle mettait au monde son premier enfant, Alexandre, et quelques mois après, elle perdait son deuxième bébé après sept mois de grossesse, un souvenir encore douloureux aujourd’hui. «À 20 ans, tu penses que t’es invincible et que rien ne peut t’arriver. Ça a changé ma vision de la vie en général et de la fragilité. Je me souviens d’avoir réalisé qu’avoir un enfant, c’est la seule chose que tu fais dans la vie où une fois que t’as commencé, tu ne peux plus reculer».

L’année suivante, la naissance d’Olivier, son deuxième fils, mettra un baume sur cette épreuve.

À 25 ans, c’est la séparation. Pas d’études universitaires, ni vraiment d’expérience d’emploi, Rosalie dégote un petit boulot de serveuse dans une pâtisserie, rue Van Horne. Elle y trouve une deuxième famille. «Un des deux gars avec qui je travaillais, Mathieu, m’a donné ma chance, il a accepté de m’engager en me disant qu’il allait m’apprendre. J’ai l’impression qu’on ne fait plus beaucoup ça aujourd’hui. Je vais toujours m’en souvenir. »

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Comme Rosalie, je me rappelle très bien ceux qui m’ont donné ma première chance. Ça change une vie.

Rosalie économise ensuite ses sous pour suivre un cours de pose d’ongles. «Ça m’a pris un an pour ramasser les 750 $ dont j’avais besoin pour payer la formation. Je faisais 8 000 $ par année, et j’avais deux enfants! »

Battante, vous dites? La créativité et la détermination dont peuvent faire preuve les mères dans des situations précaires me surprennent toujours. J’ai une admiration sans bornes pour ces femmes inventives dont le cœur devient le seul moteur.

Sur la rue Fleury, Rosalie trouve un salon qui désire offrir un service de manucure. «J’étais là, tous les jours, et j’ai bâti ma clientèle. J’ai fait ça durant presque 16 ans!»

Dans sa vie personnelle aussi, le vent a tourné. Le soir du 10 septembre 2001, elle a connu son chum actuel. «Je me souviens de la date parce que c’est en nous réveillant chez lui, le lendemain matin, qu’on a découvert ce qui s’était passé. New York crashait, et nous, notre histoire naissait.»

Trois ans après l’écroulement des tours jumelles, Rosalie mettait au monde sa fille Dali, et deux ans plus tard, Boris, son petit dernier. De nouveaux membres dans sa grande famille, de nouvelles couleurs pour sa courtepointe. Mais il manquait encore des morceaux.

Si tout allait bien à la maison, Rosalie n’était pas heureuse professionnellement. «La job que je faisais, je la trouvais par longs moments très superficielle. Et elle n’a pas de titre! “Je faisais les ongles…” J’avais l’impression que ce n’était pas un métier.» Aux grands maux les grands remèdes, Rosalie quitte tout. Pour la première fois, elle pense à elle.

«Pour être honnête, je n’étais pas très à l’aise avec l’idée de sauter ainsi dans le vide, mais c’était vraiment important pour moi de laisser tomber mon emploi avant d’en trouver un autre. Pour voir ce qui allait ressortir.»

Rosalie au travail

Daniel DesRosiers, propriétaire des la Boulangerie DesRosiers, en compagnie de Rosalie.

Un an après cette table rase, Rosalie termine son cours en boulangerie et travaille à la Boulangerie DesRosiers qui confectionne des pains bios. Une production à son image: authentique. «J’ai fait les choses à l’envers dans ma vie», dit-elle, mais elle n’a pas de regret. Son nouveau travail la comble. «Et j’ai un titre maintenant! Je suis fière de pouvoir le dire: je suis boulangère.»

La passion et la résilience de Rosalie m’inspirent énormément. J’aime l’écouter se raconter. J’ai envie, comme elle, de ne pas avoir peur de me tromper, d’arrêter de chercher le bonheur et de le fabriquer moi-même. Avec une amie comme elle, je vais toujours me rappeler que je peux inventer ma vie comme je l’entends. Et au pire, il y en aura d’autres.


Valérie Chevalier

Valérie Chevalier est comédienne (Lance et compte, La petite reine) et animatrice (Cochon dingue, La Voix). Elle est aussi l’auteure de trois romans: Tu peux toujours courir, La théorie du drap contour et Les petites tempêtes, publiés chez Hurtubise.

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