À l’époque encore récente où j’occupais des fonctions aux responsabilités fort exigeantes, mes vacances m’apparaissaient comme une bouée de sauvetage. L’occasion unique de recharger pour vrai mes batteries: littéralement, cela signifiait pour moi de me nourrir de soleil. Pas besoin de chaleurs écrasantes, juste d’un ciel bleu au Québec, dans les Maritimes ou sur la Côte Est américaine.
Concordance familiale oblige, mes vacances devaient toutefois avoir lieu pas trop tard en juillet. Or, depuis quelques années, l’été s’était mis à nous jouer des tours: ses meilleurs rayons se déplaçaient vers le mois d’août. Un décalage de moins en moins subtil, que j’ai vécu aux premières loges. Qu’est-ce que j’ai pu râler! Qu’est-ce que c’était que cette pluie, ces nuages, ce petit air frisquet qui venaient gâcher mes précieuses vacances? N’était-il donc plus possible de fondre au soleil un 7 juillet?
Je regrettais les vacances ensoleillées des temps passés, enviaient ceux qui tomberaient, eux, sur les «bonnes» semaines. La dépression saisonnière me menaçait même en plein cœur de l’été.
C’est dire si, cette année, j’aurais de quoi pousser les hauts cris. Dans bien des régions du Québec, les records désolants s’accumulent depuis le printemps. Juste à Montréal, juste en juillet, pas une fois la température n’a atteint les 30 degrés Celsius, certains petits matins ont été si frais que la tentation de partir le chauffage s’est pointée, et passer une journée sans quelques heures de pluie a paru relever du miracle.
J’avoue, j’ai râlé… mais finalement pas tant.
Il faut dire que les hasards de ma nouvelle vie de journaliste indépendante ont fait en sorte que j’aie beaucoup d’engagements cette saison. Travailler pendant un été pourri, c’est quand même un moindre mal, me suis-je d’abord dit. Jusqu’à ce que je constate que bien davantage que cet accommodement tout rationnel, les désolantes dernières semaines ont bel et bien réussi à me raccrocher à l’été.
En fait, tout ça part de mon obsession des derniers mois pour MétéoMédia. En mai, nous avions des travaux à faire faire à l’extérieur de la maison. Ils ne devaient durer que quelques jours mais, pour les compléter, il fallait tomber sur deux journées en ligne de beau temps. J’avais beau vérifier aux heures les prévisions météorologiques pour les jours à venir, ça aura finalement pris un mois pour arriver à la combinaison gagnante!
Évidemment, être ainsi à l’affût a fini par influencer non seulement la planification avec notre entrepreneur, mais aussi celle de mon quotidien. Beau temps prévu dans deux jours à 17 heures? Occasion d’inviter des amis pour manger sur notre terrasse, même si c’est mardi! Un document à lire? Ce sera dehors à 10 heures, juste comme le soleil se pointera. Pluie prévue tout samedi après-midi signifie heures de boulot à l’ordinateur. Pluie en soirée mercredi? Hop au cinéma! Et ce qu’on fera d’une journée de congé ne se décidera qu’à quelques heures d’avis, une fois site météo et ciel scrutés.
Et c’est ainsi qu’en une fin de journée de la mi-juillet, profitant de ce qu’il faisait doux pour rentrer à pied d’un engagement professionnel, le présent m’a pour ainsi dire rattrapée.
Il y avait une telle atmosphère dans cette rue que je parcourais! Elle était pleine de gens qui, comme moi, s’en allaient à pied vers chez eux, mais sans la fébrilité habituelle de l’heure de pointe: chacun flânait comme si c’était dimanche. Même les parents qui venaient d’aller chercher leur enfant à la garderie avaient l’air décontractés. Et tous les détails prenaient du relief: les couleurs des bacs de fleurs, la devanture des commerces, les odeurs du café du coin, la boîte de livres à échanger que je n’avais jamais remarquée jusqu’ici. C’était beau, on était bien, c’était en cet instant même l’été.
L’impression nette de savourer le moment s’est répétée souvent ces dernières semaines. Un brunch du dimanche enfin possible au grand air. Une accalmie dans un samedi pluvieux qui permet d’aller cueillir des framboises au jardin et de les trouver plus goûteuses que jamais. L’inattendue beauté des pignons des vieilles maisons montréalaises quand ils se détachent sur un ciel soudain tout bleu. La douceur du soleil sur la peau quand il trouve un trou dans les nuages. Et tout café du matin savouré dehors aura été une victoire sur la pluie qui plus tard s’est pointée. Ah été, tu pensais filer et pourtant on t’a attrapé!
Il en reste encore quelques semaines pour en ramasser des morceaux et s’empresser de les apprécier. Je prends donc une petite pause pour mieux m’y consacrer.
Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir, où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.