Santé

Dilemme sous le soleil

Le soleil est à la fois bon et mauvais pour la santé. Alors, on s’expose ou pas ? Et si oui, comment ?

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Quand l’été arrive, je m’enduis de crème solaire. Bien sûr. Je procède même de façon « scientifique ». J’en applique sur les parties du corps qui ont le plus tendance à brûler, comme le dos ou le visage, mais pas sur celles qui prennent du temps à bronzer, comme les jambes. L’astuce : rester juste assez longtemps pour qu’elles rougissent, puis les couvrir… en me croisant les doigts pour qu’elles se colorent un peu. Un système compliqué et… complètement fou ! Je sais ! Mais j’aimerais tant être comme ces filles dont la peau brunit naturellement, tels des biscuits au four. (Moi, je serais plutôt du genre crème glacée napolitaine pas très chocolatée – blanc, rouge et un peu de brun.)

Je ne suis pas la seule qui continue à se faire rôtir au soleil malgré toutes les mises en garde contre les effets nocifs des rayons ultraviolets. Il suffit d’aller sur les plages pour le constater. Toutes les bonnes intentions de se protéger fondent (au soleil), on dirait, quand il faut choisir entre le bronzage, maintenant, et un hypothétique cancer dans 20 ans… La plupart d’entre nous, malheureusement, décident de satisfaire leur envie immédiate. « Ma propre fille, étudiante en médecine, part en vacances au soleil avec un produit à facteur de protection solaire de 2 pour pouvoir revenir dorée. Une fille de dermatologue ! » soupire le docteur Guy Sylvestre, de la Clinique de dermatologie esthétique de Montréal.

Même si les peaux diaphanes à la Nicole Kidman, Cate Blanchett ou Scarlett Johansson sont in, un teint hâlé reste pour plusieurs synonyme de beauté et de vacances réussies. Surtout chez les jeunes, pour qui les rides et le cancer se situent à des années-lumière de leurs préoccupations. Et les dermatologues n’ont pas fini de prêcher dans le désert, car on vient de découvrir de nouveaux bienfaits attribuables au soleil…

On sait depuis longtemps que les rayons UVB, ceux qui causent les coups de soleil, permettent à l’organisme de synthétiser la vitamine D. Cette vitamine est bonne pour l’humeur et la densité des os. Mais voilà que des recherches récentes démontrent qu’elle réduit aussi le risque de souffrir de plusieurs cancers : cancer du sein (50 %), cancer du côlon (60 %), et cancer des ovaires ou de la prostate. De plus, elle prévient des dérèglements du système immunitaire, comme la sclérose en plaques et l’arthrite rhumatoïde. Or, sous nos latitudes nordiques, où les rayons UVB sont pratiquement absents de novembre à mars, ces maladies sont beaucoup plus répandues que dans les pays ensoleillés.

Le soleil, c’est bon pour…
• la vitamine D. L’organisme fabrique, sous l’action des rayons solaires, cette vitamine qui contribue à la santé des os et à la prévention de certains cancers (sein, côlon, ovaires et prostate) et de dérèglements du système immunitaire (sclérose en plaques, arthrite rhumatoïde, etc.);
• le moral.

S’exposer au soleil n’est pas idéal pour…
• prévenir les rides : les UVB brûlent la peau, entraînant son vieillissement prématuré, et les UVA la font se relâcher et perdre de sa fermeté;
• obtenir un apport suffisant en vitamine D : mieux vaut prendre des suppléments (1 000 UI/jour).

Abuser du soleil, c’est mauvais pour…
• la peau, qui devient plus vulnérable au cancer.

Alors, pourquoi pas un petit bain de soleil, si ça nous chante ? L’été est tellement court… Et après tout, les êtres humains sont probablement faits pour vivre à l’extérieur et pas dans des tours à bureaux, non ?

La question était suffisamment importante pour que des experts canadiens, américains et australiens se réunissent en 2006 afin d’en discuter. « Le problème, c’est que la durée d’exposition nécessaire à chacun pour fabriquer cette vitamine varie selon la couleur de la peau, l’âge, la région où l’on vit, le moment de la journée et la saison, répond la docteure Cheryl Rosen, de l’Association canadienne de dermatologie. Cela fait beaucoup de facteurs à considérer ! »

Durant l’été, les rayons solaires permettraient à l’organisme de fabriquer chaque jour une quantité plus que suffisante de vitamine D. En principe, du moins. « À Hawaï, on a mesuré le taux de vitamine D dans le sang de personnes qui passaient 22 heures par semaine à l’extérieur sans écran solaire, raconte le docteur Sylvestre. À la grande surprise des chercheurs, leur taux oscillait entre bas et moyen. Bref, pour être certain d’obtenir une dose suffisante, il vaut mieux prendre des suppléments. »

C’est aussi l’opinion de la majorité des dermatologues, d’autant plus que les doses recommandées pour prévenir certaines maladies sont beaucoup plus élevées qu’auparavant : la Société canadienne du cancer suggère de prendre jusqu’à 1 000 unités internationales (UI) de vitamine D par jour durant l’hiver. Ces suppléments sont en vente libre dans toutes les pharmacies sous forme de comprimés.

De toute façon, ne comptez pas sur le docteur Sylvestre pour vous donner congé d’écran solaire. À l’aide du système d’imagerie Visia, il prend des photos de ma peau pour en mesurer le photovieillissement. Sur mes joues, on voit de petites marques de toutes sortes, pourtant invisibles à l’œil nu. « Vous voyez ces taches ? me dit-il. Elles sont causées par les rayons UV. Et au fil des ans, leurs effets s’additionnent. » Lorsqu’on abuse du soleil, la peau se venge. Après des années d’exposition sans protection adéquate, l’épiderme s’épaissit, les pores s’élargissent, le teint jaunit et les rides apparaissent. Charmant.

Si la peur du cancer reste sans effet sur les comportements, la perspective d’être racornie comme une merguez trop cuite aura peut-être plus de poids. La docteure Michèle Ohayon, qui travaille avec le docteur Sylvestre, me montre des photos de cous flétris et de peaux relâchées. « Tout cela est dû aux UVA », dit-elle. La perte de fermeté aussi ? « Absolument. Les UVB causent les coups de soleil, mais ne s’attaquent qu’à l’épiderme. Les UVA pénètrent plus profondément et altèrent les fibres d’élastine et de collagène, qui assurent le tonus de la peau. » La dermatologue m’indique la photo d’une professeure qui a enseigné pendant 30 ans dans la même salle de cours. Durant toutes ces années, elle s’est toujours assise du même côté de la fenêtre. Résultat : d’un côté du visage, sa peau est flasque et quadrillée de fines ridules. « Contrairement aux UVB dont l’intensité atteint un maximum entre 11 h et 15 h, les UVA sont actifs du lever au coucher du soleil, hiver comme été, quelle que soit la latitude où nous vivons », ajoute la dermatologue. Et ils traversent les vitres.

Pour réparer les dégâts
Si on a abusé du soleil et que notre peau présente des rides ou des taches brunes, des traitements dermatologiques peuvent gommer une partie des dommages. La lumière intense pulsée (LIP ou IPL pour Intense Pulsed Light) est une technique sans danger et sans effets secondaires, qui utilise des ondes lumineuses pour effacer les taches, éclaircir le teint, affiner le grain de peau et réduire les petits vaisseaux dus à la couperose ou à la rosacée. Cinq à six séances (à raison d’environ 350 $ chacune…) sont parfois nécessaires pour arriver à un résultat maximum. Aucune convalescence n’est requise et l’on peut retourner à ses activités tout de suite après le traitement.

 

Devrait-on porter un écran solaire du matin au soir ? « Si on veut prévenir les rides, on devrait adopter un FPS 30 pour tous les jours », répond la docteure Cheryl Rosen. La docteure Ohayon partage son avis. Pour sa part, elle utilise quotidiennement la crème solaire Anthelios 60, qui offre aussi une bonne protection contre les UVA. « Je sais que ça semble un peu maniaque, dit-elle. Mais c’est le meilleur antirides qui existe. » Dermatologue depuis 20 ans, elle a effectivement une peau de bébé.

Le problème avec les crèmes solaires, c’est que le FPS inscrit sur les contenants indique uniquement le degré de protection contre les UVB. Le coefficient de protection contre les UVA, lui, n’est pas mentionné car, au Canada et aux États-Unis, aucune loi n’oblige les fabricants à le faire.

La seule façon de tirer cela au clair, c’est de scruter la liste des ingrédients. Selon les dermatologues de la Clinique de dermatologie esthétique de Montréal, trois composés ont fait leurs preuves contre les UVA : le Mexoryl, présent dans les produits L’Oréal, dont Anthelios, Ombrelle, Biotherm et Vichy ; l’Helioplex, dans les produits Neutrogena ; et le Tinosorb, un tout nouvel ingrédient très performant, qui vient d’Europe et qu’on trouve dans les crèmes Minesol de Roc.

Malgré tous ces filtres, les cas de cancer de la peau ne cessent d’augmenter. « Le carcinome basocellulaire, le plus répandu, touche des gens de plus en plus tôt, dit le docteur Ari Demirjian, de la Clinique de dermatologie privée de Montréal. Il y a quelques années, ce type de cancer se manifestait chez des personnes de 50 ans. Aujourd’hui, je le diagnostique chez des jeunes de 30 ans ! »

Les cancers de la peau ont augmenté de 60 % au cours des 10 dernières années.

Des spécialistes se sont demandé si les crèmes solaires n’étaient pas en cause. Deux chercheurs de l’Université de Zurich ont découvert que certains ingrédients, comme le benzophénone, se comportent comme des œstrogènes dans l’organisme : ils inciteraient les cellules cancéreuses à se multiplier – en éprouvette, du moins. Dangereux, les filtres solaires ? Tout le monde ne s’entend pas sur la question. « Nous gardons nos yeux et nos oreilles bien ouverts, dit la docteure Cheryl Rosen, qui a effectué une revue des études sur le sujet. Mais jusqu’à maintenant, rien ne prouve qu’il y ait du danger. »

Les filtres solaires auraient néanmoins un effet pervers. Parce qu’ils permettent de rester plus longtemps au soleil sans brûler, le corps accumule ainsi une plus grande quantité d’UV. « Les gens se fient aveuglément à leur crème solaire, explique la docteure Michèle Ohayon. Ils en appliquent le matin et se croient protégés comme s’ils portaient une armure. » Or, les molécules du produit se modifient chimiquement en absorbant la lumière. Après deux heures d’exposition, elles ne sont plus efficaces. Solution : en remettre à intervalles réguliers.

Autre problème : on est chiche sur les quantités. En laboratoire, pour mesurer le FPS d’un filtre solaire, on badigeonne chaque centimètre carré de peau de 2 mg de crème. « La majorité des gens en appliquent en moyenne 0,7 mg, ce qui est moins que la moitié, ajoute la dermatologue. Ce n’est pas le temps d’économiser ! Appliquez-en généreusement. » Troisième point à retenir : l’écran solaire n’est pas tout. Pour être bien protégée, il faut, en plus, porter un chapeau et des vêtements longs.

« De toute façon, même avec un écran solaire, on se couvre d’un léger hâle, conclut le docteur Ari Demirjian. Si on veut avoir un vrai hâle, on utilise un autobronzant. Il en existe d’excellents et toutes les études confirment qu’ils sont sans danger. »

Et le bronzage en cabine ?
La Joint Canadian Tanning Association, qui représente les propriétaires de salons de bronzage, prétend sur son site Web qu’un hâle artificiel prépare la peau à mieux affronter le soleil. Mais selon l’Organisation mondiale de la santé, le fait d’être bronzée n’offre qu’une protection équivalente à un FPS de 2 ou 3 contre les coups de soleil. À Santé Canada, on ajoute que les lampes utilisées dans les lits de bronzage peuvent émettre jusqu’à cinq fois plus d’UVA que le soleil, ce qui n’est pas génial pour la peau !

Une étude publiée dans le Journal of the National Cancer Institute, aux États-Unis, démontre que le hâle artificiel multiplie par deux les risques de cancer. « Pour moi, les lits de bronzage sont plutôt des cercueils de bronzage », conclut le docteur Guy Sylvestre, de la Clinique de dermatologie esthétique de Montréal.

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