Dans notre monde moderne, les changements de saison passent presque inaperçus. Peu importe le temps qu’il fait, la nourriture reste abondante, les déplacements sont relativement faciles, et on est constamment à l’abri, à des températures confortables. Mais notre physiologie est néanmoins régie par certains cycles. En hiver, par exemple, nous produisons plus de mélatonine à cause du manque de lumière; c’est pourquoi nous nous sentons plus endormis et amorphes. De plus, peut-être en raison d’un mécanisme de survie millénaire qui nous incite à faire des réserves d’énergie, on a envie de manger des plats réconfortants et des glucides rassasiants, qui nous rendent encore plus léthargiques. Même si les humains n’ont pas besoin d’entrer en hibernation, certains jours, on a vraiment l’impression que rien ne ferait autant de bien qu’une longue sieste hivernale.
Cependant, nous sommes conditionnés à combattre cet instinct et à considérer l’oisiveté comme un frein à la productivité plutôt qu’un élément essentiel d’une vie saine, et ce, même si on sait que le repos est bénéfique pour la santé. Au 19e siècle, en France, les membres d’une certaine aristocratie intellectuelle, connus sous le nom de flâneurs, promenaient une tortue en guise d’animal de compagnie dans les rues de Paris, adoptant le rythme de l’animal pour se moquer de l’absurdité de la vie des gens pressés. On peut choisir de consacrer du temps à sa tortue. Et ainsi ressentir les bienfaits de la paresse stratégique.
Il est prouvé que le repos est à la santé du cerveau ce que l’entraînement cardiovasculaire est à la santé du cœur. Quand on laisse son esprit vagabonder, un ensemble de régions du cerveau appelées «réseau du mode par défaut», qui sont impliquées dans la créativité, est activé. C’est à ce moment que nous viennent nos meilleures idées, explique Andrew Smart, chercheur en neurosciences et auteur de l’ouvrage Autopilot: The Art and Science of Doing Nothing. Même si nous en sommes venus à croire qu’efficacité égale multitâche, une recherche menée à l’Université Stanford en 2009 a démontré que les plus connectés d’entre nous ont perdu la capacité de bloquer l’information non pertinente et sont moins attentifs (même lorsqu’ils ne sont pas en mode multitâche). Selon Andrew Smart, nous pouvons remédier à cet état de choses en mettant volontairement notre cerveau en mode pilote automatique et en le laissant errer comme bon lui semble – en regardant par la fenêtre, par exemple, ou en marchant à l’extérieur sans téléphone intelligent. Les récompenses: révélations, prises de conscience, solutions à nos problèmes, baisse du niveau de stress.
Malgré tout ce que l’on sait sur le pouvoir réparateur du sommeil, faire la sieste est encore souvent perçu comme de la paresse – du moins en Amérique du Nord. Mais Kimberly Cote, professeure de psychologie et directrice du laboratoire de recherche sur le sommeil à l’Université Brock à St. Catharines, en Ontario, rapporte qu’il a été prouvé que faire la sieste améliore la vivacité d’esprit, l’humeur ainsi que la mémoire. La sieste a même d’autres bienfaits: une étude menée l’an dernier par la European Society of Cardiology a démontré que les personnes qui faisaient une sieste chaque jour avaient une pression artérielle moins élevée. Une autre étude, de l’Université du Michigan, a établi un lien entre la sieste pendant la journée de travail et une plus grande tolérance à la frustration, une productivité accrue et un comportement moins impulsif. Kimberly Cote recommande une sieste éclair de 20 minutes l’après-midi – juste assez longue pour qu’on en ressente les bienfaits, sans entrer en phase de sommeil profond.
Malgré les mises en garde de nos grand-mères selon lesquelles la télé ramollirait le cerveau, certains experts sont d’avis qu’elle peut favoriser la stabilité émotionnelle. Dans une étude menée par l’Université d’Oklahoma en 2015, les personnes à qui l’on avait fait visionner les téléséries Mad Men et The West Wing [À la Maison-Blanche] ont obtenu de meilleurs résultats aux tests d’intelligence interpersonnelle que celles qui avaient visionné des documentaires – l’explication étant que les récits de fiction complexes forcent le spectateur à envisager les situations selon différents points de vue. Le même raisonnement vaudrait d’ailleurs pour le visionnement en rafale de séries plus légères, telles que Friends et Gilmore Girls. « Une personne qui vit une expérience de rejet est plus susceptible de se tourner vers ses émissions et ses personnages favoris », explique Jaye Derrick, professeure de psychologie à l’Université de Houston. Après le visionnement, «elle se sent moins rejetée, elle est de meilleure humeur et elle a, sur le moment, une plus grande estime de soi». Jaye Derrick, qui étudie depuis 2008 les effets de la télé, a également observé qu’après avoir visionné leurs émissions préférées, les gens se sentent énergisés, ont une meilleure maîtrise de soi et sont plus disposés à aider les autres. «Je n’irais pas jusqu’à prescrire la télévision, ajoute Jaye Derrick, mais je dis aux personnes pour qui regarder la télé est un plaisir coupable qu’elles ne doivent pas se culpabiliser.»
Bien sûr, être actif est la clé pour rester en santé. Il est tout de même réconfortant de savoir que des chercheurs de l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, affirment que nous sommes «programmés pour la paresse» et que, dans toutes nos activités, notre corps cherche naturellement la façon la plus facile d’exécuter le travail, afin de conserver son énergie. Dans une étude publiée en 2015, l’auteure principale, Jessica Selinger, a analysé la démarche de personnes soumises à une résistance externe (en l’occurrence une attelle à la jambe). Elle a observé que l’organisme optimise continuellement ses dépenses énergétiques, et que le système nerveux modifiera notre façon habituelle de marcher si cela peut lui faire économiser un tant soit peu sa précieuse énergie. «Ce sont là d’excellentes nouvelles pour les athlètes d’endurance, qui ont besoin de réserves pour terminer une épreuve, observe Jessica Selinger. En revanche, si on fait de l’exercice dans le but de brûler un maximum de calories, d’une certaine façon on lutte contre son système nerveux.»
Peut-être devrions-nous, de temps à autre, faire comme les flâneurs et laisser notre nature paresseuse prendre le dessus.
Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
ABONNEZ-VOUS À CHÂTELAINE
Joignez-vous à notre communauté pour célébrer la riche histoire du magazine Châtelaine, qui souligne ses 65 ans en 2025. Au programme : de nouvelles chroniques, une couverture culturelle élargie, des reportages passionnants et des hommages touchants aux femmes inspirantes qui ont eu une influence positive et durable sur notre société.