Santé

Est-ce que je bois trop ?

Ah ! la bonne question. La réponse tient autant de la science que du bon jugement de chacune. Du petit verre festif à l’alcoolisme, il y a une infinité de nuances.

Autant le dire franchement, pour moi, le sujet de l’alcool a longtemps été sans intérêt. Après tout, un verre de vin, c’est bon pour la santé. En plus, ça détend les nerfs. Alors, où est le problème ?

Les comportements face à l’alcool ont changé. Dans les années 1990, les Québécois consommaient surtout de la bière. Aujourd’hui, le vin arrive en première place. Boire un peu pour accompagner un repas fait maintenant partie de leur mode de vie. Plus de 8 Québécois sur 10 consomment de l’alcool : une tendance à la hausse. Et le pourcentage des gens qui boivent tous les jours a doublé en cinq ans.

Levons-nous trop souvent le coude ? « C’est ça, gâche nos rares moments de plaisir », me répondent deux amies à qui je pose la question pendant qu’elles sirotent des coolers à la lime dans la cuisine. D’horribles boissons au goût de vodka et de Kool-Aid que l’on désigne, en français, sous le curieux nom de panaché. À cause de leur vague parenté avec les jus de fruits, elles sont populaires auprès des femmes. Mais, avec 7 % d’alcool, c’est un « jus » qui cogne pas mal fort, plus fort que la bière, du moins. De fait, une heure plus tard, mes deux copines pleureront de rire dans leur linge à vaisselle.

Un peu partout dans le monde, divers organismes ont émis des lignes directrices pour déterminer les seuils de consommation qui favorisent une meilleure santé. Au Canada, on suggère aux femmes de prendre au plus deux consommations par jour pour un total de neuf par semaine. Les hommes, par contre, peuvent se permettre jusqu’à 3 verres par jour pour un maximum hebdomadaire de 14.

Ces recommandations se fondent sur des recherches scientifiques. Le hic, c’est qu’elles varient d’un pays à l’autre. En France, en Espagne et au Royaume-Uni, elles sont fixées à trois verres par jour pour les femmes. C’est aussi le maximum suggéré par l’Organisation mondiale de la santé. Par contre, aux États-Unis, le maximum est d’une seule consommation. Alors qu’en Norvège et en Irlande, il n’y a aucune limite. Question de science ou de morale ?

Selon le Centre international des politiques en matière d’alcool, ces données prennent en compte la culture et le mode de vie d’un pays. Soyons honnêtes, en Europe, les verres sont légèrement plus petits que les nôtres. N’empêche. Les normes européennes demeurent dans l’ensemble plus permissives.

Le taux d’alcool dans le sang est plus élevé chez la femme que chez l’homme pour la même quantité d’alcool ingérée : le corps des femmes contient moins d’eau et leur foie, qui aide à éliminer l’alcool, est plus petit.

« C’est vrai, dit Louise Nadeau, professeure et chercheure à l’Université de Montréal, et présidente de l’organisme Éduc’alcool. Personnellement, j’ai décidé de me limiter à un ou deux verres par jour. Déguster une bonne bouteille, c’est un des plaisirs de la vie mais, malheureusement, les liens entre l’alcool et le cancer du sein se confirment. Au-delà d’un verre, les risques augmentent. »

On a tellement entendu parler des bienfaits du vin rouge qu’on oublie que l’alcool n’est pas un aliment comme les autres. Il est vrai que boire un peu, de façon régulière, a un effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires, les calculs biliaires et rénaux, l’arthrite et même l’alzheimer. Mais ces bénéfices s’obtiennent – hélas ! – seulement à partir de la ménopause.

Quand on prend un verre, l’alcool, dont les molécules sont très petites, se répand dans le sang et dans tous les organes du corps. L’éthanol, qui en est le principal composé, irrite le système digestif : la bouche, la gorge, l’œsophage, l’estomac et l’intestin. L’alcool donne aussi un surplus de travail au foie, qui doit décomposer et filtrer 15 grammes d’alcool à l’heure – une consommation équivaut à 10 grammes. À petites doses, ça va, mais à partir de trois verres par jour, les risques de cirrhose deviennent importants.

L’organe sur lequel l’alcool agit le plus rapidement est le cerveau. Après un seul verre, des gens qui n’avaient rien à se dire engagent la conversation. Après deux, la discussion s’anime. Après trois, tout le monde parle plus fort. Et quelque part entre la troisième et la cinquième consommation, on commence à s’obstiner : dans les partys de famille, c’est le moment où il faut laisser tomber les sujets controversés ou cesser de remplir les verres.

L’alcool rend-il agressif ? Les spécialistes disent que non. Par contre, il relâche les inhibitions. Ainsi, un petit fond de rancune risque de remonter à la surface après quelques verres. Les capacités cognitives et verbales, qui permettent de peser ses mots et d’éviter les gaffes, sont amoindries. Et c’est parfois le dérapage. Il nous est arrivé à toutes de regretter des choses dites sous l’effet de l’alcool. Après quatre verres, Éduc’alcool considère que la plupart des femmes sont intoxiquées, donc ivres ou, du moins, relativement pompettes. La solution : arrêter avant de se rendre jusque-là !

« Et comme l’alcool est un dépresseur du système nerveux central, le lendemain d’une soirée bien arrosée, on ressent de la fatigue et un manque d’entrain, ajoute Louise Nadeau. Si vous vous sentez triste ou déprimée, essayez de réduire votre consommation d’alcool. Bien des gens qui cessent de prendre un verre dorment mieux et se réveillent avec plus d’énergie. »

Un autre argument massue ? L’alcool fait grossir. Un verre de vin représente 150 calories. Alors, si on en prend deux ou trois, le total grimpe très vite. Et pire, ces calories vides s’installent directement sur le ventre.

À essayer si on reçoit et qu’on ne veut pas que ses invités dépassent les bornes :
• limiter sa consommation d’alcool pour garder l’esprit alerte et prévenir les pépins ;
• ne pas remplir les verres trop vite ;
• disposer des tables un peu partout pour que les invités puissent y déposer leurs verres ;
• placer des pichets d’eau et de l’eau pétillante à portée des invités ;
• offrir des aliments en apéro, pas juste de la bière et du vin : cela empêche le taux d’alcool de grimper trop vite ;
• cesser de servir de l’alcool quand, selon le bon sens, cela suffit.

Une consommation d’alcool, c’est 341 ml (12 oz) de bière, 142 ml (5 oz) de vin et 43 ml (1,5 oz) de spiritueux. Attention à la grosseur des verres : pour vraiment savoir quelle quantité d’alcool on boit, il faut sortir sa tasse à mesurer. Une bouteille de vin (750 ml) équivaut à 5,17 verres. De tels calculs en valent la peine, car la plupart des gens sous-estiment la quantité d’alcool qu’ils absorbent. « Vider une bouteille à deux tous les soirs, c’est trop, dit Louise Nadeau. Il faut prendre l’habitude de la reboucher et de la mettre au frigo. »

Le hic, c’est que, si on vit en couple, il est difficile de savoir qui a bu quoi. Certaines de mes amies ont donc décidé de faire « bouteille à part ». « Ça fait matante, mais c’était la seule façon de vraiment contrôler les quantités », raconte l’une d’elles.

Pour réduire leur consommation, certaines se livrent à de savantes contorsions, comme couper leur vin avec de l’eau pétillante ou se procurer de plus petites coupes à vin. Ce qui fonctionne, dans mon cas, c’est de préparer le souper plus tôt, pour ne pas étirer indûment l’heure de l’apéro.

Le stress influence la consommation d’alcool. La sociologue et chercheure Andrée Demers a démontré – et ce n’est pas une surprise – que le stress au travail augmente le nombre de fois où on en boit.

Récapitulons : se limiter à neuf verres par semaine, c’est meilleur pour la santé. Mais dépasser ce nombre ne signifie pas qu’on est alcoolique. Et, contrairement à ce que l’on croit, prendre un verre avec soi-même comme seule compagnie n’est pas le signe d’un problème d’alcool. « Le tiers des personnes qui consomment de l’alcool boivent seules, dit Andrée Demers, qui a effectué une importante recherche sur la question. Non pas parce qu’elles sont alcooliques, mais tout simplement parce qu’elles… vivent seules. »

Alors, quels sont les signaux d’alarme pour déceler une relation problématique avec l’alcool ? En voici quelques-uns : paniquer à l’idée qu’on ne boira pas de la soirée, éviter d’aller chez des amis parce qu’ils ne servent pas d’alcool ou toujours consommer plus que ce qu’on a prévu. Ces comportements indiquent qu’une certaine dépendance s’est développée. « Et si votre journée débute vraiment au moment de votre premier apéritif ou si l’ivresse devient le moteur de votre vie, il faut demander de l’aide », ajoute Louise Nadeau.

Les hommes lèvent le coude surtout par habitude. Mais pour les femmes dont la consommation est excessive, l’alcool représente d’abord une solution avant de devenir un problème. « La plupart de celles qui boivent beaucoup le font par automédication, ajoute la chercheure. Elles se sentent anxieuses ou déprimées et l’alcool soulage leur détresse pendant les deux ou trois heures qui suivent. Mais, une fois que l’effet euphorisant est passé, la déprime revient en force, à cause de l’effet dépresseur de l’alcool. Elles en reprennent donc et c’est le début d’un cycle infernal. »

Pour éviter d’en arriver à la dépendance, les experts nous suggèrent de ne pas boire d’alcool une journée par semaine. Et vous savez quoi ? Je connais bien des femmes pour qui c’est difficile.

« Il ne faut pas être obsédées avec les quantités d’alcool que nous consommons, conclut Louise Nadeau. Mais il faut tout de même rester vigilantes. C’est ennuyeux, je sais, parce qu’une légère ivresse, c’est tellement agréable… »

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