Tous les printemps, c’est la même histoire. Les journées allongent, les oiseaux chantent, la marmotte sort de son trou et je baigne dans le bonheur… Non, ce n’est pas vrai. C’est le moment de l’année où je me traîne. Où j’ai des symptômes bizarres. Une légère douleur ici. Un petit malaise là. Je suis fatiguée.
Et vous aussi, probablement. Un patient sur quatre consulte son médecin pour cette raison. « Plus de 60 % des gens se plaignent de fatigue, même si ce n’est pas le premier motif de leur consultation », dit le docteur Jean Drouin, conférencier et auteur de plusieurs livres sur la santé. « Et ce nombre va en augmentant. »
Nous travaillons plus qu’avant : entre 1991 et 2001, notre semaine de travail s’est allongée de trois heures, révèle Statistique Canada. D’autre part, nos heures de sommeil diminuent. Les femmes de 30 à 60 ans dorment en moyenne 6 h 45 min par nuit, selon la National Sleep Foundation américaine. Ce qui est peu, compte tenu de la longueur de nos journées.
Des femmes épuisées, la docteure Diane Normandin, de la Clinique privée de médecine familiale, en voit tous les jours. « Elles souffrent de migraines, d’étourdissements, de tensions musculaires, de douleurs à la poitrine. Elles ne sont pas cardiaques… juste au bout du rouleau. »
Et il y a les effets psychologiques de la fatigue. « C’est comme si j’avais un hamster dans le cerveau, me confie la directrice des communications d’une grande maison d’édition. Dès que je pose ma tête sur l’oreiller, je pense à ce que je dois faire ou aurais dû faire. J’ai l’impression de ne pas avoir dormi depuis 15 ans. »
Moi, je deviens irritable. Tout m’énerve, la sonnerie du téléphone, les pubs à la télé, le chat qui gratte à la porte. « Au moins, tu ne cries pas après tes enfants, me dit une copine, un peu découragée. Tu ne te fâches pas contre des objets. Tu ne donnes pas de coups de pied au réfrigérateur… »
Et je ne me couche pas non plus à 20 h 15, en même temps que les petits, comme le fait une de mes collègues, qui lutte contre une fatigue tenace. « Pourtant, tout va bien dans ma vie, assure-t-elle. Mon travail, mon chum, mes enfants… »
La docteure Diane Normandin prescrit d’abord une batterie de tests pour dépister d’éventuels problèmes à la thyroïde, aux reins et au foie, un manque de fer ou de vitamine B12. Elle vérifie si sa patiente ne souffre pas d’apnée du sommeil, qui, contrairement à la croyance populaire, touche aussi les trentenaires. La plupart du temps, les résultats sont négatifs. « On examine alors les habitudes de vie, explique-t-elle. Je leur demande si elles sont surmenées, anxieuses ou tristes. Parfois, leurs yeux se remplissent de larmes… »
« C’est vrai que les femmes sont fatiguées, confirme la docteure Chantal Ducasse, fondatrice du Centre Multi-Médic. Les hommes aussi, d’ailleurs. On veut grimper les échelons, faire plus d’argent, avoir une belle maison. Le patron dit : “Tu es efficace, on va te donner une promotion.” Mais, ensuite, on doit ramener des millions en chiffre d’affaires, trouver de nouveaux clients. Les femmes vivent un stress incroyable. » Celles qui tentent de concilier boulot et famille ont une vie démente. « Certaines se lèvent aux aurores pour aller reconduire les enfants dans trois écoles différentes, ajoute la docteure Normandin. Elles font leur journée de travail, ramènent les enfants, préparent le souper pour aller ensuite reconduire le plus vieux au hockey ou la plus jeune à sa répétition de danse. Infernal. »
Les célibataires ne s’en tirent pas nécessairement mieux que les mères de famille car elles s’investissent davantage dans le travail et n’ont pas l’excuse des enfants pour quitter le bureau.
« Fatiguées, les filles ? » Nous sommes dans un party, un samedi soir. Toutes les mères présentes pouffent de rire. « On n’est pas fatiguées, on respire à peine », répondent-elles. On a beau s’organiser, il arrive toujours une catastrophe pour tout foutre en l’air. Le lave-vaisselle qui ne marche plus. Le benjamin qui avale un gros caillou de l’aquarium. « Ça va aller, promet le docteur, il n’y a qu’à surveiller ses selles pour s’assurer qu’il est bien sorti. » Formidable. Puis c’est l’aînée qui revient de l’école avec des poux !
« La fatigue n’est pas un signe de faiblesse, c’est une information utile que le corps envoie pour dire : “Arrête et repose-toi”, note le psychologue Michel Grisé. Malheureusement, on vit dans un monde qui ne valorise pas la récupération. On doit sans cesse donner le maximum. »
Prenez cette pub télé qui essaie de nous vendre un décongestionnant. « Ce n’est pas un mal de sinus qui va m’arrêter », décrète une jeune femme qui part s’entraîner. « On n’a même plus le droit de faire une pause quand on est malade ! » s’exclame le psychologue.
Essayons-nous de montrer à quel point nous sommes fortes et bien organisées ? Il faut écouter sa fatigue, disent les experts. Plus on attend, plus on devra prendre du temps pour s’en remettre. Avec les années, on risque l’épuisement professionnel, la dépression…
« Ce n’est pas écrit dans les livres de médecine. Pourtant, lorsqu’on diagnostique un cancer chez un patient et qu’on regarde l’histoire de sa vie, on découvre souvent beaucoup de fatigue et de stress », dit la docteure Ducasse.
Mais quel temps pour le repos ? « On ne peut pas tout faire, ajoute-t-elle. On doit choisir. Il y aura toujours un coût financier, émotif ou physique associé à nos choix. Est-ce que ça vaut le coup de travailler 10 heures de plus par semaine ? On peut trouver un autre boulot ou une autre maison. Mais la santé, on en a juste une… »