Santé

LSD : le microdosage pour la santé mentale ?

Cinquante ans après avoir fait planer la génération hippie, le LSD et les champignons magiques font leur retour… dans les laboratoires de recherche ! Les scientifiques croient que ces substances contribueront à guérir certains problèmes de santé mentale. Et bientôt, à part ça. Entrevue.

Au Canada, aux États-Unis et en Europe, des centaines d’essais cliniques sont en cours pour étudier les effets sur la santé des substances psychédéliques. Leurs premières conclusions révèlent que ces drogues auraient des vertus thérapeutiques en santé mentale et que leur consommation sous forme de microdoses permettrait aux patients d’en bénéficier sans risque de bad trip.

Cette reconnaissance s’accélère depuis quelques mois. Début janvier 2022, Santé Canada a autorisé le recours à la psilocybine (principe actif des champignons magiques) et à la MDMA (agent actif de l’ecstasy) à des fins thérapeutiques pour traiter des formes graves d’anxiété, de dépression, de choc post-traumatique et de trouble obsessionnel compulsif.

Mais dans la Silicon Valley, on n’a pas attendu les résultats de recherches scientifiques : des travailleurs s’adonnent déjà au microdosage de LSD ou de champignons magiques pour booster leur humeur et améliorer leur productivité.

La Dre Gabriella Gobbi, psychiatre, professeure et directrice d’une unité de recherche en psychopharmacologie à l’Université McGill, étudie les effets des psychédéliques sur le cerveau depuis près de 15 ans. Ses travaux pourraient mener à une révolution dans le traitement de la dépression et des troubles anxieux, notamment. Châtelaine l’a rencontrée dans son laboratoire, à Montréal.

Les effets du LSD sur le cerveau ont déjà fait l’objet de recherches scientifiques dans les années 1960. D’où vient le regain d’intérêt pour ce champ d’étude ?
Notre société accorde de plus en plus d’importance à la santé mentale. Et je crois que les antidépresseurs, qui ont un temps été vus comme LA pilule magique, ne suffisent plus à répondre aux attentes des patients. Nombre d’entre eux veulent se soigner de façon plus spirituelle. Les psychédéliques comme le LSD pourraient leur fournir cette option, car ils permettent d’atteindre un niveau de conscience que n’offrent pas les autres médicaments pour vivre des expériences profondes.

Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions ! Ce sont des substances très fortes qui ne devraient être utilisées que sous une surveillance médicale stricte. Je ne pense pas que le LSD deviendra un jour si accessible que les gens le consommeront seuls chez eux, comme le Prozac.

Quels maux soigne-t-il ?
Le LSD stimule la production de sérotonine [le neurotransmetteur lié à la régulation du stress, de l’anxiété et de la dépression] et permet d’accéder, pendant les quelques heures que dure son effet, à une façon différente de penser.

Sa consommation pourrait donner à ceux qui ont des traumatismes enfouis, des problèmes de dépendance ou une perception négative de la vie la possibilité de les envisager autrement. Cela pourrait se faire dans le cadre d’une psychothérapie. Encore une fois, on ne s’attend pas à des miracles. Si on arrive à soigner des stress post-traumatiques lourds, des dépressions profondes ou des cas d’alcoolisme graves, ce sera déjà énorme.

Y a-t-il des risques à prendre des microdoses d’une drogue psychédélique sans supervision médicale ?
Oui, et ils sont très importants. Celui de revivre des traumatismes oubliés et de ne pas être capable de les gérer, en premier lieu. Et celui de provoquer une psychose, des troubles cardiovasculaires et respiratoires ou une dépression, notamment. Ceux qui ont déjà une propension à la bipolarité ou à la schizophrénie risquent même d’y sombrer. J’ai vu de nombreuses personnes, à Montréal, arriver aux urgences après avoir consommé des psychédéliques toutes seules. Il faut éviter cela…

Comment devrait-on consommer les substances psychédéliques pour bénéficier de leurs effets thérapeutiques ?
On doit encore mener bien des recherches pour le savoir. Quelle quantité le patient devrait-il ingérer? Combien de fois? On pense que deux ou trois administrations suffiraient, mais on reste prudents à ce sujet. Dans le cas du LSD, il faudra réaliser des études cliniques sur des patients avant de demander l’approbation de Santé Canada pour qu’il soit administré par des médecins. Si cela aboutit, ça ne devrait pas arriver avant quatre ou cinq ans. Certains mouvements encouragent une légalisation rapide des psychédéliques. Je crois qu’il vaut mieux prendre notre temps.

Santé Canada vient quand même d’autoriser l’utilisation de la psilocybine et de la MDMA pour des thérapies… Qu’en pensez-vous ?
Ces deux substances ont fait l’objet d’un plus grand nombre d’études que le LSD, ce qui explique la décision des autorités. C’est bien qu’elles se montrent ouvertes, mais il faut continuer à mener des recherches cliniques pour mieux connaître les doses à prescrire. Plus de 1 000 patients ont obtenu l’autorisation d’être traités avec de la psilocybine ou de la MDMA au mois de janvier dernier. Ils doivent être bien informés des risques inhérents à ces thérapies.

Vous êtes consciente que la « révolution psychédélique » peut inquiéter bien des gens…
Évidemment. Surtout ici, à Montréal, où les méthodes douteuses du Dr Donald Ewen Cameron ont nui à la perception de nos recherches. [NDLR : dans les années 1960, ce psychiatre de l’Institut Allan Memorial de l’Université McGill a administré de façon illégale de fortes doses de LSD à des patients dont les séquelles se sont avérées irréversibles.] On sait aujourd’hui que les psychotropes peuvent avoir de graves conséquences sur le cerveau. Le microdosage est né de ce constat. On parle de l’administration de petites doses pour que le patient bénéficie des effets antidépresseurs et anxiolytiques sans être mis en danger. Et toujours sous la supervision d’un médecin !


Quels psychédéliques ?

En plus du LSD, les chercheurs s’intéressent à d’autres substances psychédéliques utilisées en microdoses.

Les voici :

  • la psilocybine, principe actif des champignons hallucinogènes;
  • la MDMA, molécule active de l’ecstasy;
  • l’ayahuasca, extrait d’une liane consommée par des indigènes de l’Amazonie;
  • la mescaline, produite à partir du cactus peyotl.

Gabriella Gobbi

Photo : Anne Rouleau-Dick

À propos de Gabriella Gobbi

La Dre Gabriella Gobbi a étudié la psychiatrie et la psychothérapie avant de se spécialiser en neurosciences, d’abord en Italie, son pays d’origine, puis à l’Université McGill, où elle a fait un postdoctorat à la fin des années 1990. Elle n’a plus quitté Montréal, séduite par la possibilité pour les médecins d’y pratiquer en clinique tout en continuant à faire de la recherche. Elle enseigne aujourd’hui la psychiatrie à l’Université McGill et dirige depuis 2007 une quinzaine de chercheurs qui explorent le potentiel des psychotropes sur la santé mentale.

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