Psychologie

Santé mentale : et si on tendait la main aux autres

Dépression, solitude, anxiété… La COVID-19 a mis à mal la santé mentale de la population. Que faire quand son enfant, son conjoint ou sa collègue perd pied ? On est souvent peu outillé pour détecter les signes de détresse chez les autres. Des experts ont conçu des « trousses de premiers soins psychologiques » pour ceux et celles qui veulent aider leurs proches. Explications.

La voix douce de la policière au bout du fil se veut rassurante. « C’est bon, il est rendu à l’hôpital. Ça va bien aller. » Je raccroche en tremblant. C’est fini. Je viens de faire interner en psychiatrie le père de mon enfant.

Ça fait presque une semaine que je ne dors pas. Que je suis dopée à l’adrénaline, apeurée à l’idée que les choses tournent mal. Une semaine depuis le texto paniqué de la blonde de mon ex : « Je pense que ta puce ne devrait pas revenir ici. Son père ne va pas bien, je suis inquiète, ça pourrait déraper. Appelle-moi ! »

C’était en juin 2020, au moment où le Québec émergeait du premier confinement. Les parcs étaient envahis. C’est dans l’un d’eux que je m’imaginais rencontrer pour la première fois la copine de mon ex. Autour d’un gâteau d’anniversaire, peut-être. Certainement pas au palais de justice, en pleine pandémie, pour faire modifier en toute hâte les conditions de garde de notre fille.

Car à la suite du texto fatidique, tout a déboulé. Il y avait l’urgence d’agir, les formulaires à remplir. Et tous les coups de fil à passer : à la police, aux lignes d’aide, aux services juridiques, aux centres de crise, aux grands-parents pour qu’ils s’occupent de la petite en pleine crise. Les heures, les jours à chercher, en cette étrange fin de printemps, comment suspendre la garde partagée, le temps que mon ex-conjoint remette un peu d’ordre dans sa tête. À essayer de le soutenir, de lui faire entendre raison.

En pleine première vague de COVID-19, l’homme avec qui j’ai partagé sept ans de ma vie a chuté, son équilibre bouleversé par la perte de son emploi, l’isolement soudain et le stress constant. Ce sont finalement des policiers, munis d’un mandat obtenu par sa nouvelle copine et moi, qui l’ont escorté à l’hôpital. Obligé de se faire aider, par crainte pour sa vie, mais surtout pour celle de notre fille. Le pire lundi de nos vies.

Les intervenants psychosociaux nous annonceront le diagnostic quelques jours avant de lui donner son congé de l’hôpital : « épisode maniaque exacerbé par une situation exceptionnelle ». Les choses auraient-elles été différentes en temps normal ? On ne le saura jamais.

L’envers de la crise

Chose certaine, mon ex n’est pas le seul dont la santé psychique a flanché au cours de la crise sanitaire. Les victimes collatérales sont légion, d’après la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ), Christine Grou. « Qu’ils vivent à Montréal, Drummondville ou Gaspé, les Québécois et les Québécoises ne vont pas bien. Ça ne les affecte évidemment pas tous, et pas de la même façon. Mais c’est assez généralisé pour dire qu’on a une épidémie parallèle sur les bras ! »

Un constat alarmant qui fait écho aux plus récents chiffres colligés par l’Université de Sherbrooke dans le cadre d’une vaste enquête sur les répercussions psychosociales de la COVID-19. Au Québec, un adulte sur quatre – homme ou femme – présentait des symptômes s’apparentant à un trouble anxieux généralisé ou à une dépression majeure au printemps 2021.

Chez les 18-24 ans, c’était presque la moitié ! Les personnes en situation de pauvreté, les travailleurs de la santé et les personnes immigrantes font partie des autres groupes les plus affectés. Tout comme les femmes, qui, sans surprise, ont dû composer avec une charge de stress décuplée. Donnée particulièrement troublante : les idées suicidaires sérieuses seraient même deux fois plus répandues au sein de la population générale qu’avant l’arrivée de la COVID-19.

Mes réseaux sociaux confirment ce naufrage. Ma messagerie prend parfois l’allure d’une bouée de sauvetage. « Je ne sais plus comment y arriver », échappe Marie-Ève, la voix étouffée. Infirmière en CHSLD, la trentenaire, qui préfère taire son nom de famille par peur de représailles, était au front quand la première vague a frappé. Épuisée et en état de choc, elle s’est résolue à obtenir un arrêt de travail au moment où la deuxième vague se profilait. Au téléphone, elle se raconte entre deux sanglots, le souffle court en raison des trop nombreuses heures supplémentaires abattues. « On n’était pas prêts pour ça. Personne ne l’était », lâche-t-elle.

Ni elle. Ni Gisèle, qui a donné naissance dans le pic de la deuxième vague. Ni Sandrine, qui a vécu la presque totalité de son congé de maternité confinée, alors que son conjoint terminait sa résidence en médecine. Ni Andrée-Anne ni Émie, qui ont tant bien que mal tenu le fort de leur monoparentalité. Ni Isabelle, qui, à titre de gestionnaire, galère depuis des mois pour veiller au moral des troupes. Ni Nancy, qui, avec ses quatre ados, était au bout du rouleau bien avant le confinement. Ni nous.

Des premiers soins psychologiques

Devant ce mal-être, on se sent souvent impuissant. On aimerait tant aider ceux qui souffrent autour de soi. Mais comment ? D’autant que, sauf exception, on est plutôt mal outillé. « La pandémie a révélé de façon criante notre incapacité à déceler les signes de détresse des gens qui nous entourent », indique le chercheur Steve Geoffrion, du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Selon lui, ce n’est pas seulement une question de distanciation physique. « Il y a encore un tabou qui persiste autour de la santé mentale. Il est collectif, mais aussi intériorisé. On minimise ses propres symptômes lorsqu’on ne va pas bien », avance-t-il.

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des ressources pour combler ces lacunes. Ce sont les « trousses de premiers soins psychologiques ». À cet égard, la formation mise sur pied par le psychologue américain George S. Everly est l’une des plus reconnues. Ce professeur à l’Université Johns Hopkins, à Baltimore, offre des ateliers en ligne gratuits où il aborde les facteurs de risque en santé mentale (stress persistant, fatigue, etc.). Il y propose ensuite une méthode d’intervention simple basée sur l’écoute active. Parmi les choses à surveiller : l’isolement soudain, la perte d’intérêt marquée pour le travail, les amis, les loisirs, la consommation accrue d’alcool ou de drogue… Bref, tout ce qui détonne.

Son objectif ? Faciliter la reconnaissance des signes avant-coureurs et savoir quand aller chercher de l’aide extérieure. « Cela fait des années que je martèle qu’il faudrait que tout le monde suive une formation du genre, et que les premiers soins en santé mentale doivent être mis sur un pied d’égalité avec les premiers soins physiques. Il ne s’agit pas de remplacer les professionnels. Mais en comprenant mieux ce qui se passe dans nos têtes, nous irons tous mieux collectivement. Et la crise actuelle est en voie de me donner raison ! »

De ce côté-ci de la frontière, la Commission de la santé mentale du Canada a mis sur pied des cours de premiers soins dès 2007. Présentés en ligne, ils visent aussi à développer des réflexes de soutien. « Nos ateliers n’ont jamais été aussi demandés que depuis le début de la pandémie », souligne la gestionnaire Julie Donaldson.

Steve Geoffrion élabore lui aussi des programmes d’autosurveillance de la détresse psychique destinés aux travailleurs de la santé. Il croit dans les bienfaits de l’approche fondée sur l’intervention des proches. Selon lui, il est urgent d’implanter des formations de type « premiers soins psychologiques » dans les milieux de travail et les écoles. « Il faut aller au-delà des services classiques aux employés [qui fournissent un soutien rapide, mais temporaire]. Les gens doivent apprendre à se sonder et à reconnaître les signes avant-coureurs chez leurs collègues. Un changement de culture est primordial. »

Ce constat, Isabelle Picard, gestionnaire à Radio-Canada, l’a fait très vite quand le couperet du premier confinement est tombé. « La pandémie m’a fait réaliser assez tôt qu’il est nécessaire de créer des espaces individuels afin de s’assurer que tout va bien pour tout le monde, explique-t-elle. Être attentif aux détails, poser des questions détournées et prendre le pouls régulièrement. Ce n’est pas parfait, mais jusqu’à maintenant cela semble nous avoir permis de tenir le coup. »

Santé mentale

La trousse de premiers soins ne remplace pas le travail des intervenants en santé mentale. (Photo : Getty Images/Microgen Images)

Interventions à échelle humaine

L’idée de ces interventions semble d’autant plus pertinente en cette période où les ressources sont elles-mêmes à bout de souffle. Préoccupée, la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, évoque les lignes d’aide qui ne dérougissent pas, les centres de crise qui débordent, les listes d’attente dans le réseau public qui s’allongent pour recevoir des soins professionnels… Plus de 20 000 noms y figuraient encore récemment !

Sans s’improviser psychologue, il peut être utile, voire salvateur, de se donner les moyens de détecter les signes de détresse parmi les membres de sa famille et ses amis. Tout comme on gagnerait à mieux protéger son propre équilibre psychique, selon Janie Houle, professeure au Département de psychologie de l’UQAM. « En situation de crise, la capacité d’adaptation des gens est mise à rude épreuve. C’est très énergivore. Il faut donc faire un effort continu pour veiller sur sa santé mentale et son bien-être », dit-elle.

Elle suggère une technique d’autogestion qui consiste à déterminer et à cultiver ce qui nous fait du bien au quotidien. « Ça n’a pas besoin d’être compliqué, dit-elle. Ça peut être une joyeuse routine avec les enfants, un bon repas, un émerveillement soudain devant un coucher de soleil, une heure de sport… L’important est de s’accorder des moments de répit et de laisser un peu de place pour ces émotions positives, même quand les journées sont plus dures. » Elle utilise d’ailleurs cette technique avec des patients sujets aux troubles de l’humeur, aux dépressions chroniques ou à l’anxiété sévère.

Un bon début…

Évidemment, cette autogestion, tout comme les formations en « premiers soins », ne peuvent se substituer à un suivi professionnel, parfois essentiel. « On est davantage ici dans la prévention. C’est un élément de la boîte à outils », prévient la chercheuse, ajoutant qu’il vaut mieux voir ces techniques comme étant complémentaires à la psychothérapie et à la pharmacologie.

Même mise en garde du côté de Julie Donaldson, de la Commission de la santé mentale du Canada. « Nos ateliers sont une bonne base pour mieux lire notre entourage et reconnaître les signes de détresse, mais ils ne pourront jamais remplacer une thérapie, si c’est ce dont vous avez besoin. »

Encore faut-il réussir à avoir accès à un psychologue rapidement… ce qui est loin d’être le cas en ce moment. « La crise sanitaire est venue mettre de la pression partout où ça faisait déjà mal, y compris sur le manque criant de ressources », ajoute Christine Grou.

La situation actuelle est plus qu’exceptionnelle et exige une capacité d’adaptation hors du commun. « Mais aurait-on pu faire mieux ? Sans aucun doute. Notre filet aurait pu – aurait dû ! – être plus solide », précise-t-elle.

À ce sujet, les millions annoncés par le gouvernement Legault à l’automne 2020 pour les services en santé mentale sont un bon premier pas, selon les experts interrogés, même si cela ne sera pas suffisant pour combler les immenses besoins au sortir de la crise.

Quant à moi, le pire lundi de ma vie aura eu quelque chose de salutaire. Heureusement, ma famille s’est accrochée aux dernières mailles du filet… Depuis, nous allons mieux et chacun reprend peu à peu le cours de sa vie. Mais cette épreuve, je ne la souhaite à personne.

« C’est pour ça que la prévention et les investissements dans les ressources sont indispensables, insiste Christine Grou. Parce que les gens doivent savoir quand consulter, mais aussi pouvoir obtenir l’aide dont ils ont besoin quand ils en demandent. »

Et parce que tout ne doit pas se terminer par un internement forcé en psychiatrie.

Comment intervenir auprès de nos proches ?

Malgré la distance imposée par les mesures sanitaires, il est possible d’être attentif aux signes de détresse de nos proches. Julie Donaldson, de la Commission de la santé mentale du Canada, propose quelques outils.

➝ Prendre des nouvelles souvent, et pas seulement dans un contexte de groupe.

➝ Être attentif aux changements. « Il faut surveiller l’inhabituel » : consommation d’alcool ou de drogue plus soutenue, propension à l’isolement, retrait des réseaux sociaux.

➝ Poser des questions, à la fois directes (« Te sens-tu plus déprimé, ces temps-ci ? » « Dors-tu bien ? » « Manges-tu ? » « Es-tu démotivé au travail ? ») et plus subtiles (« As-tu profité du beau temps le week-end dernier ? »). Il faut garder en tête que le mal-être s’expose parfois là où on ne l’attend pas. La clé est dans les détails. « La question de trop sera peut-être celle qui sauvera une vie ! »

➝ Faire part de ses inquiétudes et rappeler qu’on est disponible au besoin.

➝ Proposer des ressources et des lignes d’aide.

➝ Prendre le temps de décompresser soi-même.

➝ Reconnaître ses propres limites.

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