Couple et sexualité

Sexualité : quand le plaisir cède la place à la douleur

Souffrir au lit ? C’est la réalité de trop de femmes aux prises avec des douleurs sexuelles. Et le tabou entourant cette condition aggrave leur détresse. Mais des traitements, qui combinent suivi psychologique et exercices, peuvent venir à leur rescousse. À condition d’en parler.

Assise sur une table d’examen, vêtue d’une simple jaquette bleue d’hôpital, je balance nerveusement les pieds en attendant la gynécologue. Quand la jeune médecin entre dans la petite pièce empestant le désinfectant, sa voix douce et son sourire parviennent à calmer un peu ma respiration. Elle m’invite à me détendre tandis qu’elle enfile des gants de latex.

À l’aide d’un coton-tige, elle exerce une légère pression à l’entrée de mon vagin. Je ressens alors un tel élancement, comme si on m’avait piquée avec une aiguille ! Je m’agite sur la table couverte d’un papier blanc. Après quelques secondes qui me paraissent une éternité, la gynécologue retire le coton-tige et me fait part de son diagnostic : vestibulodynie provoquée.

Après des mois, je peux enfin mettre des mots sur le mal fulgurant qui m’empêche d’avoir des relations sexuelles avec pénétration.

« Vestibulo » pour vestibule, la partie de la vulve qui comprend l’entrée du vagin, et « dynie » pour douleur. La vestibulodynie est dite « provoquée » parce que le seul moyen de la diagnostiquer est de causer une douleur. Au contact d’un doigt, d’un tampon ou d’un pénis, la sensation est insupportable.

Aux États-Unis, une étude menée en 2003 auprès de 5000 femmes a révélé que 16 % d’entre elles en avaient déjà souffert pendant au moins 3 mois. D’après les chercheurs, cela correspondrait à plus de 14 millions d’Américaines qui auraient éprouvé ce malaise aigu à un moment ou à un autre de leur vie ! Et dans trop de cas, en silence. Car à peine une femme sur deux avait tenté d’obtenir des soins, selon l’étude publiée dans le Journal of the American Medical Women’s Association.

De ce côté de la frontière, on ignore combien de femmes en sont atteintes. Lorsque certaines se risquent à en parler, c’est en toute discrétion.

« Je ne savais pas ce que j’avais », confie Marie-Pier, 33 ans, qui préfère taire son nom de famille en raison de la nature délicate du sujet. La jeune femme, originaire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, a 15 ans lorsqu’elle se rend compte que quelque chose cloche. Elle tente d’avoir une première relation sexuelle complète avec son copain, mais doit y mettre fin parce qu’elle ressent une douleur intense. Une impression de brûlure la poursuit pendant quelques jours.

L’adolescente se tourne alors vers son médecin de famille. Pas de chance. Il est incapable d’expliquer l’origine de son mal. C’est une gynécologue qui lui apprendra peu de temps après qu’elle souffre de vestibulodynie provoquée.

C’est qu’en plus d’être méconnu, ce trouble ne se manifeste par aucun symptôme visible : pas de rougeur, pas d’inflammation, pas d’infection, selon Mélanie Morin, directrice du Laboratoire de recherche en urogynécologie du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Ce qui complique le diagnostic.

« Les femmes qui osent consulter se font souvent répondre : “Je ne vois rien d’anormal.” Elles repartent chez elles en se disant : “Je n’ai rien, mais j’ai mal, ça doit être moi le problème”», explique-t-elle.

femme chez le gynécolgue

Photo : Getty Images/BSIP/UIG

Des consultations qui tournent mal

Pas étonnant, alors, qu’à peine 61 % des femmes qui ont consulté sont parvenues à obtenir un diagnostic, selon l’étude américaine menée en 2003. Et nombreuses sont celles qui doivent frapper à plusieurs portes avant d’avoir des réponses. « Ce n’est pas rare que les femmes souffrant d’une vestibulodynie provoquée voient jusqu’à quatre médecins avant de recevoir un diagnostic », confirme Mélanie Morin.

Cette méconnaissance au sein de la communauté médicale peut donner lieu à des expériences très inconfortables. Je garde un souvenir pénible de mon premier test de Pap. Un prélèvement de routine pour la plupart des femmes, pas particulièrement agréable, mais somme toute assez banal. Dans mon cas, la sensation était insupportable au point que mon médecin s’en est inquiété. «Es-tu correcte?» m’a-t-il demandé alors que je grimaçais. Ignorant que ce que j’éprouvais était loin d’être normal, j’ai acquiescé rapidement… prolongeant du même coup mon calvaire.

Marie-Pier, elle, a été carrément traumatisée par un rendez-vous chez un urologue, en 2011. La jeune femme avait décidé de consulter parce qu’elle avait mal en urinant.

Au cours de l’examen, le spécialiste, qui ignorait tout de la condition de sa patiente, a introduit une caméra dans son urètre. La douleur a été si violente qu’elle a fondu en larmes. « Il m’a demandé froidement pourquoi je pleurais, raconte-t-elle, encore ébranlée. J’ai répondu que j’avais mal, mais il a dit : “Non, tu n’as pas mal, ça ne fait pas mal.” » Catastrophée, elle a quitté les lieux en pleurs.

L’expérience l’a tellement marquée qu’elle a déposé une plainte au Collège des médecins. Plainte qui n’aura pas de suite concrète, l’urologue ayant pris sa retraite peu de temps après.

Aujourd’hui, Marie-Pier sait que l’origine probable de ses douleurs urinaires était une hypertonie du plancher pelvien, sans doute une conséquence de sa vestibulodynie. En gros, il s’agit d’une tension involontaire des muscles qui vont du haut du pubis jusqu’au coccyx. « C’est normal que la douleur provoque des tensions musculaires. C’est comme lorsqu’on a mal dans le cou, nos muscles sont tendus», illustre Mélanie Morin, qui est aussi physiothérapeute. Quand les femmes ont mal lors d’un rapport sexuel, elles se contractent. Et plus elles se contractent, plus elles ont mal. Éviter les rapprochements avec son partenaire. Se priver de sorties tous les mois lors de ses menstruations, car il est hors de question de porter un tampon. Les douleurs vulvaires peuvent devenir un véritable handicap.

Détresse élevée

La détresse est donc courante chez celles qui en souffrent, selon Sophie Bergeron, professeure de psychologie à l’Université de Montréal. « Ce qui ressort [des études], c’est beaucoup d’anxiété et une moins bonne image corporelle dans la sexualité », explique la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les relations intimes et le bien-être sexuel.

Dans le cadre des études cliniques qu’elle dirige, les femmes confient se sentir inadéquates.

Inadéquate. C’est ainsi que se sentait Marie-Pier par rapport à son copain. « J’avais honte. Je pleurais de honte et de culpabilité ! » s’exclame-t-elle.

Un sentiment que je connais bien, moi aussi. Souvent, j’ai senti que je décevais mes partenaires. Je faisais miroiter la promesse d’une relation sexuelle. Promesse que la douleur m’obligeait à briser. L’image que je me faisais de ma sexualité se détériorait un peu plus à chaque tentative échouée de pénétration.

De la chenille au papillon

Cathy Lambert a eu la chance d’être aidée par un amant. Pour l’éducatrice à la petite enfance, la pénétration a longtemps été intolérable. Pourtant, elle refusait de consulter. « Je sentais au fond de moi que j’avais un problème, mais j’avais peur de faire face à la réalité », dit-elle.

Originaire de Belgique, Cathy a vécu au Québec de 2018 à 2020. « Ç’a changé ma vie ! » lance la trentenaire, tout sourire. Car c’est à Montréal qu’elle fait la rencontre d’un homme qui lui permet d’identifier son trouble.

Le hasard a voulu qu’il avait déjà été en couple avec une femme atteinte de vaginisme, une dysfonction sexuelle qui cause des contractions involontaires du muscle du périnée à l’entrée du vagin. « C’est lui qui a abordé le sujet », se souvient-elle.

Cathy décide alors qu’il est temps d’agir. Elle entreprend une thérapie cognitivo-comportementale (TCC), une psychothérapie de courte durée axée sur la résolution de problèmes. En parallèle avec ce travail introspectif et émotionnel, et sur la recommandation d’une thérapeute, elle effectue des exercices avec des dilatateurs vaginaux – des cylindres de silicone ou de plastique qui permettent d’assouplir les tissus et d’agrandir la cavité vaginale.

Miracle ! À peine un mois après le début des traitements, « la pénétration a été possible et sans aucune douleur », dit Cathy. En l’espace de quelques semaines, elle est passée « de la chenille au papillon », se réjouit-elle.

Combiner rééducation périnéale et TCC serait la clé, selon la psychologue spécialisée en santé sexuelle Sophie Bergeron. « La TCC est aussi bonne, sinon meilleure, qu’un traitement médical. Elle devrait être recommandée en premier », affirme-t-elle, soit avant les crèmes antalgiques, qui agissent comme des antidouleurs.

La TCC présente même un plus haut taux de succès lorsque le partenaire est intégré à la démarche. Sophie Bergeron a mené une étude sur 5 ans auprès de 108 couples aux prises avec un diagnostic de vestibulodynie provoquée. Elle a étudié les douleurs, mais également les difficultés sexuelles, tant chez la femme atteinte que chez son partenaire. Résultat : après une période de six mois, les femmes ont affirmé être deux fois plus satisfaites dans leur vie sexuelle, tandis que les hommes ont dit l’être trois fois plus.

Mais pour parvenir à de tels résultats, il faut que les professionnels de la santé soient sensibilisés à la question de façon à mieux accompagner les patientes.

Celles-ci ont décidé de se mobiliser : plus de 365 membres sont dans le groupe Facebook QUÉBEC : Vaginisme, Endométriose, Vulvodynie, Dyspareunie, Vestibulite, créé par Cathy Lambert. Dans cet espace privé, elles discutent de leur problème et partagent leurs ressources. « Je constate que je ne suis pas la seule à vivre ça », confie Marie-Pier.

Car après avoir consulté une douzaine de spécialistes en 17 ans, Marie-Pier ne s’est toujours pas débarrassée de ses douleurs. Crèmes, exercices et études cliniques n’ont eu que peu d’effet sur elle. Malgré tout, son copain et elle rêvent d’avoir des enfants, même si elle craint que son état ne se détériore après l’accouchement. « Ça me fait peur », confie-t-elle.

Quant à moi, tout va mieux. Après de multiples rendez-vous et des exercices de physiothérapie périnéale, ma vestibulodynie provoquée est en grande partie disparue. Et Cathy, qui fuyait les relations sérieuses, se dit maintenant « ouverte à l’amour ».

Que serions-nous devenues toutes les trois sans les soins et conseils de professionnels de la santé compétents et bienveillants ? Ou si nous n’avions pas eu le courage de parler de notre « anomalie » ? Des souvenirs pénibles refont surface juste à y penser.

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