Santé

SPM extrême

Inexistant ou presque chez les unes, il se révèle infernal chez les autres. Pourquoi ces différences ?


 

C’est comme ça tous les mois. Ballonnée, le menton constellé de boutons, vous aboyez après les enfants et songez sérieusement à mordre le chien du voisin qui ne cesse de vous casser les oreilles. L’idée de passer l’aspirateur vous donne envie de pleurer. Vous êtes grosse et personne ne vous comprend, mais ce sera pire lorsque vous aurez fini de vider le contenant de crème glacée aux pépites de chocolat.

Bienvenue dans le joyeux club du SPM, un syndrome qui, une fois par mois, ramène celles qui en sont affligées à l’état sauvage. Heureusement, cet accès de folie finit par se résorber. Jusqu’au mois suivant.

Tout a été dit ou presque sur le syndrome prémenstruel. Le bon vieux SPM fait partie de la culture populaire et figure aussi au palmarès des farces masculines les plus éculées, peut-être parce que nos chéris redoutent un peu cette métamorphose mensuelle. D’ailleurs, à l’époque de la Grèce antique, les hommes s’en plaignaient déjà. Plus de 400 ans avant Jésus-Christ, le poète Simonide écrivait à propos de la femme : « Un jour, elle est tout sourire et, le lendemain, il est dangereux de l’approcher. »

Pendant des centaines d’années, on a avancé toutes sortes d’hypothèses pour expliquer le SPM. Au Ve siècle avant notre ère, Hippocrate, le père de la médecine, affirmait que tous les troubles féminins provenaient de l’utérus, que cet organe se déplaçait un peu partout dans le corps, y compris dans la tête, causant des dommages partout où il passait. D’où l’humeur bougonne.

Des centaines d’années plus tard, Freud a mis au point une théorie aussi farfelue, sinon plus : les malaises des femmes étaient causés par un complexe d’Œdipe mal résolu. Aujourd’hui, des chercheures, comme la professeure de psychologie Jane Ussher de l’Université de Western Sydney, en Australie, y voient plutôt l’expression d’un ras-le-bol. Fatiguées d’être de bonnes épouses et de bonnes mères, les femmes se servent du SPM pour se payer une crise de nerfs. D’autres prétendent que ce syndrome n’existe pas dans certaines régions du monde – comme en Chine – et que ses manifestations sont d’origine culturelle aussi bien que biologique.

Mais le psychiatre Richard Bergeron, fondateur de la Clinique du syndrome prémenstruel, à Gatineau, n’est pas d’accord. « Les recherches sont formelles : il s’agit d’un trouble réel, causé par des fluctuations hormonales. Sans ovulation, il n’y a pas de SPM. » Avant la puberté, pendant la grossesse et après la ménopause, trois périodes de la vie où l’ovulation ne se produit pas, les femmes ne sont pas incommodées par ces symptômes.

Comme ce syndrome se manifeste de 7 à 10 jours avant les règles, on croit que les hormones impliquées sont la progestérone et les œstrogènes. Par contre, on comprend mal pourquoi ces fluctuations causent à ce point des malaises, tant physiques que psychologiques. Le taux d’œstrogènes grimpe jusqu’au moment de l’ovulation, puis il commence à décroître. Et quand les œstrogènes diminuent, le taux de sérotonine du cerveau – qui influence l’humeur et la sensation de bien-être – est aussi à la baisse. Toutes les femmes vivent le même phénomène physiologique mais, pour des raisons qu’on ignore, certaines d’entre elles y sont plus sensibles que d’autres.

Car le syndrome prémenstruel ne touche pas toutes les femmes également. De 5 % à 10 % n’éprouvent pas du tout de symptômes. À l’autre extrême, un pourcentage équivalent souffre de troubles sérieux.

Entre les deux, on trouve toutes celles qui sont atteintes à divers degrés par un ou plusieurs des 150 symptômes répertoriés : gonflements, douleurs aux seins, lombalgies, insomnie, irritabilité, mauvaise humeur, boulimie, rage de sucre, crises de larmes, pour ne nommer que ceux-là.

Selon une enquête américaine, les femmes estiment que ce sont leurs relations avec les autres qui écopent le plus quand elles sont ennuyées par le SPM : 72 % d’entre elles pensent que le syndrome influe sur les rapports avec leur conjoint et 62 % croient qu’il nuit à la relation avec leurs enfants. « Ces jours-là, je m’entends dire des choses épouvantables et gueuler pour des détails, mais je n’arrive pas à me maîtriser », raconte Sandra, 37 ans, sur le site britannique de la National Association for Premenstrual Syndrome.

Les femmes consultent surtout pour les symptômes psychologiques. Chaque année, la clinique du docteur Bergeron reçoit entre 300 et 500 nouvelles patientes aux prises avec un SPM assez intense pour perturber leur vie. « Elles me disent : “Une semaine par mois, je ne peux rien faire. Je n’arrive pas à me concentrer et je vois tout en noir.” »

Le docteur Bergeron a décidé de se consacrer au traitement du SPM après avoir observé un curieux phénomène pendant ses années d’internat. « Des femmes hospitalisées pour des symptômes psychiatriques graves retrouvaient leur état normal lorsqu’elles avaient leurs règles. Je n’en revenais pas ! »

Agressivité, anxiété, panique, manque de maîtrise de soi, dépression, idées suicidaires, conflits avec les autres, accès de rage et comportements violents : on sait maintenant qu’il existe un SPM à la puissance 10 appelé « trouble dysphorique prémenstruel (TDM) » et répertorié dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ouvrage de référence utilisé partout dans le monde. Ce trouble touche de 5 % à 7 % des femmes.

En cour, des accusées ont même été acquittées de meurtres qu’elles auraient commis sous l’emprise de ce bouillonnement hormonal. En 1981, au Royaume-Uni, une barmaid a poignardé une collègue qui lui tapait sur les nerfs. Une autre a écrasé son amant – marié à une autre femme – avec sa voiture. En Nouvelle-Écosse, une femme a été innocentée d’une accusation de vol à l’étalage pour les mêmes raisons. Mais ces cas demeurent controversés.

Comment distinguer le TDM d’une maladie mentale ? Les symptômes doivent se manifester dans la deuxième partie du cycle menstruel, mais pas dans la semaine qui suit le déclenchement des règles. Et ils doivent se répéter pendant quelques cycles.

Nos malaises, petits ou grands, peuvent-ils être soulagés ? La docteure Michèle Moreau, de la Clinique de médecine familiale du CHUM, a participé à plusieurs études sur le sujet. « On n’a pas encore trouvé le traitement miracle tout simplement parce que les causes du SPM restent nébuleuses, dit-elle. On a longtemps cru que les femmes souffrant d’un SPM grave manquaient de progestérone. Mais lorsqu’on leur en prescrit, certaines sont soulagées et d’autres, non. »

On s’est aussi tourné vers la pilule contraceptive, qui empêche l’ovulation. Après tout, les femmes qui n’ovulent pas n’ont pas de SPM. Encore une fois, les résultats sont variables. « L’état de certaines s’améliore, alors que d’autres ont l’impression d’être en SPM tout au long du mois », explique la docteure Moreau.

Par contre, le contraceptif oral Yasmin aurait une longueur d’avance sur les autres. Le progestatif qu’il contient a un effet diurétique, qui diminue la rétention d’eau dont souffrent bien des femmes en deuxième moitié de cycle. « Certains chercheurs se demandent justement si la rétention d’eau – un symptôme du SPM – ne se produirait pas également dans le cerveau », ajoute le médecin.

Mon Dieu, serions-nous de mauvaise humeur parce que nous avons de l’eau entre les deux oreilles ? « On parle plutôt d’une augmentation du liquide dans lequel baignent les cellules du corps, explique en riant la docteure Moreau. Car, aussi étonnante qu’elle soit, cette hypothèse est sérieuse. Cette rétention de liquide aurait des effets à la fois physiques (gonflement, jambes lourdes, etc.) et psychologiques. »

Pour les femmes qui souffrent de SPM grave ou de TDM, il existe une autre solution : les antidépresseurs. Mais pas n’importe lesquels : ceux qui agissent sur la sérotonine du cerveau, comme Prozac, Zoloft ou Paxil. « Ces médicaments sont prescrits quelques jours par mois et à des doses inférieures à celles utilisées pour la dépression », explique le docteur Richard Bergeron.

Comment soulager les femmes ordinaires aux prises avec un SPM ordinaire, assez appuyé pour être ennuyeux, mais pas assez grave pour qu’elles doivent prendre des médicaments ? La question mérite d’être posée, d’autant plus que le SPM a souvent tendance à empirer dans la quarantaine. Et que penser des innombrables suppléments qu’on veut vendre aux femmes, comme le calcium, le magnésium, la vitamine D, la vitamine B6 ou l’huile d’onagre ? « La plupart des études se contredisent, répond la docteure Moreau. Et souvent, les suppléments se révèlent moins efficaces qu’un placebo. »

La seule approche non médicamenteuse qui ait fait ses preuves, c’est l’exercice. Plusieurs études démontrent que 30 minutes d’activité chaque jour diminuent les symptômes associés au syndrome prémenstruel. Des résultats peut-être liés à la production d’endorphines, qui augmentent la sensation de bien-être. Des sportives qui ont dû cesser leurs activités à cause d’une blessure se sont retrouvées avec un violent SPM du jour au lendemain…

Changer certaines habitudes de vie peut aussi aider. Diminuer le café pour être moins irritable, le sel pour se sentir moins gonflée ou l’alcool, qui est un dépresseur du système nerveux. « Ce qui donne aussi de bons résultats, c’est la tenue d’un journal des symptômes, ajoute la docteure Moreau. Les femmes y notent leurs malaises et leurs états d’âme tous les jours et, avec le temps, elles finissent par constater que ceux-ci ne sont présents que certains jours du mois : elles ne sont donc pas folles, elles ont juste un SPM ! » Et c’est rassurant, non seulement pour elles, mais pour leur mari.

Enfin, on peut essayer de voir le syndrome prémenstruel sous un jour différent. « Personne ne parle jamais des côtés positifs du SPM, écrit Joan C. Chrisler, psychologue et chercheure à l’Université du Connecticut. Et pourtant, il y en a. Bien des femmes ressentent un niveau d’énergie accru et un désir sexuel plus intense à la veille de leurs menstruations. D’autres se sentent plus émotives, mais aussi plus créatives. Mais personne n’en parle jamais… »

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