Voilà plusieurs années que les violences sexuelles sur les campus défraient la manchette. Il y a eu des initiations qui allaient trop loin, où on humiliait les recrues ou encore faisait la promotion de la culture du viol. Puis, en octobre dernier, des étudiantes ont porté plainte après avoir été agressées sexuellement dans la chambre de leur résidence de l’Université Laval, un homme s’étant introduit chez elles en pleine nuit.
Interpellée, la ministre responsable de l’Enseignement supérieur Hélène David a tenu l’hiver dernier cinq journées de réflexion et de consultation sur les campus de Montréal, Québec, Saguenay, Gatineau et Sherbrooke. À l’issue de ce qui y a été proposé, elle vient de promettre d’injecter 23 millions de dollars sur cinq ans afin de mettre sur pied une stratégie d’intervention dans nos cégeps et universités. Parmi ces initiatives, on compte la création d’un guichet unique qui servira de ressource aux victimes, l’accompagnement psychosocial des victimes, et la mise en place d’accommodements académiques (qui permettraient par exemple à une victime de ne pas avoir à côtoyer son agresseur sur le campus).
Un projet de loi plus précis devrait être annoncé sous peu. D’ici là, nous avons recueilli à chaud les réactions de différentes personnalités et intervenants sur la mise en place d’un tel plan d’action.
«J’ai participé aux consultations, l’hiver dernier, et je peux vous dire que ce qui nous est proposé correspond à ce qu’on y a entendu. On nous a écoutées, et Hélène David s’est montrée à la fois ouverte et humble dans sa démarche. Nous vivons cette annonce comme une victoire. J’en suis personnellement très heureuse; je pense que mon cœur a arrêté de battre quand j’ai appris la nouvelle. Nous espérons aussi que le projet de loi ira encore plus loin, notamment en forçant toutes les universités à agir contre les violences sexuelles.»
– Ariane Litalien, étudiante et co-instigratrice du mouvement social Québec contre les violences sexuelles. En 2014, elle signait Dear Harvard, You Win, dans lequel elle a raconté sa propre expérience en tant que victime d’une agression sexuelle sur le campus de la prestigieuse université américaine. Son texte a abondamment été partagé un peu partout à travers le monde.
«Je ne peux qu’être contente de cette annonce, et espérer que les gestes suivront pour vrai!Il est temps que le gouvernement s’implique dans ce dossier, et permettre d’indiquer une ligne à suivre. C’est important que les institutions d’enseignement se dotent, chacune d’entre elles, d’une politique en matière de violences sexuelles. Ce sont des sujets délicats, des situations parfois complexes, et il faut cesser de se mettre la tête dans le sable. Il faut accepter de faire face à ces réalités, et surtout, accepter de s’engager à enrayer sexisme, misogynie, intimidation, violences sexuelles… sur les campus. Le fait, aussi, que les survivantes soient au centre de l’approche, qu’on demande une reddition de comptes de la part des institutions, et que la question des rapports profs/étudiant.e.s ne soient pas évacuée (qu’un code d’éthique soit mis en place par les institutions) –voilà de bonnes nouvelles!»
– Martine Delvaux, professeure au département d’études littéraires à l’UQAM
« L’Université Laval salue la stratégie pour lutter contre les violences sexuelles sur les campus de la ministre Hélène David et estime que les mesures annoncées permettront d’accompagner davantage les victimes et aussi de prévenir la violence sexuelle. La ministre peut compter sur notre entière collaboration. »
– Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval. Elle est la première femme à avoir accédé à ce poste, en avril dernier.
« Nous encourageons les mesures d’accommodement pour les victimes, mais nous questionnons le fait que ce soit la victime, plutôt que son agresseur, qui doive adapter ses activités et habitudes. Il faut comprendre que certains contextes rendent impossible la mise en place de plusieurs accommodements proposés. Par exemple, quelles mesures seraient mises en place dans une situation où la victime ne pourrait changer de résidence ou de cours parce que son université, située dans une région éloignée, ne possèderait qu’une seule résidence étudiante et proposerait une offre de cours limitée? La victime devrait-elle abandonner ses études faute d’options disponibles? Notons également que la Stratégie déployée par la ministre David ne prévoit aucune mesure pour contrer la culture d’impunité qui entoure le problème des violences sexuelles. (…) Nous attendons avec impatience le projet de loi cadre promis par la ministre.»
– Le Regroupement Québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel
«Le problème avec la politique annoncée, c’est qu’elle me semble peu contraignante. Sauf erreur de ma part, on ne fait qu’inciter fortement les institutions à se doter d’une politique. Je pense qu’il faut aller plus loin. Lorsque j’ai fait une tournée de conférences portant sur le consentement dans les cégeps avec Koriass et Julie Miville-Dechêne l’an dernier, je disais toujours aux jeunes, et par ricochet aux profs présents dans l’auditorium, qu’il n’y avait aucune espèce de consentement valide entre un prof et son élève, et ce, même si celui-ci a 18 ans ou plus. Parce qu’il existe un rapport d’autorité, d’hiérarchie entre les deux. Le consentement sexuel doit vraiment être donné de façon volontaire, constituer un choix libre et éclairé. Si la relation sexuelle a lieu dans un contexte d’abus de confiance ou de pouvoir, le consentement ne tient pas. Ça devrait tout simplement être interdit. Se doter de balises pour guider ce type de relations ne suffit pas.»
– Marilyse Hamelin, journaliste indépendante et féministe. Elle vient de lancer l’ouvrage Maternité – La face cachée du sexisme (Leméac).
«La FEUS est satisfaite de l’annonce de la ministre, mais souhaite une reddition de comptes exhaustive des universités dans le projet de loi. Les 23 millions viennent soutenir les efforts amorcés, mais il faut également s’assurer que les organismes communautaires auront les ressources nécessaires pour répondre aux demandes d’aide. La communauté étudiante a elle-même, dans les dernières années, instauré des mesures pour contrer les violences à caractère sexuel. Les mesures académiques mentionnées par la ministre pour faciliter la poursuite des études des victimes sont quant à elles grandement appréciées. Il est important qu’une victime de violence à caractère sexuel ne soit pas contrainte à abandonner ses cours pour ne plus côtoyer son agresseur. Nous sommes heureux que la ministre reconnaisse l’enjeu des violences à caractère sexuel sur les campus et qu’elle agisse pour les enrayer. Nous suivrons de près le projet de loi.»
- Annie Marier, présidente de la Fédération étudiante de l’Université de Sherbrooke (FEUS)
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Après des études en littérature et en journalisme, Véronique Alarie a travaillé durant une quinzaine d'années dans les médias écrits. Elle est désormais éditrice aux Éditions Québec Amérique.
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