Photo : Getty Images/Alain Jocard
Les femmes rebondissent souvent mieux que les hommes face à l’adversité. C’est Boris Cyrulnik, le neuropsychiatre français qui a popularisé la notion de résilience, qui le dit. Mais cela n’a pas toujours été le cas, selon lui.
La virilité, la force et la violence ont longtemps été les meilleurs remparts contre les difficultés. Il fallait être capable de trimer dur pour nourrir sa famille, construire sa maison ou protéger sa ville ou son pays en temps de guerre.
Puis, la modernité a « inventé une nouvelle société où les femmes viennent de naître », écrit le prolifique auteur dans son plus récent ouvrage, Des âmes et des saisons– Psycho-écologie. Ce fascinant voyage à travers l’histoire de l’humanité démontre, études à l’appui, comment les événements et l’environnement modèlent notre cerveau.
La pandémie de la COVID-19, catastrophe sanitaire, sociale et économique, nous aura marqués pour toujours, c’est certain. Boris Cyrulnik y voit l’occasion de nous redéfinir, sur le plan personnel et collectif. Châtelaine l’a joint chez lui, à Toulon, dans le sud de la France.
L’être humain est heureux quand il trouve l’équilibre : savourer les bonheurs tranquilles et triompher des moments difficiles. Les gens qui, avant la pandémie, bénéficiaient de facteurs de protection, comme une famille stable et un diplôme qui leur permet d’avoir un bon métier, n’ont pas trop souffert du confinement. Et ils seront heureux de redécouvrir tous les plaisirs de la vie quotidienne.
À l’inverse, les gens qui étaient vulnérables en raison de l’instabilité de leur famille, de leur logement exigu ou d’un métier mal payé ont souffert du confinement. Après la crise, ils seront soit en colère, soit éteints. Tout les blessera. Cela accentuera les inégalités qui existaient déjà.
Parce qu’elles ont davantage de maturité. Mais ce n’est pas toujours vrai. Quand elles se trouvent isolées ou qu’elles font face à une épreuve physique, elles résistent moins que les hommes. En revanche, elles affrontent mieux un traumatisme psychosocial que ces derniers. Dès qu’elles sont entourées, le processus de résilience se déclenche. Alors que les garçons saisissent moins les mains tendues.
On ne pose plus la question comme cela, parce que la culture modifie la biologie. Et une fois que le cerveau est sculpté par le milieu, il voit un monde différent.
Au Tibet, par exemple, les femmes qui vivent sur les pentes de l’Everest donnent naissance à des filles très petites, qui ont leurs règles entre 20 et 22 ans. Quand elles redescendent dans la plaine, elles donnent naissance à des bébés plus gros et les filles ont leurs règles entre 12 et 14 ans. Le climat et l’altitude modifient la biologie : cela inclut le cerveau et ses neurotransmetteurs.
Oui, et c’est pour cela qu’on ne peut plus séparer l’âme et le corps. Un être humain se développe à travers trois niches écologiques. La première est le ventre de sa mère. Si cette dernière est stressée, cela modifie ses métabolismes et imprègne le fœtus. La deuxième niche est celle de la famille et du quartier, de l’attachement. Et la troisième, c’est celle des mots et des représentations abstraites, qui sculptent le cerveau tout autant que les deux premières. Les récits créent des mondes et déclenchent des émotions intenses.
La parole a une fonction affective bien plus qu’informative. Parler à un bébé, c’est le stimuler et le sécuriser. Vivre un phénomène ensemble ou partager une émotion crée un sentiment d’appartenance sécurisant. C’est ce qui se passe quand on s’émerveille ou qu’on s’indigne avec d’autres au sujet d’une représentation théâtrale, philosophique ou politique.
Quand le récit que l’on se fait de soi et le récit social concordent, on se sent bien. À l’inverse, lorsqu’il est discordant, on se sent coupé en deux sur le plan psychologique.
C’est le principe même de la résilience. Chez un enfant, le processus est très rapide. Dès qu’on l’entoure d’affection et de mots, ou que l’on sécurise sa mère qui en prendra soin à son tour, la reconstruction cérébrale recommence en 24 à 48 h. C’est encore assez rapide à l’adolescence. En vieillissant, cela se fait de plus en plus lentement, mais ça reste vrai toute notre vie.
Maintenant que l’on connaît l’importance de la psycho-écologie, nous avons la responsabilité d’agir. Nous pouvons améliorer les conditions de vie des femmes enceintes et celles des parents pour que les enfants se développent bien. On doit aussi améliorer les récits collectifs – ceux des médias, des films et des romans – pour que les immigrants et les pauvres puissent y expliquer leurs difficultés. L’art est beaucoup plus qu’un divertissement. Il a une fonction épanouissante et socialisante bien plus importante que ce que l’on croyait.
À l’époque où j’étais étudiant, si un enfant se développait mal, on cherchait ce qui n’allait pas dans son cerveau et dans son développement psychologique. Maintenant, on cherche plutôt en lui et autour de lui. Si on agit sur son milieu, on agit sur l’enfant.
Pour un adulte en difficulté, il faut développer tous les processus de sociabilité. Pas seulement par le travail, mais aussi par l’art, le sport, la musique. Tout ce qu’on faisait avant la pandémie !
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