Société

Brésil : musique contre drogue

À Rio de Janeiro, au Brésil, des associations communautaires éloignent des enfants de la drogue grâce à la musique.

Dans les favelas de Rio de Janeiro, au Brésil, où règnent les trafiquants de drogue, les enfants grandissent dans la pauvreté, la violence et le danger. Un cycle infernal auquel il est presque impossible d’échapper. Mais la résistance s’organise. Son arme de prédilection : la musique ! Grâce à elle, des associations communautaires réussissent à soustraire les jeunes des bidonvilles aux griffes des gangs en leur donnant un projet, une fierté, une appartenance. Châtelaine vous présente deux d’entre elles.


 


À quelques pas du quartier riche et branché d’Ipanema, la favela de Cantagale surplombe un Rio de carte postale. Mais elle reste un bidonville où règne un climat de terreur.

C’est dans ce lieu déshérité du sud de la capitale que vit Cassia Oliveira, 51 ans. Le rêve de cette professeure de chant, ex-employée de banque : changer l’impitoyable réalité des enfants, rien de moins. Il y a trois ans, elle lançait son association, Harmonicanto, et louait en plein cœur de la favela une maison qui est vite devenue le refuge des jeunes du quartier. Cassia leur apprend le solfège et la musique classique. En quelques mois, elle a formé une chorale, qui présente aujourd’hui des spectacles à l’extérieur de la favela. Une réussite. « Quand je suis arrivée, raconte-t-elle, la plupart des enfants étaient repliés sur leurs problèmes. Leur progression a été impressionnante, tant sur le plan scolaire qu’émotif. Ils ont repris confiance en eux. »

Louana, 13 ans, et Fabian, 15 ans, en témoignent : « Au début, quand on donnait un concert, on était intimidés ; mais maintenant on prend vraiment plaisir à jouer. » Après l’école, ils viennent presque chaque jour dans la maison de Cassia pour s’amuser, danser et faire de la musique au lieu de traîner dans les ruelles. Fabian se met au piano électrique et entame un air de Bach. Il est tout de même étrange d’entendre le grand compositeur allemand né au XVIIe siècle dans ce bidonville sud-américain.

À l’extérieur, sur la terrasse qui domine la mer, les enfants se sont regroupés. Cassia leur distribue flûtes et tambourins. À son signal, ils se mettent à chanter.

Ici, ils sont à l’abri de la violence et des balles perdues qui tuent chaque année près de 600 jeunes des favelas de Rio. Dans la rue, à côté de la maison de Cassia, une bande d’adolescents, pistolet à la ceinture, fume des joints. Les habitants de la favela ferment les yeux : ils ont peur des trafiquants de drogue qui contrôlent ces quartiers, mais aussi des policiers qui mènent à l’occasion des raids meurtriers. Pour pacifier ces zones, le président Luiz Inácio Lula da Silva vient d’ailleurs de lancer un programme qui mettra en place une police communautaire, plus proche des gens.


 

« À Rio, il y a plus de 600 favelas où s’entassent quatre millions d’habitants, soit près du tiers de la population de la ville, explique l’intervenante sociale Mary Saiâo. La plupart du temps, la police laisse les trafiquants prospérer librement dans ces zones de non-droit. Mais, parfois, elle y fait des incursions sauvages et tire sans sommation. »

Il y a 16 ans, Anderson Sá a été victime de cette violence policière. Son frère et plusieurs de ses amis ont été tués par la police militaire dans la favela Vigário Geral, une des plus dangereuses au nord de la mégapole.

Sous le choc, cet ex-dealer cherche par la suite à mettre fin au cycle de violence. Il décide de faire de la musique un instrument de changement. Il est aujourd’hui à la tête de l’une des associations sociales les plus dynamiques du Brésil : Afro Reggae, dont la devise est « La musique est notre arme ». À la fois école de percussions, groupe de musique et troupe de danse, Afro Reggae possède son propre studio d’enregistrement et sa radio locale.

C’est aujourd’hui jour de fête à Vigário Geral. Une battucada – orchestre de percussions – donne un spectacle pour les habitants de la favela. Sur le terrain de soccer, un joyeux groupe de jeunes se forme, surdo (sorte de tambour) à l’épaule. Angelo est l’un d’eux. Il a, lui aussi, délaissé les armes au profit de la musique. À huit ans, après le départ de son père, il est devenu revendeur de drogue. « Au début, la violence apparaît comme un jeu. Mais ça se paie. Même si on ne vous tue pas, la menace est toujours là », confie le jeune homme d’une vingtaine d’années, qui a eu le coup de foudre pour les rythmes d’Afro Reggae dans une salle communautaire. Il est aujourd’hui l’une des figures de proue du groupe musical Afro Lata et se produit un peu partout au Brésil.

Sous le soleil d’après-midi, les musiciens d’Afro Reggae répètent avant le concert qui aura lieu ce week-end sur une plage d’Ipa­nema. Aux percussions, une quarantaine de jeunes se démènent. Toute la favela est là.

Du haut de la passerelle qui sépare Vigário Geral de la favela Parada de Lucas, des guetteurs surveillent les environs. Le climat est tendu entre ces deux bidonvilles sous le contrôle de puissants gangs rivaux. Afro Reggae a tout de même réussi à apaiser les tensions entre les deux communautés en lançant le programme Rompre les frontières. Il a aussi ouvert un centre d’initiation à l’informatique et une radio communautaire en territoire ennemi. Et, surtout, il a fait résonner l’espoir.

Aux premiers sons des tambours, les armes se sont tues. La musique a remplacé les coups de feu sur les hauteurs de Rio.

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