Société

Apprendre une langue en chantant

À Malmö, dans le sud de la Suède, des immigrants apprennent la langue du pays… en chantant.

Chanteurs-Immigrants

Photo : Eva Bornemark

« Välkommen ! » lance en souriant Eva Bornemark, son ­clavier à l’épaule. En écho, sa quinzaine d’élèves lui souhaitent la bienvenue en suédois.

Ces Kurdes, Syriennes, Afghanes ou Irakiennes aux cheveux couverts d’un léger voile n’ont jamais appris à lire ni à écrire – ou à peine. Peu scolarisées, maltraitées ou contraintes de vivre dans de piètres conditions, elles sont arrivées en Suède au bout d’un long voyage.

Dans cette classe, en plein cœur du quartier multi­ethnique de Södervärn, on a troqué les leçons théoriques contre des envolées lyriques. Les femmes chantent et se balancent au rythme de la musique pour apprendre la langue de leur pays d’accueil. Elles frappent des mains, sourient, se détendent. « Ici, on essaie de rendre leurs journées un peu plus joyeuses dans l’espoir qu’elles laissent derrière elles, au moins pour quelques heures, les drames et l’angoisse. C’est notre feel good group », murmure Eva, les yeux brillants. Une parenthèse enjouée qui leur sert à la fois d’outil d’apprentissage et de thérapie.

La körledare – chef de chœur – donne la note, les élèves fredonnent. Eva leur demande d’abord d’écouter, indiquant du doigt son oreille, puis, toutes ensemble, elles répètent allégrement au son du clavier. D’abord, elles prononcent les sons, comme les « å », les « ä », les « ö » propres au suédois et si intimidants au début, puis enchaînent avec les jours de la semaine et les chiffres.

Pendant une demi-heure, les images se succèdent, projetées sur le tableau blanc. Chacune représente une scène de la vie quotidienne accompagnée de sa description. Eva cache les phrases et montre les dessins du doigt; tout le monde chante en harmonie : « Je déjeune tous les matins », « Elle boit du thé », « Elle fait du pain ». Leurs voix, timides au départ, se font peu à peu plus sonores. D’un geste des mains, Eva fait signe à ses élèves de se lever… et les décibels explosent ! « Jag vill bo i Malmö » (Je veux rester à Malmö), « Håll min hand » (Tiens ma main), poursuivent-elles, en accentuant les voyelles. « Bravo ! » s’exclame Eva, ravie de leurs progrès.

Musicienne de formation, Eva Bornemark compose les textes et les mélodies de ses chansons de manière à refléter la musicalité du suédois. « On dit souvent que les Suédois chantent quand ils parlent, alors pourquoi ne pas enseigner notre langue au son de la musique ? » L’idée lui avait semblé toute naturelle lorsqu’un directeur l’avait partagée avec elle 14 ans plus tôt. Et pourtant, la méthode n’est pas monnaie courante dans les écoles de suédois pour immigrants du pays.

À Malmö, la körledare n’a guère le temps de souffler. En plus de son feel good group, Eva fait la navette entre plusieurs classes et deux autres écoles de suédois pour immigrants. Certains groupes sont mixtes, mais tous les membres ont moins de six ans de scolarité.

Groupe-immigrants-chanteurs

Photo : Eva Bornemark

Avec plus de 6 000 étudiants qui franchissent ses portes chaque année, l’école du quartier de Södervärn est la troisième en importance au pays. L’établissement accueille des réfugiés en grand nombre, mais également des étrangers venus travailler en Suède. Ils peuvent d’ailleurs se joindre à la chorale de l’école, mise sur pied par Eva pour tous ceux qui ont envie de chanter en dehors des cours.

« Grâce à la musique, on fait de petits miracles tous les jours », se réjouit-elle. Hibba*, une Syrienne installée à Malmö depuis trois mois, tient à dire que le suédois est difficile à maîtriser. Surtout la prononciation et ces mots si longs qui paraissent indéchiffrables. « Mais les enseignantes sont d’une patience infinie », souligne-t-elle. Ces dernières ne se lassent pas de répéter jour après jour les mots, les phrases courtes, qui, l’­espèrent-elles, sortiront leurs élèves de l’isolement.

En plus de ces cours hebdomadaires qui rompent l’uniformité du programme théorique, les femmes peu scolarisées ont droit à des sorties en ville. Tove Lundgren et Hanna Maria Lindeborg, deux jeunes enseignantes au premier niveau, organisent au moins une activité par semaine. Une façon de leur transmettre une connaissance fonctionnelle de la langue mais, surtout, de leur faire découvrir la ville, ses parcs et son port, puisque la plupart d’entre elles quittent rarement leur appartement.

Certaines ne savent même pas, par exemple, que Malmö est située au bord de la mer, se désole Hanna Maria. Comme Maha*, une Kurde au teint basané et aux yeux d’un vert éclatant, qui passe ses journées à la maison à s’occuper des enfants, à cuisiner, à faire le ménage. Quand on lui demande si elle aime sa nouvelle vie, Maha baisse la tête et sourit d’un air triste. « Les Suédois sont très gentils », lâche-t-elle. Et ce qui lui déplaît ? Malgré les séances de chant qui lui réchauffent le cœur, sa réponse fuse sans ambages, semblable à celle de tous ces nouveaux arrivants venus du Sud : le froid, interminable comme une nuit qui ne veut jamais finir.

* Prénoms fictifs

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