Société

Des voisins qui s’entraident

À l’ère du chacun pour soi, en ville comme en banlieue, des familles redécouvrent les joies de l’entraide. Récits de jolis petits miracles urbains.

Aujourd’hui, Martyne Huot ne saurait plus se passer de son voisinage. Et ses voisins, d’elle. Tout a commencé il y a neuf ans, quand Martyne a emménagé à Lorraine, banlieue cossue au nord de Montréal. Les boîtes étaient à peine dé-faites que, déjà, elle frappait aux portes des voisins avec conjoint et marmaille. « On voulait voir s’il y avait d’autres enfants aux alentours », explique l’énergique blonde de 45 ans. Leur réaction a été plutôt… tiède. « Les gens étaient surpris, un peu méfiants. »

À force d’accueillir les rejetons des autres chez elle et d’offrir des muffins tout juste sortis du four, Martyne a changé l’ambiance du coin, discrètement, sans tambour ni trompette. Aujourd’hui, les résidants de la place Nogent, à Lorraine, se donnent un coup de main pour les travaux de peinture ou de plomberie. Les enfants se baladent d’une maison à l’autre et les parents font du covoiturage pour les trimballer à l’école ou à l’aréna. Ils organisent des soupers communautaires, vont ensemble aux pommes et à la cabane à sucre. « On a même passé des week-ends avec trois autres familles, en skis au mont Sainte-Anne et en patins sur le canal Rideau, à Ottawa ! » lance Martyne Huot.

Bref, un beau cas de « voisinage extrême ». Pour beaucoup, les relations entre voisins se limitent à un bonjour discret sur le pas de la porte. Et encore… On préfère souvent éviter cet inconnu de la maison d’à côté de peur d’avoir affaire à un « fatigant » impossible à éviter.

À l’ère du chacun pour soi, des citoyens décident plutôt de fraterniser avec leurs voisins. Mais pourquoi diable ? Martyne Huot y a trouvé la solution à l’éreintante conciliation travail-famille : « On a tendance à vouloir tout faire tout seul, comme si c’était un échec de ne pas y parvenir. À plusieurs pourtant, on accomplit davantage. » Maintenant chef de famille en solo, Martyne a choisi de rester dans ce quartier où elle a planté ses racines et dans cette maison assez grande pour abriter ses trois enfants – Hugo, Clara et Kristof, âgés de 14, 7 et 6 ans.

Et puis, ces voisins exemplaires le disent d’emblée : pour désamorcer les chicanes de clôture, il n’y a rien comme le partage de légumes du jardin ou de biscuits maison !

À Montréal-Ouest, petite municipalité coincée entre Notre-Dame-de-Grâce et Lachine, le bon voisinage va de soi. Jusque dans les années 1980, c’était une enclave wasp (White Anglo-Saxon Protestant), avec ses clubs de curling et ses églises anglicanes. Bien que la population se soit diversifiée, certaines traditions anglo-saxonnes demeurent, comme celle d’organiser une fête de rue pendant la belle saison. La ville ne compte qu’une vingtaine d’artères mais, chaque année, près de 15 block parties ont lieu entre mai et septembre.

Barbara Brzezinsky, une agente de bord de 56 ans, organise depuis longtemps celui de son quartier. Ceux qui habitent du côté impair de la rue Wolseley préparent les salades et les autres, les desserts. Chacun apporte son steak, qu’on fait griller sur le barbecue fourni par la Ville. « On ne s’est pas vus de l’hiver, alors on a hâte de reprendre contact », explique Barbara.

Quand la voisine d’en face a accouché de jumeaux, le réseau s’est mobilisé pour lui donner un répit ou faire ses courses. Puis, quand la famille est allée s’installer à Philadelphie, un grand party d’adieu a eu lieu. Mais, rue Wolseley, partir ne veut pas dire rompre les liens : les organisateurs cherchent à faire coïncider la date de la fête annuelle avec celle du passage à Montréal de certains « exilés ». « À la longue, ces gens font partie de notre vie ! » s’exclame Barbara. Son mari, comptable, a un projet de retraite : prendre en photo chacun des 5 300 résidants de Montréal-Ouest. À la blague, il dit que c’est pour se souvenir de leur nom quand sa mémoire flanchera.

Sécurisés par un tel réseau informel, les parents de cette ville laissent leurs enfants jouer au hockey et à la corde à danser dans la rue sans surveillance. Ce type de filet de sûreté semble plus fréquent dans les quartiers où les bambins sont nombreux. « Avec de jeunes enfants, on a besoin de soutien immédiat pour toutes les petites tâches du quotidien, dit Annick Germain, sociologue au centre Urbanisation, Culture et Société de l’Institut national de recherche scientifique (INRS). Le temps est compté et on n’a plus les relations de parenté d’antan. Les voisins peuvent remplacer partiellement les grands-mères de jadis. »

Les enfants vont jouer chez les uns et les autres : ce sont des « agents sociaux », comme disent les universitaires. À travers eux, les papas et les mamans font connaissance et s’invitent à prendre un verre. Des réseaux plus organisés naissent parfois, souvent lancés par une personne à la folie contagieuse. Pour que la mayonnaise prenne, toutefois, il faut un intérêt commun. « Plus le besoin est partagé, plus les gens sont motivés à s’organiser en réseau », explique la fondatrice du Groupe de recherche sur les banlieues de l’Université Laval, Andrée Fortin.

Dans le Mile-End, quartier montréalais peuplé de bourgeois-bohèmes et d’artistes, les voisins se sont organisés entre eux depuis fort longtemps : le Comité des citoyens y existe depuis 28 ans !

Ce coin de la ville était le haut lieu de l’industrie textile avant que ses usines soient supplantées par celles de la Chine. Les hideuses bâtisses en béton où les ouvrières s’entassaient ont été peu à peu abandonnées. Et les artistes y ont trouvé refuge. Mais, en 2008, la Ville annonce qu’elle va « requalifier » le secteur, c’est- à-dire transformer les vieilles usines en édifices à condos. En moins de deux, les citoyens montent aux barricades.

« Nous craignons que la montée des prix fasse fuir les artistes, explique Richard Ryan, 43 ans, un des coordonnateurs du Comité. La qualité de vie va s’en ressentir… »

Sans affirmer que ces réseaux de voisins constituent une tendance sociale, la publicitaire Anne Darche, toujours à l’affût des nouveaux mouvements, trouve le phénomène « extrêmement réjouissant ». La sociologue Andrée Fortin souligne qu’ils ont en fait toujours existé. « Les Chroniques du Plateau Mont-Royal, de Michel Tremblay, parlent beaucoup de l’importance de la vie de quartier. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que la parenté est moins présente qu’autrefois dans les réseaux de voisinage. »

Quels sont les facteurs qui permettent à ces organisations informelles de fleurir ? D’abord, une certaine homogénéité et de la stabilité dans les quartiers, croit la sociologue Annick Germain : « Ce n’est pas très glorieux à admettre, mais il est plus facile de s’entendre avec des gens qui nous ressemblent. » Dans des quartiers extrêmement hétérogènes, comme au centre-ville de Montréal, de Québec ou de Sherbrooke, le climat est généralement bon aussi, mais les réseaux ne s’y forment pas, faute de stabilité. « Les résidants y sont en transit. Dans les appartements, le taux de roulement est élevé. Ce n’est pas évident de créer des liens dans ce contexte », dit-elle.

Les voisins modèles sont unanimes : le bon voisinage élargit la zone de confort bien au-delà des limites du salon. « Les voisins, c’est comme la famille, affirme Martyne Huot. Il n’y a que des avantages ! » C’est la chaleur des villages d’antan… sans le commérage !

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