Entrevues

Ce que Louise Lecavalier a appris

On ne peut être l’ennemi de son corps.

Photo: Massimo Chiaradia

Photo: Massimo Chiaradia

Louise Lecavalier repousse les limites de la danse contemporaine depuis plus de 30 ans. Et ce n’est pas fini.

Il n’y a pas que les meilleurs spectacles qui valent la peine d’être vus. Un bon film, un bon livre, un excellent show peuvent m’enthousiasmer. Mais une œuvre moins divertissante, moins facile, me force parfois à réagir, à prendre position. Les spectacles que je préfère sont ceux qui n’ont pas résolu complètement quelque chose. Ils créent une impression qui reste gravée en moi, un questionnement qui persistera peut-être durant des années.

La crainte est un moteur. Enfant, l’Univers me paraissait énorme. Il m’intriguait, me fascinait et m’effrayait. Il a fallu que j’affronte le monde, l’école… J’ai dû faire face. Il faut se lancer. Mais vivre sans peur, c’est dangereux.

La meilleure façon de connaître son corps, c’est de le construire. J’ai passé ma vie à m’entraîner, à pousser mon corps plus loin, parce qu’il est mon outil de recherche. Pour le construire, il faut le détruire un peu. Comme on brise sa manière habituelle de penser pour s’ouvrir à autre chose. Infliger au muscle des blessures microscopiques pour qu’il se reforme autrement, qu’il ait plus de potentiel. Ce travail a une importance pour le corps lui-même, mais également pour la force morale.

Le corps est un ami. Même s’il ne nous plaît pas parce qu’on le trouve moche, gros, maigre, il demeure notre outil principal. On ne peut pas être l’ennemi de son corps – ni de son cerveau ni de ses émotions. Il contient toutes nos faiblesses et toutes nos forces. Il faut l’aimer assez pour avoir le courage de le construire et vivre avec ce qu’il nous offre.

Dans les ratés, il y a toujours des découvertes. Étrangement, mes moins bons shows sont peut-être excellents sur le plan technique. Si je veux tout contrôler, je me ferme au risque… Se casser un peu la gueule, abstraitement, ça donne parfois des choses intéressantes. Ce qu’on aime voir, c’est la beauté et les failles, ensemble. Il ne faut pas viser que la perfection, mais travailler avec méthode, puis s’abandonner au jeu.

C’est le timing qui fait les meilleurs amis. Il y a toujours quelqu’un qui est là… Pour moi, les meilleurs amis sont ceux avec qui je suis, avec qui j’ai envie d’être ou qui ont le goût d’être avec moi à un moment donné. C’est une question de timing plutôt que de hiérarchie. Mes amis sont tous mes meilleurs amis. Parfois, un étranger est temporairement le meilleur ami ; après, il n’est plus tout à fait étranger.

La nuit, on réfléchit différemment. La nuit, le temps semble m’appartenir pour lire, réfléchir, faire des plans à l’envers, à l’endroit. Jongler à l’infini avec des idées impossibles. La nuit est permissive, elle n’oblige à rien. J’aimerais pouvoir ne jamais dormir, et pourtant rêver est aussi formidable. Des nuits blanches à rêver…

La déception, ça n’existe pas. Il faut seulement changer de point de vue… Comme on vit d’abord avec soi et avec ce qu’on pense, il est assez rare qu’on se déçoive. Je trouve intolérable de me juger avec trop de dureté ou d’indulgence, alors j’essaie surtout de savoir où j’en suis.

Un aéroport, c’est la liberté. Dans un aéroport, personne (ou presque) ne te connaît et personne n’exige rien de toi… si tu éteins ton portable. Enfin, j’ai décidé que c’était une pause, une récréation. Lorsque j’arrive à l’aéroport, je me mets à rire. Et je vais prendre un verre… après les contrôles de sécurité.

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.