Entrevues

Françoise Bertrand

Présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), sociologue, titulaire d’une maîtrise en études environnementales.

La Presse

Comment expliquer la crise?
La hausse des droits de scolarité est nettement au coeur du problème. La question réapparaît dans l’agenda public de façon cyclique depuis des décennies, car les diverses négociations n’ont jamais réussi à la résoudre. Du moins, aux yeux des étudiants.

Cette fois, comme la situation traîne en longueur, les gens en profitent pour exprimer d’autres insatisfactions. Liées entre autres à la gouvernance de Jean Charest, qui est au pouvoir depuis neuf ans. Reste que le débat a pour origine les droits universitaires.

Que pensez-vous des événements?

À titre de présidente de la FCCQ, j’appuie la hausse des droits de scolarité. Les coûts croissants générés par le système de santé ont défavorisé les universités ; elles sont moins bien financées qu’avant. Le gouvernement a voulu remédier à ce manque en demandant aux étudiants de contribuer. Je ne vois pas où est le problème. La hausse est loin d’être indue ! À condition toutefois que les moins nantis puissent poursuivre leurs études. D’où l’importance d’un généreux régime de prêts et bourses. Le gouvernement s’est engagé à respecter ce principe.

Du reste, les Québécois devront s’habituer à la notion d’utilisateur-payeur* s’ils souhaitent profiter des mêmes services. Les coffres de l’État ne sont pas sans fond. Soit on choisit de diminuer les services, soit on augmente les provisions pour les payer. C’est une question qu’on n’a pas fini de débattre, d’ailleurs : après les universités, il faudra parler franchement du financement des garderies à sept dollars et des régimes de retraite. Personnellement, je suis pour que l’usager débourse en fonction des services qu’il reçoit.

La crise est-elle en train changer le visage du Québec ? Si oui, comment?

Il est trop tôt pour le dire. Certains pensent qu’on assiste à un retour de la participation des citoyens à la chose publique. Ils se réjouissent de voir les jeunes dans la rue et se projettent sur eux, peut-être. Ça confère au mouvement un côté sympathique. Et ça explique pourquoi les gens ont été moins irrités par les étudiants qu’ils auraient dû l’être, à mon sens.

Car cette agitation a de lourdes conséquences : à Montréal, des commerçants ont vu leur chiffre d’affaires fondre de 30 % à 40 %. Des entreprises qui dépendent du tourisme partout au Québec en souffrent. Et pour cause : la crise étudiante a fait parler d’elle autour de la planète, y compris sur les ondes de CNN et dans les pages du New York Times! On a dit que la paix sociale était rompue au Québec. Cela a causé un tort énorme à notre réputation. Il faudra beaucoup d’énergie pour la reconquérir.

Cette situation me remue beaucoup. Elle démontre que l’individualisme chez les jeunes n’est pas mort, contrairement à ce qu’on a répété dans les derniers mois. Je ne vois pas ce qu’il y a de solidaire dans le fait de dire : « On est dans notre droit, on a une bonne cause, alors on va de l’avant, peu importe les conséquences sur autrui. » En quoi les droits des étudiants sont-ils plus importants que ceux des commerçants, par exemple?

D’autre part, je n’adhère pas au discours célébrant « l’éveil » du peuple, qui sortirait enfin du « confort et de l’indifférence »… Voyons donc! les Québécois ne dormaient pas! Ils sont plus informés et éduqués que jamais. C’est d’ailleurs pourquoi les débats sociaux se complexifient. Pour s’en convaincre, il suffit d’assister à des consultations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ou à tout autre forum. Je rappelle qu’en 2004, à force de pression sociale, les Québécois ont forcé le gouvernement Charest à abandonner son projet de centrale au gaz du Suroît. Idem quand il a été question de déménager le Casino de Montréal au bassin Peel, en 2006. Alors lâchez-moi le « réveil »!

Comment dénouer ce conflit?
Je crois au pouvoir du dialogue, à la nécessité de bâtir des passerelles entre des camps opposés. Or, en ce moment, on simplifie trop les positions des uns et des autres. Ça nuit au débat. Il faut apprendre à écouter les arguments de la partie adverse sans brandir de menaces et sans faire d’elle l’incarnation du péché mortel, comme si on avait soi-même le monopole de la vertu! Il y a une distribution à peu près égale de gens honnêtes et malhonnêtes dans toutes les couches de la société.

Par ailleurs, davantage d’efforts de pédagogie devraient être déployés du côté du gouvernement. Au départ, il n’a pas assez pris le tableau et la craie pour expliquer le comment et le pourquoi de la hausse des droits de scolarité à l’université. Ceci dit, la FCCQ n’a pas fait un tam-tam du tonnerre non plus. Ceux qui appuient la hausse comme nous devraient peut-être intensifier leur utilisation des médias sociaux pour diffuser leurs opinions, à l’instar de ceux qui sont contre.

 

* Selon le principe de l’utilisateur-payeur, chaque citoyen devrait payer à la pièce les services publics dont il bénéficie, en fonction de sa consommation personnelle, plutôt que de refiler la facture à la communauté. Les services offerts par l’État ne seraient donc plus seulement financés au moyen de nos impôts, mais aussi par des tarifs assumés par chacun. Exemple : payer pour voir son médecin, à partir d’un certain nombre de visites.

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