Entrevues

Isabelle Maréchal, femme d’affaires et touche-à-tout

De reporter sérieuse à journaliste déjantée, de comédienne à productrice télé, d’animatrice fofolle à entrepreneure: Isabelle Maréchal est tout ça, et bien plus encore.

Isabelle-Marechal

Photo: Geneviève Charbonneau

Elle m’attendait à son « quartier général », chez Boris Bistro, à l’orée du Vieux-Montréal. Cinq petites minutes à pied des studios de 98,5 fm, où elle venait de terminer son émission matinale et quotidienne, baptisée simplement Isabelle. L’intervieweuse a été une interviewée parfaite : volubile, captivante, chaleureuse. Trois heures et quelques verres de vin plus tard, seuls clients encore attablés, nous discutions toujours, de tout, mais jamais de rien.

Son curriculum vitæ ? Pas banal. Reporter à Radio-Canada, elle a couvert le génocide au Rwanda (« Je suis tombée dans une fosse commune », dira-t-elle, toujours troublée 21 ans plus tard). D’avoir vu l’horreur lui a insufflé l’envie viscérale de donner la vie : sa fille Audrey est née l’année suivante. Isabelle a ensuite été comédienne (Virginie et Un gars, une fille), animatrice (Les copines d’abord, Loft Story 2), journaliste décalée (La fin du monde est à sept heures), bourlingueuse (Isabelle autour du monde, à TV5). Elle est souvent là où on ne l’attendait pas : dans l’agroalimentaire et chez Costco, par exemple, parfois en personne mais surtout d’une façon virtuelle et embouteillée. C’est qu’il y a un peu d’Isabelle Maréchal dans les « fruits à boire Anti+ », lancés il y a deux ans par Novidev Santé Active, fondée avec Thierry Houillon, son mari et père de sa cadette, Laura, 13 ans.

Votre père était entrepreneur. Ça aide une fille à se lancer à son tour ? Probablement. J’ai ça dans le sang. Mes grands-parents étaient hôteliers et restaurateurs. Et je sens que mes deux filles seront elles aussi à leur compte un jour. En France, papa était ingénieur agronome et vétérinaire. Grand rêveur, il voulait venir en Amérique et posséder une Cadillac. Il en a eu cinq ou six. Ça me fait du bien de penser qu’au moins il a pu réaliser ce rêve-là… [Jean-Louis Maréchal est mort en 2009, à la suite d’un bête accident avec son arme de chasse.]

Quand votre famille a immigré au Québec, vous aviez 10 ans. Oui. Et papa s’est lancé en affaires. Être entrepreneur, c’est difficile, il y a des risques. J’ai grandi dans l’insécurité financière. On apprend à vivre avec. Je l’assume complètement. Mon père a essayé bien des choses qui n’ont pas fonctionné et il m’a même embarquée dans l’une d’elles.

Laquelle ? Il avait fondé une société de transport, La Flèche bleue, dans laquelle j’ai investi. À l’époque, j’étais à la fois reporter à Radio-Canada et vice-présidente de cette entreprise. On avait des camions de 10 roues qui sillonnaient le Canada et les États-Unis. Ça n’a pas donné les résultats escomptés. Ensuite, papa s’est acheté une porcherie, au moment où le marché du porc s’effondrait.

Alors pourquoi prendre des risques quand on gagne un bon salaire ? Ce qui est sans doute votre cas : votre émission est la plus écoutée dans son créneau au Québec. Oui, mais c’est un milieu hyper précaire. Et cela, même si j’ai 25 ans d’expérience et de bons patrons. Il faut que j’aie un plan B… J’aurais pu demeurer à Radio-Canada, où j’étais employée permanente : je serais bientôt à la retraite. Sauf que ce n’est pas pour moi. Je suis une fille de party.

Votre argent, vous le dépensez en partys ou l’engrangez en partie ? Je n’ai pas les moyens d’engranger parce qu’on s’est lancés en affaires. Je ne suis pas riche. J’ai une Mercedes qui a plus de cinq ans, elle est payée et je ne vais pas en racheter une de sitôt. J’ai encore 25 années de travail devant moi. C’est ça, la nouvelle réalité. J’ai une énergie incroyable, j’ai la chance d’être en santé et je l’apprécie encore plus depuis que Thierry a eu un cancer du foie il y a deux ans.

Que représente l’argent pour vous ? C’est un moyen. Je travaille pour en avoir plus que moins. Et je suis endettée, comme le Québécois moyen. Quand on est en affaires, on a des dettes. C’est moi qui gère tous les budgets à la maison, même si mon mari a une maîtrise en finances. Ma mère, une féministe convaincue, me répétait toujours : « Ma petite chérie, ne compte pas sur un homme. Arrange-toi pour t’arranger toi-même. »

Pourquoi avoir investi dans un produit alimentaire ? Mon conjoint travaillait pour Danone – c’est lui qui a implanté la marque au Québec – et je le voyais donner toute son énergie à un grand groupe. Un jour, je lui ai demandé : « Ça ne te tenterait pas d’être à ton compte ? Si tu avais une page blanche, tu ferais quoi ? » Il m’a répondu : « Je ferais un produit santé sans lait. Dans le végétal. » C’est comme ça qu’on s’est lancés. On a monté le plan d’affaires sur le comptoir de la cuisine.

Où trouve-t-on le financement pour lancer une entreprise de jus de fruits alors que les tablettes d’épicerie en débordent déjà ? Oubliez les banques. Ce qu’on a, c’est du love money : des gens qui t’aiment et qui te donnent 5 000 $. On a aussi reçu de l’aide d’Anges Québec, un groupe d’investisseurs privés. On a mis notre retraite là-dedans. Alors, c’est mieux de marcher ! Pour être entrepreneur, ça prend un côté rationnel et un côté irrationnel. Il y a 20 ans, j’ai fait un MBA à HEC, parce que j’avais en tête d’être un jour à mon compte et que je savais les financiers pleins de préjugés envers les « artistes ». Je venais d’accoucher, j’étais une mère seule, j’étais animatrice à Télé-Québec. Aujourd’hui, je ne le referais pas. Mais j’ai beaucoup appris, entre autres à mieux gérer mes équipes au travail, chez Novidev et aussi dans ma compagnie de production Iprod [fondée l’automne dernier et dont le premier documentaire, Johanne Fontaine : Accro à la vie, a battu des records d’audience à Canal Vie le printemps dernier].

Vous avez combien d’employés ? Novidev, notre usine à La Pocatière – 20 employés –, roule à plein régime car on vient d’ajouter une saveur (melon d’eau). On a aussi quatre personnes au siège social à Montréal, plus une équipe de distributeurs, au Québec et en Ontario. On voudrait aussi être distribués chez Whole Foods et Costco aux États-Unis.

Votre but ultime, c’est de devenir millionnaire, multimillionnaire ? Ça peut avoir l’air cucul, mais ma motivation, c’est la fierté. J’aime construire. Je ne veux pas être riche ou pouvoir dire que je le suis. Si j’étais indépendante de fortune, je n’irais pas vivre dans les Caraïbes, j’irais en politique. J’ai déjà eu plusieurs offres, on m’a offert des comtés…

Vous dites travailler sept jours sur sept. Que faites-vous pour décrocher ? Durant les vacances, on loue une petite maison dans le sud de la France, près de Saint-Tropez. Je me baigne dans la Méditerranée, c’est ma façon de me ressourcer.

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