Entrevues

J’ai cuisiné pour Josée

Pour parler de son troisième livre de recettes – ainsi que de ses 10 ans de télé –, notre journaliste a invité Josée di Stasio chez lui. Et il a eu le courage de cuisiner pour elle l’un de ses plats préférés.


 

Elle le dit souvent, question de rassurer quiconque l’invite à manger : la nourriture n’est qu’un prétexte, ce qui compte, c’est la rencontre. Tout en précisant que, pour la recevoir, un sandwich aux tomates suffit. Peut-être… Mais pour une épicurienne chevronnée qui admet être « folle du pain », quel type choisir pour le sandwich? Combien de grains? Pourquoi pas une baguette? Et la tomate, aliment essentiel utilisé à toutes les sauces par cette fille aux origines italo-québécoises? De serre, de champ, cerise ou séchée, ronde ou oblongue? Sans parler de la mayonnaise! Bref, le plus simple était de piger au hasard parmi les recettes de son cru, puis d’exécuter à la virgule près, tout en priant saint Laurent, patron des cuisiniers et martyr – il est mort rôti!

Folle des soupes
Dès son entrée dans mon humble cuisine, Josée a vu sur le comptoir son premier livre, un immense best-seller lancé en 2004 et sobrement intitulé À la di Stasio, ouvert à la page 47, Potage à la courge musquée. « J’en ai justement fait un la semaine dernière. Je suis folle des soupes, et celle-là est l’une de mes préférées. » Aïe! Petite pression supplémentaire ici.

Mais Josée n’était pas venue donner des contraventions à titre de policière de la louche dans une version perso du Combat des chefs. Au contraire.

Le sourire scotché aux lèvres et l’œil fureteur, la dame savourait ce moment inédit : une interview menée près des chaudrons et dans les effluves d’une soupe maison concoctée le matin même par un journaliste.

Tout a commencé avec une purée…
Elle a feuilleté son livre – « mon bébé », comme elle l’appelle – avec une certaine émotion, notant au passage les taches graisseuses et les signets jaune vif. « Tu t’en sers, ça me rend heureuse », a-t-elle dit, stoppant sur la photo appétissante de sa casserole de poulet à la pancetta. « Je me souviens, on l’avait faite la deuxième semaine de l’émission. C’est là que je me suis rendu compte de l’impact de la télévision : il n’y avait plus de hauts de cuisse de poulet au marché. »

C’était il y a 10 ans. À la di Stasio prenait alors le relais de Ciel! mon Pinard, l’émission de cuisine éclatée – et gros succès de Télé-Québec. La timide Josée y avait appris le métier d’animatrice auprès de son acolyte, le flamboyant Daniel Pinard. Ce n’était pas gagné d’avance. « À ma première émission avec lui (en septembre 1998), Daniel m’avait dit : “On va cuisiner une purée”. Je tripais sur les purées et lui aussi, donc c’était parfait. Je pensais que ça allait durer 10 minutes. Mais il avait oublié de préciser qu’après la purée je continuerais à cuisiner avec lui pendant toute l’heure. Ma cousine Chantal m’a dit que mes ongles étaient en train d’entrer dans le comptoir… »



 

L’huître cuisinière
Inconnue dans les chaumières à cette époque-là, Josée di Stasio était déjà une valeur sûre dans le petit monde du stylisme culinaire, cet art qui consiste à transformer un poulet en top-modèle et un burger en objet de désir, en collant notamment un à un les grains de sésame sur le pain, ce qu’elle a déjà fait pour une pub de McDo. En passant de l’arrière-scène aux feux de la rampe, elle dit avoir conservé ce côté artisan, besogneux, antiglamour.

Mais, avec le temps, la styliste effacée s’est muée en animatrice solide, capable de partager l’écran avec le gratin des artistes québécois, nouant quelques amitiés au passage (avec Anne Dorval notamment), papotant et popotant avec un personnage mythique du cinéma, Gérard Depardieu. « Si j’avais su jusqu’où cette émission-là me mènerait, moi qui avais si peur du côté public de la chose… » Car elle-même est devenue une vedette, reconnue partout et à qui on pose des questions banales qui lui paraissent facilement trop intimes. (Va-t-elle au restaurant? « Pas souvent, et on ne va pas entrer là-dedans. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de bonnes tables à Montréal – elle s’adresse directement au magnéto –, elles sont toutes fantastiques. »)

Dans une vie antérieure, Josée di Stasio était sans doute une huître, fermée à double tour sur son jardin secret, qu’elle protège telle une perle. Par contre, elle s’ouvre quand il est question de nourriture. Ça donne envie de courir enfiler son tablier – ce qui est à la base de son succès.

« Ça prend du vert qui te fait du bien jusqu’au plus profond de ton être, servi dans un bol, ce qui s’appelle réconfort », dit-elle de sa soupe aux boulettes et légumes. Parce que, oui, elle est folle des boulettes. « Ma petite sauce wasabi, je te la conseille. Avec du concombre, c’est à se jeter par terre. » Ce fameux wasabi fait partie du menu décliné sur 224 pages dans son troisième « bébé », baptisé À la di Stasio 3.
 
Qu’on appelle mes goûteurs!
Sept ans après le premier, quatre ans après Pasta et cetera à la di Stasio, quel était son état d’esprit lors de la conception de celui-ci? « Au début, je m’en allais dans plusieurs directions. J’écoutais mes amis. Des concepts, j’en ai pondu plusieurs, mais n’en ai gardé aucun. J’ai dû me recentrer. On a chacun sa palette ; par exemple, les légumes grillés font partie de la mienne depuis 10 ans. »

Je lui dis qu’elle a la réputation d’être pointilleuse. « Hummm, je suis particulièrement, comment dire… » Maniaque? « Non… » Perfectionniste? « Hum… “Insécure”, si on veut. » Elle rit, consciente, et contente, de faire dévier la conversation. « Dès le départ, quand j’essaie une recette, je ne suis pas très loin du résultat final. Ensuite, j’ajoute deux petites garnitures, j’en enlève trois. Après, je m’amuse, j’essaie de la simplifier, je fais sauter des éléments que je ne trouve plus essentiels. Écrire des recettes et les standardiser, dit-elle, ce n’est pas l’affaire la plus excitante au monde. Calculer deux cuillerées et demie de quelque chose… J’aimerais beaucoup mieux dire : “Tel ingrédient ou tel autre, mettez-en à votre goût”. »

Craignant qu’on l’empoisonne, Cléopâtre avait ses goûteurs. Josée, qui redoute la fadeur plus que le curare, en a aussi. Une bonne douzaine. Inutile d’envoyer votre CV, tous les postes sont comblés. « C’est mon noyau d’amis très proches, ma famille : ma cousine Chantal, son chum, leurs deux filles qui sont dans la vingtaine et la trentaine, quelques autres aussi. Ils arrivent chez moi, débouchent la bouteille de vin. Il ne faut pas que j’aie l’impression de recevoir. Ça se passe autour du comptoir. Je dépose les plats en commençant par les entrées. Ils goûtent et, comme ils en ont goûté d’autres avant, ils peuvent comparer. Je prends des notes, je goûte aussi, bien sûr. L’intimité que j’ai avec eux fait que je peux aller sur ce terrain-là. Une fois, quelqu’un s’est joint au groupe et ça n’a pas fonctionné. »

Le verdict
Josée prend son travail très au sérieux, mais elle prend le reste avec un grain de sel. Et c’est armée d’une cuillère et de son plus beau sourire qu’elle a joué à la goûteuse avec curiosité, ajoutant un filet d’huile d’olive, un peu de poivre et un soupçon de lime fraîchement pressée.

« Dans mon souvenir, mon potage goûte différemment. Tu sales moins que moi. Ton cari est moins parfumé. As-tu mis beaucoup de gingembre?
— Euh… J’ai suivi la recette.
— Ça m’intrigue de goûter à cette recette suivie à la lettre, parce que moi, je la fais depuis si longtemps, je ne mesure plus. Tu vois? Mettre un peu de lime, ça change le goût. C’est ce que j’aime avec mon nouveau livre, je donne plusieurs idées de garnitures pour accompagner tout ce qu’on veut. [Elle reprend une cuillerée.] Elle est bonne, ta soupe, je suis contente. »

Moi aussi.


Josée di Stasio: La séance photo
Josée di Stasio s’est vêtue de chics tricots crème pour la couverture de notre numéro gourmand!

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