Entrevues

Karine Vanasse

En mai 2005, lorsque Karine Vanasse a annoncé son intention de coproduire un film sur la tuerie de Polytechnique, une onde de choc a secoué le Québec.


 

Celui ou celle qui empêchera Karine Vanasse de faire ce en quoi elle croit n’est pas encore né : le 6 février prochain, Polytechnique, signé Denis Villeneuve (Un 32 août sur terre, Maelström) prendra l’affiche au Québec. Malgré le scepticisme ambiant. « Le jour où j’ai fait connaître mon projet, j’ai accordé 17 entrevues en rafale, se rappelle la comédienne de 25 ans qui, en plus de participer à la production, tiendra l’un des rôles principaux. C’était clair, j’avais mis le doigt sur un tabou. »

Polytechnique est une fiction en noir et blanc construite à partir des témoignages de ceux et celles qui étaient présents le jour du massacre. Un film peu bavard, dit Karine Vanasse, qui, elle, parle à toute vitesse. Et beaucoup. « On joue sur le “senti”, le silence. On ne montre pas de violence. C’est un film empreint de recueillement. »

Quand la maison de production Remstar lui a offert de s’investir dans un projet, la possibilité de faire un thriller ou un joli film romantique ne lui a même pas traversé l’esprit. « Polytechnique s’est tout de suite imposé. »

Avec toute la fougue qui l’habite, elle justifie son choix. « J’ai participé à une soirée commémorant le 15e anniversaire du drame. C’est là que j’ai ressenti à quel point il avait blessé les femmes, les hommes, toute la société quoi ! Je me suis dit qu’il faudrait oser retourner en arrière pour regarder ce qui s’était vraiment produit. Histoire de pouvoir, enfin, passer à autre chose. Sereinement. »

Karine Vanasse a une tête d’ange et un corps à la fois effilé et musclé à nous rendre toutes jalouses. Au moment de notre rencontre, elle a l’air de Lara Croft dans son legging noir et son pull de la même couleur (dont elle étirera les manches et triturera le col châle pendant l’entrevue), sauf que ça ne lui suffit pas : elle veut être plus qu’une image. C’est le cas. Elle a un je-ne-sais-quoi d’atypique, un caractère plus trempé que bien des comédiennes de sa génération. « Ça m’a ouvert des portes d’un côté mais m’en a fermé d’autres, je le sais. »

Karine a fait ses débuts au cinéma à 14 ans dans Emporte-moi, de Léa Pool. Déjà, elle crevait l’écran. On n’est pas près d’oublier non plus son émouvante Donalda dans Séraphin, un homme et son péché de Charles Binamé en 2001. Deux rôles qui lui ont valu le Jutra de la meilleure actrice.

Dans sa feuille de route, on trouve aussi en 2003 un rôle aux côtés de Penélope Cruz et de Charlize Theron dans Heads in the Clouds, du réalisateur australien John Duigan. En 2007, les critiques français du Figaro et du quotidien Le Monde louangent son interprétation dans Marie-Antoinette, docufiction d’Yves Simoneau et de Francis Leclerc, où elle tient le rôle-titre. Elle a aussi remporté au passage la grande finale 2007-2008 du concours de danse Le match des étoiles.

Danser, jouer, chanter, fournir des réponses claires et structurées : Karine Vanasse donne l’impression d’être « Miss Parfaite », de réussir tout ce qu’elle entreprend. Trop au goût de certains, qui lui reprochent son petit côté « première de classe ».

« C’est vrai qu’à l’école je pleurais quand je n’avais pas la note maximale, concède-t-elle en riant. Je voulais tellement bien faire. J’ai transposé cette obsession dans mon travail de comé­dienne. » Mais elle change et est de plus en plus consciente qu’il y a mieux à faire dans la vie que de vouloir plaire à tout le monde. « C’était une de mes bibittes, je l’avoue. » Désormais, elle a envie qu’on entende sa vraie voix. Envie aussi de s’engager de plus en plus socialement. D’où Polytechnique.

Le film porte le regard au-delà des éléments connus jusque-là. « On a accusé par exemple les étudiants d’avoir lâchement abandonné les filles au lieu de les protéger. Mais on n’a jamais vraiment eu leur version à eux. Denis [Villeneuve] a rencontré plusieurs de ces hommes. Polytechnique nous aide à mieux comprendre ce qui s’est passé dans leur tête durant ces terribles minutes. Après avoir visionné le film, je pense qu’on voit les choses autrement. »

Karine Vanasse a longuement écouté les survivantes du drame. Leur résilience l’a frappée. « Ce 6 décembre a marqué leur vie à jamais. Mais leur existence ne s’est pas figée pour autant. Elles ont continué d’avancer. »

La comédienne enchaîne, sans reprendre son souffle : « Elles avaient l’âge que j’ai aujourd’hui ou presque, la plupart étudiaient en génie, elles avaient de la drive à revendre. Je peux tout à fait m’identifier à elles. »

On ne sort pas indemne du tournage d’un film aussi intense. La scène où Marc Lépine (Maxim Gaudette) se retrouve seul dans la classe avec les filles fut éprouvante.

« Le responsable des armes à feu est arrivé ce matin-là avec une rose blanche pour chacune, raconte Karine, la voix légèrement tremblante. Il a fallu faire une pause à un certain moment. Pour les acteurs, pour les techniciens, pour tout le monde, l’émotion était trop forte. »

Elle s’arrête aussi. Et puis reprend. « Chaque femme présente était touchée dans sa vulnérabilité, sa fragilité. »

Féministe, Karine Vanasse ? Il y a quelques années, quand on lui posait la question, elle hésitait. Elle commence encore par hésiter… « Remonter dans le temps pour les besoins du film m’a fait réaliser d’où me venait ce malaise. Après le drame de Polytechnique, beaucoup de féministes ont crié leur colère. Je peux très bien comprendre leurs raisons. Je n’avais simplement pas le goût de cette colère. »

Elle se tait, réfléchit en regardant au loin. Et poursuit. « Les temps ont changé. Finalement, oui, je peux dire que je suis une féministe. Mais comment dire ? Je suis une féministe d’aujourd’hui, sans la nécessaire combativité qui habitait les féministes d’hier. Voilà ce que je suis. »

Chose certaine, l’héritage du féminisme coule dans ses veines. Karine Vanasse s’est toujours sentie investie d’un devoir : être à la hauteur des batailles gagnées de haute lutte par ses aînées pour l’égalité homme-femme. Au point d’en avoir fait longtemps un peu trop ! juge-t-elle avec le recul et le sourire.

« Jusqu’au tournant de ma vingtaine, il n’était pas question de laisser s’infiltrer la moindre parcelle de coquetterie dans mes rapports avec mes collègues. Je refusais net tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un jeu de séduction. Je voulais montrer que moi, je n’embarquais pas là-dedans. J’étais jeune et j’avais mes principes ! Ce cadre me rassurait. »

Mais aujourd’hui, elle a compris que, dans la vie, tout n’est pas tranché, qu’on peut être à la fois une femme forte et avoir une féminité assumée.

« Cela dit, c’est normal que mon image plus charnelle dans Ma fille, mon ange (2006) [où son personnage évolue dans le monde de la cyberpornographie] en ait surpris plusieurs, concède-t-elle : je n’avais vraiment pas habitué les gens à cela ! »

Karine Vanasse est l’aînée d’une famille de quatre enfants. Elle est née à Drummondville. Son père tenait un magasin d’articles de sport avant de devenir contremaître à la Ville. Sa mère gérait une garderie, puis a été son agente jusqu’en 2007. « Elle m’a appris à me faire respecter. Elle tenait aussi absolument à ce que je regarde les dramatiques de Janette Bertrand lorsque j’étais petite (L’amour avec un grand A) : elle estimait qu’on pouvait apprendre très jeune à juger clairement les situations, même les plus délicates. »

Métier oblige, Karine a rapidement été parachutée dans le monde adulte. Ce ne sera pas sans conséquence… « À 14  ans, je suis partie rester en chambre à Montréal pour le travail et j’ai perdu contact avec mes amis. » Certes, elle avait une « vieille âme », comme lui disait son arrière-grand-mère pour nommer sa jeune maturité. Mais se retrouver sans cesse parmi des gens qui avaient fait leurs preuves l’impressionnait. « Je me comparais. Je redoutais d’avoir l’air idiote et je me trouvais fade et inintéressante. Je ne me suis pas encore complètement débarrassée de ce complexe. »

La comédienne n’a fait ni université ni école de théâtre. « J’ai appris la vie et mon métier autrement. » Notamment en voyageant. L’Europe à 15 ans avec son cousin, puis la Grèce, Taiwan… Et, à 19 ans, un séjour de six mois à New York pour apprendre l’anglais. « Mais surtout pour me prouver que je pouvais me débrouiller seule. »

Longtemps, il y a eu deux Karine. « En voyage, je m’habillais, je vivais différemment, j’étais moi-même sans le regard de personne. »

Pourquoi changer au retour ? « Je ne sais pas. Je pourrai peut-être répondre dans 10 ans avec le recul. Mais je sais une chose. Je veux réconcilier les deux parts de moi-même : la part plus sérieuse et la part plus cool, plus “libre”. »

Voyager reste cependant toujours dans sa mire. « Je rêverais par exemple d’un long séjour au Japon. » Un jour. Mais pour l’instant, sa place est ici. D’autant qu’elle vit l’amour depuis quelques années avec Maxime Rémillard, 33 ans, l’un des deux propriétaires de la société de divertissement Remstar : on se serait davantage attendu à la voir au bras d’un artiste. « Il y a des artistes qui sont des hommes d’affaires. Lui, c’est l’inverse », répond-elle, visiblement piquée.

On se souviendra que Remstar se portait acquéreur de TQS au printemps 2008. Une période que Karine Vanasse a trouvée éprouvante. « Les critiques étaient injustes. Maxime et son frère auraient pu choisir simplement de profiter de la fortune familiale. Ils ont eu le guts de se lancer dans cette aventure. Laissons-leur le temps de faire leurs preuves. »

Elle ajoute : « J’admire Maxime. Et j’aime les petites lignes qui se dessinent au coin de ses yeux quand il est heureux. »

Côté travail ? Des projets secrets dont elle ne peut parler pour le moment. « J’adorerais travailler avec des enfants. Pour renverser les rôles, ne pas être celle qu’on observe, mais celle qui analyse pour permettre à de plus jeunes de se perfectionner. » Elle devait par ailleurs jouer dans un film en Hongrie avec Guillaume Depardieu sous la direction de la cinéaste américaine Jane Spencer. Depuis le décès de l’acteur français, en octobre dernier, le projet est en suspens.

Elle a aussi très hâte de voir ce qu’on lui proposera après Polytechnique. « Ces dernières années, certains ont un peu de difficulté à cerner mon casting, à me caser, je crois », dit-elle en riant. À leur décharge, avouons qu’entre Séraphin et Ma fille, mon ange, il y a un univers !

Avant tout, Karine Vanasse a soif d’une chose : faire partie d’une équipe. « Polytechnique m’a permis d’être une parmi d’autres. J’ai beaucoup été la vedette des films dans lesquels j’ai joué, ce qui impliquait forcément un statut un peu particulier. J’ai besoin d’apprendre à trouver ma place dans un groupe. Ma juste place, ni moins ni plus. C’est mon défi. »

Le virage à amorcer ne l’angoisse aucunement. Au contraire : « J’aime être en situation de déséquilibre; c’est là qu’un être humain montre sa vérité. Quand un obstacle se dresse, le vrai voyage commence ! »

Cette fille est l’exigence faite femme. « Oui, c’est vrai, et pour une simple raison : quand je ne suis pas exigeante, ça me manque. »

Pour Karine Vanasse, la vie est un test. Et elle a bien l’intention de le réussir.

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