Entrevues

L’année Larouche

2008 ne sera pas banale pour Fabienne Larouche, qui lance bientôt son premier film (ce qui la rend folle de joie) et qui, cet automne, sera quinquagénaire (ce qui ne lui plaît pas du tout).

On pouvait lire dans Châtelaine, en 1996 : « La bombe Larouche succède à Lise Payette en signant un téléroman quotidien d’une demi-heure. Si tout se passe comme prévu, Virginie devrait l’amener jusqu’en l’an 2000 ! » Avouons une certaine modestie dans nos prévisions. Car le jour de notre rencontre, en février dernier, la « bombe » écrivait le 1 412e épisode de Virginie, qui vivra à l’antenne de Radio-Canada jusqu’en… 2012 !

Auteure-télé des plus prolifiques, et l’une des personnalités les plus puissantes de la culture québécoise, Fabienne Larouche caressait depuis longtemps un rêve de cinéma. Entre le rêve et le cauchemar, la frontière est mince : six années de travail, d’embûches et de déceptions en auraient découragé plus d’un, mais pas une tête dure comme la sienne – même si Fabienne avoue, dans un souffle, que « ça n’a pas été facile, ça n’a vraiment pas été facile ». Son premier film, elle y croyait, le voulait, le voyait dans sa soupe et le verra bientôt sur grand écran. Réalisé par Charles Binamé, avec Rémy Girard dans le rôle principal, Le piège américain prend l’affiche le 16 mai dans tout le Québec. Surprise : il ne ressemble en rien à ce qu’elle nous a déjà donné. L’histoire met en scène Lucien Rivard, un trafiquant québécois d’armes et de drogue qui a réellement existé. Dans les années 1950 et 1960, Rivard en menait large, tirant les ficelles de Cuba (d’avant Castro) aux États-Unis en passant par Montréal et l’Asie du Sud-Est. Il aurait même, raconte la légende urbaine, été mêlé à l’un des événements qui ont changé le destin de l’Amérique, l’assassinat de John F. Kennedy.

Châtelaine : Comment avez-vous appris l’existence de Lucien Rivard ?
Fabienne Larouche : C’est Michel Trudeau, mon coauteur, coproducteur et mari, qui me l’a fait découvrir, il y a six ans. En lisant American Tabloid, un roman de James Ellroy, Michel avait remarqué qu’un des personnages principaux autour du meurtre de John F. Kennedy s’appelait Pete Bondurant, un French Canadian. Sur le coup, ça l’avait étonné. Il a commencé à faire des recherches et a mis la main sur Lucien Rivard.

Vous parlez au figuré, car vous ne l’avez jamais rencontré, même s’il était encore vivant à l’époque.
Oui, mais nous ne le savions pas. Il y a tout un mythe autour du personnage et des vérités multiples. Et il y a eu beaucoup de hasards dans la genèse du film. Un soir, Michel et moi mangions chez Paul Houde ; Paul Arcand était là, et on a commencé à parler de Lucien Rivard – ce sont deux passionnés de Rivard. Ils m’ont appris qu’il vivait en Indonésie, qu’il avait subi des chirurgies esthétiques et qu’on ne pouvait plus le reconnaître… Le même week-end, Michel m’informe que Claude Blanchard connaît Rivard. Je téléphone à monsieur Blanchard, je vais manger avec lui. Il confirme : « Ben oui, mon chéri, je connais Lucien, mais il est mort il y a deux semaines. Il vivait à Laval, il n’a jamais été refait, il n’a jamais eu de problème… » Claude Blanchard m’a raconté bien des choses sur Rivard.

Qu’est-ce qui vous a intéressée dans cette histoire ?
Pour moi, qui suis une Québécoise de souche et qui trouve son peuple résigné et soumis, Lucien Rivard, même s’il était un malfrat, m’est apparu comme ayant une stature, une envergure comme on en a rarement vu ici, surtout à cette époque. Rivard est devenu un prétexte pour dire autre chose sur la société américaine actuelle, son obsession de la sécurité, sa peur des méchants étrangers – alors que les méchants sont peut-être à l’intérieur du pays. Son histoire, c’est aussi notre place dans le mythe américain.

Ce n’est pas un film sur sa vie ni un film historique.
C’est un voyage imaginaire dans l’esprit de Rivard, sur les événements documentés, sur ce qu’il n’a jamais dit de son implication dans l’assassinat du président Kennedy en 1963 – mon premier souvenir de télévision.

Ce n’est pas le genre de film qu’on pouvait attendre de Fabienne Larouche.
C’est un film politique, intense, une proposition qui n’est pas facile, parce qu’on est loin du film drôle. C’est aussi six ans de travail : la recherche, l’écriture, la réécriture…

Car votre scénario a été refusé par les institutions.
Oui. Nous l’avons présenté à la SODEC et à Téléfilm, et il a été refusé une première fois. Je l’ai retravaillé. Je l’ai soumis de nouveau pour encore me faire dire non. C’est le fonds d’urgence de Line Beauchamp [ex-ministre québécoise de la Culture, qui a débloqué, en 2006, 10 millions de dollars pour la production cinématographique québécoise, dont 3 pour Le piège américain] qui nous a permis de faire notre film. C’est d’ailleurs pourquoi il lui est dédié.

Est-il possible que ceux qui décident quels seront les films subventionnés par l’État disent non à un projet parce qu’il est signé Fabienne Larouche ?
Je me sentirais bien mal d’affirmer ça, parce que je peux me tromper. Il faut aussi tenir compte des films auxquels on disait oui quand moi, je me faisais dire non… S’il y avait de l’argent pour tout le monde, il n’y aurait pas de problème. Ce n’est pas le cas. Alors certains prétendront que c’est humain de pousser ses amis… et de mettre des bâtons dans les roues aux autres.

Bien sûr, je ne suis pas l’amie de certains dirigeants des agences gouvernementales. Cela dit, j’ai quand même coécrit Scoop, Miséricorde, Paparazzi, Innocence et Urgence, j’ai écrit Fortier, j’ai produit Les Bougon. Téléfilm n’a pas perdu beaucoup d’argent avec moi.

Combien a coûté votre film ?
Six millions cinq, mais nous avons tout mis dedans. Je veux le dire, Michel et moi avons inclus la part du producteur, les frais administratifs et le cachet d’auteur.

J’imagine que c’est assez rare ?
On m’a assuré que c’était la première fois que ça se faisait. En fait, ce n’est pas notre argent personnel, c’est l’argent de notre travail. Notre salaire.

Votre premier film sort l’année de vos 50 ans. C’est une coïncidence ou votre cadeau personnel ?
Ah oui, 2008, c’est l’année de mes 50 ans. C’est tellement l’fun de se faire parler de ça.

Je ne voulais pas vous déprimer.
Je pense que je vais prendre une petite gorgée d’eau.

Vous voulez un peu de vin ?
Je ne prends pas d’alcool.

Jamais ?
Jamais. J’ai de grosses migraines depuis le début de ma vingtaine et j’évite tout ce qui peut les provoquer.

Vous êtes une femme très disciplinée.
Assez. Un exemple ? Il y a quelques mois, j’ai appris que j’avais un haut taux de mauvais cholestérol. Le médecin m’a demandé : « Prendrez-vous les médicaments ? » J’ai répondu : « Y a-t-il une autre façon de traiter ça ? » « Oui, en suivant une diète, mais personne n’est capable. » En trois semaines, j’ai fait diminuer mon taux de 5,5 à 4,2. Pas de sauce, le beurre n’existe plus dans ma vie, la viande presque pas, plus de dessert. L’alcool, je n’en prenais déjà pas. J’ai perdu du poids et je me sens super bien, je fais de la gym tous les jours. Je suis obsessionnelle : je mange la même chose pour déjeuner depuis 40 ans, je porte le même maquillage – oui, ma petite ligne noire sous les yeux – depuis mes 18 ans. Je suis chanceuse, c’est à cet âge que je me suis trouvée. Et j’aime pas beaucoup les surprises. Finalement, ma vie est un peu plate…

TRAVAIL ET SÉDUCTION

Pendant plusieurs années, les mauvaises langues ont raconté que vous aviez des prête-plume, des gens qui écrivent pour vous dans l’ombre…
On n’en parle plus depuis longtemps. C’est une chose de lancer des rumeurs, c’en est une autre de les vérifier.

Ce qui étonne, c’est la somme de boulot que vous abattez. Travaillez-vous 20 heures par jour, 7 jours sur 7 ?
J’écris tous les jours parce que si je n’écris pas aujourd’hui, demain j’aurai deux épisodes à faire. C’est madame Payette qui m’a dit ça il y a 15 ans. Je suis hyper disciplinée. J’ai une grande qualité, c’est ma force de travail. Quand j’ai un contrat, je l’honore, avec le budget qu’on m’accorde, point. Ça ne se discute pas. Par contre, je fais du ski, je prends des vacances, je travaille rarement les week-ends. Quand même, j’ai dû faire des sacrifices, je n’ai pas eu d’enfants.

C’est un choix ?
Ça l’est devenu par la force des choses. À un certain âge, ce n’était plus possible. Il ne faut pas vivre avec des regrets ou des remords. J’ai une filleule, j’ai des nièces, Michel a des enfants de qui je suis très, très près.

Pour quelqu’un comme vous, comment c’est de vivre avec un psychologue ?
C’est riche. Je suis une bien meilleure auteure depuis que je suis avec lui.

Vous êtes avec Michel depuis longtemps ?
Ça va faire 10 ans qu’on est mariés.

C’était à l’époque d’Urgence, vous étiez déjà un personnage public, une auteure télé reconnue…
Et j’avais commencé à écrire Virginie.

On dit que les femmes qui réussissent, qui gagnent beaucoup d’argent, font peur aux hommes. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai jamais eu de problème avec ça. J’ai toujours aimé le jeu amoureux, le jeu de la séduction.

Donc, c’est vous qui avez séduit ?
Sûrement, en grande partie, oui. Mais la séduction, c’est un jeu qui se joue à deux. Michel est docteur en psychologie, c’est sûr qu’il aime le genre de femme que je suis. Il est probable que les hommes à qui je fais peur ne sont pas des hommes qui m’intéressent. La vie est bien faite. D’ailleurs, je n’ai jamais été toute seule, j’ai des chums depuis que j’ai 14 ans.

Tout à l’heure, on parlait de vos 50 ans. Si cela peut vous consoler, vous n’êtes pas la seule à franchir ce cap en 2008 : Madonna, Michael Jackson…
Et Sharon Stone. La cinquantaine arrive à très grands pas et je ne me sens pas comme une… vieille femme. C’est drôle parce que sur la photo de mariage de ma mère je vois ma grand-mère, qui avait 50 ans. J’ai cet âge aujourd’hui, mais j’ai l’air tellement plus jeune qu’elle ! Bien sûr, vous allez me dire que maintenant on a des crèmes, le maquillage, les teintures…

Vous êtes paraît-il très « crèmes et petits pots ».
Oui, je suis « crèmes », mais ça ne marche pas.

Mais vous en achetez quand même et c’est votre mère qui les teste.
Elle veut d’ailleurs que j’arrête de dire que ça ne marche pas. Si j’en parle, je dois préciser que ça fonctionne. O.K. maman, je vais arrêter… Donc, c’est sûr qu’en deux générations, les femmes ont l’air plus jeunes que celles de cette époque-là.

Et la chirurgie esthétique ?
Je ne suis pas contre. Ce qu’il faut, c’est être heureuse et bien dans sa peau. Moi aussi, à un moment donné, je vais me dire : bon ben là, Fab, go, on va se faire rafraîchir un peu.

FÉMINISTE PAR DÉFINITION

Vous êtes d’une lignée de femmes fortes, qui travaillaient à une époque où c’était rare.
Ma mère enseignait dans des écoles de campagne. J’ai su très tôt que l’indépendance financière, c’était important pour une femme… Je savais que je devais aller à l’université, gagner ma vie. Quand on gagne sa vie, on a le choix, on reste avec un homme parce qu’on en a envie, pas parce qu’on est obligée. Je viens d’une famille de féministes.

Êtes-vous féministe ?
Je suis une femme, par définition on doit l’être.

Pourtant, plusieurs femmes hésitent à se dire féministes aujourd’hui…
Ma grand-mère et ma mère se sont battues pour les droits des femmes, ma grand-mère pour voter… Avec d’autres femmes, ma mère a mis un syndicat sur pied, elle a milité avec ses cousines, avec sa sœur. Elle a toujours travaillé. J’ai été élevée avec les mêmes droits et obligations que les hommes. Ce qui fait que la première fois que j’ai divorcé, c’est moi qui ai dû payer une compensation à mon ex.

Dans votre monde, la télé, vous êtes l’une des femmes les plus puissantes du Québec.
[un peu mal à l’aise] Ce n’est pas moi qui dis ça.

Non, mais d’autres le font. François Avard, en parlant de la hiérarchie télévisuelle, a dit en blaguant qu’il y avait le réalisateur, le diffuseur, Dieu et, après, Fabienne Larouche. Vous êtes puissante et on vous craint…
C’est parce que je dis les choses comme je pense qu’elles doivent être dites : crûment, directement et, des fois, je ne fais pas dans la dentelle. C’est ça qui dérange, surtout dans le milieu dans lequel j’évolue, où on parle de tout, sauf des vraies choses. On fait semblant de s’aimer, mais on se déteste. C’est comme ça.

Joli milieu…
J’ai affronté bien des producteurs, des gens qui m’ont exploitée. Oui, exploitée, et qui m’ont humiliée. Quand je me sens victime d’injustice, je me défends. Ce qui surprend, c’est que je me défends. Parce que les gens dans ce milieu-là… ils ne se défendent pas. On fait semblant, on fait accroire, puis on veut que l’autre nous aime parce qu’il va nous donner un contrat et tout ça.

C’est un monde où il y a de l’argent.
Oui, beaucoup, beaucoup d’argent. Quand je suis arrivée dans ce milieu, je venais de l’éducation, de l’école publique. Quand je recevais mon chèque de paie, il ne serait jamais venu à l’idée du directeur d’école de me dire que c’était grâce à lui si j’étais payée, que c’était lui qui me donnait l’argent de mon salaire. Quand je me suis aperçue que les producteurs, financés à 100 % par le gouvernement, agissaient comme si c’était leur propre argent, se la jouaient comme si on était à Hollywood, j’ai fait minute, on se calme, vous êtes des gérants de projets, les copains, vous ne risquez rien. Vous êtes des fonctionnaires, pas des hommes d’affaires.

Depuis votre sortie célèbre d’il y a 10 ans sur le fait que ces « gérants de projets » empochaient des cachets énormes, les choses ont-elles changé ?
Elles sont en train de changer. De toute façon, cette situation ne peut pas durer. De tels salaires ne se justifient pas quand on connaît les problèmes de financement en santé, en éducation.

Vous êtes une femme lucide.
Oui. Lucide, mais pas dépressive. Parce que la lucidité mène parfois au suicide. Je suis très pessimiste dans la vie, j’ai encore des problèmes avec le sens de la vie. Je ne dois sans doute pas être toute seule à me poser des questions, parce qu’il n’y a pas tellement de réponses.

Pas tellement ou pas du tout ?
Dieu est une réponse pour certains. Le pape Benoît XVI, pour moi, ce n’est pas une réponse. Alors…

Vous êtes athée, agnostique ?
Agnostique. Avec un fort penchant athée, oui.

Ça ne vous tente pas de temps en temps de mettre des lunettes roses ?

Je ne suis pas capable, c’est ma nature qui est comme ça. Je ne fais pas exprès, j’attends toujours la catastrophe. Je suis constamment inquiète. Ça va être écrit sur ma pierre tombale : « Elle était toujours inquiète. »

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