Entrevues

Laure Waridel

Cofondatrice d’Équiterre, doctorante en anthropologie et sociologie du développement à l’Institut des hautes études internationales et du développement, en Suisse.

Dominic Gouin

Comment expliquez-vous cette crise?
J’estime qu’elle puise ses racines dans le mouvement de protestation né à l’occasion du sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle, en 1999. À l’époque, on réalisait que la vision économique à courte vue et l’ouverture des marchés avaient de lourdes répercussions sur la société et l’environnement, et qu’il fallait trouver un modèle plus respectueux du bien commun.

Ces préoccupations ont été en dormance après les attentats de New York, car toute l’attention médiatique et politique se concentrait sur la question du terrorisme. Mais voilà qu’elles se réactivent, notamment parce que la crise financière de 2008 a remis à l’avant-plan les conséquences nocives de notre modèle économique. Des mesures d’austérité touchent de plus en plus de pays – la Grèce est un exemple récent. L’endettement des pays, comme celui des ménages, atteint des niveaux inégalés. On est arrivé à un point de bascule.

En somme, la hausse des droits de scolarité a été la goutte qui fait déborder le vase. C’est que les sources de frustration ne manquent pas ! Beaucoup de Québécois ont le sentiment de se faire avoir par les élites politiques et financières. Les manifestations monstres du printemps, c’était une façon de dire : « On n’est pas idiots! ».

Par exemple, nos infrastructures coûtent 30 % de plus à construire qu’en Ontario. À qui cela profite-t-il? Dans le dossier du Plan Nord, aussi, on s’en fait passer toute une. Les contribuables épongeront les coûts de construction des routes et des lignes hydroélectriques dans le Nord québécois pour permettre à des multinationales d’y exploiter les ressources. En échange de quoi, ces dernières verseront 16 % de redevances à l’État. C’est bien mince, quand on sait que ces redevances s’élèvent à 30 % en Colombie-Britannique ! Enfin, des citoyens se sont sentis trahis par le gouvernement quand il a donné son aval au développement du gaz de schiste, avant même d’en connaître les impacts sur l’environnement. Sa responsabilité première est pourtant de protéger la santé de la population.

Quelles émotions ces événements suscitent-ils chez vous?
Je me réjouis que la population québécoise ose attaquer ses problèmes de front. Ça me remplit d’espoir. Je suis en Europe en ce moment pour faire un doctorat et, dans les milieux progressistes et universitaires où j’évolue, on admire le dynamisme et la créativité qui jaillissent de la prise de conscience des Québécois. On espère d’ailleurs que le mouvement fera tache d’huile en Occident.

Ceci dit sans minimiser les dommages collatéraux – pertes matérielles, intimidation, tensions, perturbation des transports, etc. –, je crois que la crise a réussi à briser le mur du cynisme. Beaucoup ont compris qu’ils peuvent réfléchir et agir en dehors des cadres habituels. Et être enfin des artisans du changement. J’ai assisté à des manifestations au cours d’un séjour à Montréal en mai : je n’avais jamais ressenti une telle force, une telle solidarité entre les classes sociales. Il se passe quelque chose de fort qui passera à l’histoire. Pour reprendre une phrase du poète Gaston Miron : « Nous arrivons à ce qui commence. »

J’ouvre une parenthèse : Depuis le début du conflit, on répète souvent que les opposants à la hausse des droits de scolarité sont surtout des étudiants en sciences sociales. Mais c’est logique! Les problèmes sociaux sont justement leur champ d’expertise : ils ont les connaissances pour les détecter et nous éclairer. On a tout intérêt à les écouter. Sans compter que, à titre d’étudiants, ils sont plus libres de s’exprimer que les travailleurs. Ils ne sont pas encore muselés par des intérêts politiques et financiers. À ce propos, une anecdote révélatrice : Quand j’ai corédigé le texte « Nous sommes ensemble », nous avons sollicité l’appui de gens en vue dans la société, dont des chercheurs universitaires. Il s’agissait de signer notre déclaration, parue dans le Voir du 1er mai. Or, beaucoup ont refusé avec regret, de crainte de perdre le financement privé de leurs recherches. La plupart de ceux qui ont signé sont à l’aube de la retraite ; ils n’ont plus rien à perdre.

Quelles solutions préconisez-vous pour régler le conflit?

D’abord, annuler la scandaleuse loi 78. Elle fait déjà l’objet de contestations devant les tribunaux. Ça va coûter une fortune… On n’a pas besoin de ça ! Ensuite, établir un moratoire sur les droits de scolarité et sur le Plan Nord. Il faut des états généraux en éducation pour discuter à fond du décrochage scolaire et de l’approche clientéliste des universités, entre autres.

Enfin, je souhaite que des élections soient déclenchées le plus tôt possible : le gouvernement actuel n’a plus de légitimité. Le Québec devrait profiter de l’occasion pour former une assemblée constituante, comme l’ont fait les Islandais à la suite de la crise financière, en 2008. Ce groupe de citoyens nommés par la population aurait pour mission de doter le Québec d’une Constitution qui refléterait nos priorités et nos valeurs.

Pour vous, quelles seraient ces priorités?
J’aimerais que le Québec change son approche en économie, afin que cette dernière réponde désormais aux besoins individuels et collectifs, dans le respect des écosystèmes. Je pense aussi qu’en éducation il faut cesser de se comparer aux États-Unis et au reste du Canada. En Finlande, en Suède, en Norvège, en Islande, au Mexique, l’université est gratuite. En Suisse et en Belgique, les droits de scolarité sont beaucoup moins élevés qu’au Québec. On voit bien que c’est une question de choix de société. On aurait les moyens d’offrir la gratuité scolaire si notre argent ne servait pas à acheter des avions militaires, par exemple.

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