Entrevues

Le prix de la liberté

Le blogueur saoudien Raif Badawi publie 1000 coups de fouet parce que j’ai osé parler librement, un recueil des textes qui lui ont valu d’être condamné à dix ans de prison et 1000 coups de fouet. Extrait du livre et entretien avec son épouse, Ensaf Haidar.

Pour lire la première partie de notre entrevue avec Ensaf Haidar, cliquez ici.

Votre époux, Raif Badawi, s’est-il remis de sa première séance de flagellation ?
Le plus dur pour lui, c’est de s’être fait imposer cette sentence alors qu’il n’a commis aucun crime. C’est impensable. Même moi, je n’y croyais pas. Alors quand c’est arrivé, j’ai trouvé ça terrible. Lui aussi bien sûr. Les plaies se sont cicatrisées, mais il est vraiment brisé de l’intérieur. C’est ce que ça fait, la torture. Il n’a pas été vu depuis par un médecin. En fait, les prisonniers qui doivent se faire flageller rencontrent le médecin avant pour que celui-ci dise si oui ou non ils sont en assez en bonne santé pour supporter les coups. Mais ils ne reçoivent aucun soin après.

Pour lire un extrait de «1000 coups de fouet parce que j’ai osé parler librement», de Raif Badawi, cliquez ici.

Femme-Raif-livreVous vous êtes mariés en 2002. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
On s’est connus deux ans auparavant. J’avais 20 ans et Raif, 16 ans. Je venais de terminer mes études de religion islamique. On habitait dans la même ville, à Jizan, dans le sud-ouest du pays (sur les bords de la mer Rouge). Raif s’était trompé de numéro de téléphone. Puis il m’a rappelée parce qu’il avait aimé ma voix ! Il m’a courtisée au téléphone pendant quelque temps avant de se présenter sous mon balcon, comme Roméo avec Juliette ! Il a ensuite demandé ma main en bonne et due forme (en Arabie saoudite, on ne peut pas se fréquenter). Comme ma famille ne connaissait pas la sienne, elle a refusé. Il a insisté, insisté, jusqu’à ce qu’elle accepte. Après notre mariage, je suis tombée enceinte de Doudi, Najwa et Myriam (aujourd’hui âgés de 11, 10 et 7 ans).

Comment vont vos enfants ?
C’est difficile pour eux. Ils sont comme les autres enfants, ils jouent, ils rient. Mais ils verbalisent beaucoup sur qui se passe. À d’autres moments je les sens plus renfermés. Ils demandent souvent quand papa va revenir. Avec le déménagement, on espérait qu’il sorte bientôt. Chaque fois qu’on achète des choses pour l’appartement, ils disent : « Papa va aimer ça. Papa va trouver ça super beau, la couleur de la chambre. » Ils y pensent tout le temps. Je n’ai pas osé leur dire que la cour avait réitéré son jugement. À quoi bon savoir qu’ils ne verront pas leur père avant 20 ans (NDLR : Raif Badawi a été condamné à dix ans d’emprisonnement, plus dix ans d’interdiction de sortir du pays)?

Quelle est la réaction de vos parents et ceux de Raif ?
Déjà au départ, ma famille n’était pas d’accord avec notre union. Lorsque Raif a lancé son blogue et éprouvé des problèmes, mes parents m’ont carrément demandé de divorcer. Si j’étais restée au pays, j’aurais été obligée de le faire. Quant à la famille de Raif, sa mère est décédée et son père n’a jamais été présent.

C’est la raison pour laquelle vous dites avoir trouvé une nouvelle famille ici ?
Ma grande famille, ma meilleure famille…

Comment entrevoyez-vous les prochains jours ?
Je ne peux pas laisser la décision de la Cour suprême détruire tout l’espoir que j’avais bâti. Il faut continuer le combat, ça ne sert à rien d’arrêter. Mais j’ai très peur de ce qui va se passer vendredi.

Que faites-vous de vos journées ?
Je vis de l’aide sociale pour le moment. J’ai commencé mes cours de francisation, mais j’ai dû les interrompre en janvier pour me consacrer à la campagne de mobilisation. J’ai l’intention de reprendre les cours pour me perfectionner (j’ai terminé le premier niveau) parce que j’aimerais travailler.

Que comptez-vous faire ?
Je ne sais pas encore, je n’ai pas la tête à ça. Quand Raif va venir, on va s’ouvrir un magasin et on va travailler ensemble.

Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous aider ?
J’aimerais tellement pouvoir vous le dire… Si vous pouviez trouver le numéro de téléphone personnel du roi, je l’appellerais pour l’implorer de libérer mon mari !

Parvenez-vous à trouver le sommeil ?
Non.

Est-ce que votre pays vous manque ?
Non, juste Raif.

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