Parce que les filles en détresse sont de plus en plus nombreuses à cogner à la porte du Chaînon, et que leurs maux sont plus complexes que jamais, 80 fées marraines du monde des affaires et des arts ont remué ciel et terre cette année pour que l’organisme ait enfin des moyens à la hauteur de sa mission, 80 ans après sa fondation.
Une fois de plus, elles ont déployé talents et énergie lors d’un gala au Centre Sheraton de Montréal, le 6 novembre dernier. L’événement a permis au Chaînon d’amasser 285 000 $. Châtelaine a demandé à quelques fées de parler de leur implication.
Pénélope McQuade, animatrice télé
« Je donne de mon temps parce que je suis féministe et qu’il est de ma responsabilité de défendre la cause des femmes. J’en connais qui ont l’air fortes en public, mais qui reçoivent des baffes à la maison. Ou qui cachent un problème d’alcool, de dépendance aux médicaments… Des fois, ça ne prend pas grand-chose pour chavirer. Suffit qu’on soit mal équipée à ce moment-là, qu’on n’ait personne autour de soi… Quand je vais au Chaînon, ça me ramène à la réalité. J’ai besoin de ça parce que je vis dans l’abondance, autant sur le plan humain que matériel. J’ai besoin de me sentir en symbiose avec tout le monde dans la société, pas juste mon petit univers. C’est pour ça que je vis dans Hochelaga-Maisonneuve et que j’ai étudié à l’UQAM, par exemple. Je déteste les ghettos. »
France Castel, chanteuse et comédienne
« Je sais ce que ça veut dire, avoir besoin d’aide. J’ai souvent été en difficulté dans ma vie. Aujourd’hui, je veux rendre l’appui, l’acceptation, l’amour et la sécurité que j’ai alors reçus. La solidarité entre femmes, c’est primordial. Il n’y en a pas assez à mon goût… »
Julie Payette, astronaute, directrice du Centre des sciences de Montréal
« Dernièrement, j’ai donné mon saxophone antique au Coffre aux trésors, un magasin d’articles d’occasion de Montréal dont les revenus sont versés au Chaînon. Il est si populaire qu’il a été mis aux enchères au profit de l’organisme. Ça me remplit de joie. Pour moi, c’était un petit geste, mais qui sait combien de personnes il pourra soutenir? »
Ody Giroux, présidente de l’agence média Carat Montréal
« Je me sens investie d’une mission : permettre au plus grand nombre de femmes de reprendre le pouvoir sur leur vie. Cette année, par le truchement de mon agence, on a réussi à obtenir de la publicité gratuite pour le Chaînon dans les plus grands médias du Québec, à hauteur de 1,2 million de dollars. Ça a permis de rappeler à la population que des femmes en détresse ont besoin de nous. »
Catherine Pogonat, animatrice et conceptrice d’émissions de télé et de radio
« Cette année, j’ai fait plusieurs lectures de témoignages d’anciennes résidentes du Chaînon. Quelle émotion de porter les mots de femmes qui ont touché le fond! Ces mots étaient pourtant ensoleillés, porteurs d’espoir. Parce qu’ici, elles avaient pu enfin trouver des personnes de confiance sur qui s’appuyer. Ça leur a donné un tremplin. Toutes sont les bienvenues, qu’elles arrivent en manteau de fourrure ou à moitié nues, en état d’ébriété ou lucides. Le mot d’ordre, c’est : "Viens-t’en." »
Michelle Blanc, spécialiste des médias sociaux, fondatrice d’Analyweb
« Je donne de mon jus de cerveau à la cause des femmes démunies parce que la pauvreté les touche encore plus durement que les hommes. Et puis, c’est cucul à dire, mais je crois à la loi du karma! Même si j’ai moi-même affronté mon lot de difficultés, je me considère extrêmement choyée, alors je redonne. »
Sophie Ducharme, vice-présidente, fiducie et service-conseil, Gestion privée 1859 et Banque Nationale Trust
« L’accueil inconditionnel réservé aux femmes du Chaînon me va droit au cœur. Dès qu’on entre dans la maison de la rue L’Esplanade, on est habitée par une sorte de sérénité. On se sent en sécurité, on mange du comfort food, il y en a pour tout le monde… Chaque visite me remplit d’énergie, c’est un vent d’air frais. »
Jocelyne Dallaire-Légaré, présidente de la maison funéraire Alfred Dallaire MEMORIA
« J’ai 60 ans, ce qui ne fait pas de moi une ancêtre! Et, pourtant, quand je suis née, les Québécoises avaient le droit de vote depuis 10 ans à peine. Lors de mes études en droit, les épouses étaient encore considérées comme des incapables sur le plan juridique. Je m’implique parce que malgré des avancées, les femmes ne sont pas encore sorties du bois. Y compris au Québec. Sont-elles vraiment libres? Jusqu’à quel point se conforment-elles à ce qu’on attend d’elles? Enfin, j’aide les femmes parce qu’au fond de nous, on sait toutes qu’on pourrait se retrouver au Chaînon un jour. Faut être lucide. »
Rafaële Germain, auteure
« J’aime le Chaînon parce que les employées et les bénévoles sont là pour aider le monde, de la façon la plus simple et la plus efficace possible, sans tambour ni trompette (il a presque fallu leur tordre le bras pour qu’elles assistent au gala, elles aident dans le désintérêt le plus complet). Je dis "efficace" parce qu’avec très peu de moyens, elles changent des vies, littéralement. »
Line Racette, associée, services-conseils, KPMG
« Le Chaînon a énormément besoin d’argent pour soutenir les 6000 femmes qui frappent à sa porte chaque année. J’en ai rencontré, des résidentes : ça pourrait être vous, ça pourrait être moi. Ça m’a bouleversée. Alors, je me démène pour organiser des campagnes de financement – tournoi de golf, défilé de mode, l’encan de ce soir… Avant cette année, il n’y en avait jamais eues! L’organisme survit seulement grâce à des dons. Mais, là, on passe à une autre vitesse : on ambitionne de mettre sur pied une fondation. »
Chloé Sainte-Marie, chanteuse et actrice, fondatrice de la Maison Gilles-Carle
« Je le dis haut et fort parce que si j’avais su, j’y serais allée pendant les 17 ans où j’ai soigné mon compagnon de vie, Gilles Carle : le Chaînon peut accueillir les aidantes naturelles qui sont épuisées par leur travail d’esclave. Un travail ni rémunéré ni reconnu. Le personnel du Chaînon, ce sont des missionnaires… Certaines donnent de leur temps, quasiment de leur sang, depuis 60 ans, sans rien demander en retour. Même pas une paye. Dans une société capitaliste, ça m’impressionne, ce don de soi. Moi aussi, je l’ai fait, mais c’était par amour pour Gilles. Ça m’a tout de même beaucoup apporté, d’abord en me faisant comprendre l’importance de l’autre, moi qui étais d’un égoïsme total. Or, on se forme ensemble et on se perd ensemble. Il n’y a pas de succès sans l’autre. »
Geneviève Croteau, directrice du développement des affaires, Shoot Studio
« Cette année, j’ai élaboré la campagne publicitaire Maillon à maillon. Le Chaînon, que vous avez pu voir à la télé, entre autres. Je n’en reviens pas d’avoir réussi à convaincre 50 de mes contacts d’y participer. Personne n’a été payé, c’était du bénévolat à 100 %! C’est gratifiant, oui, mais en même temps, c’est une grande expérience d’humilité. D’oubli de soi. On n’est pas là pour briller, on est dans le don. »
Marie-Christine Trottier, animatrice radio
« Il fallait vraiment du culot à Yvonne Maisonneuve pour implanter une institution comme le Chaînon, il y a 80 ans. À l’époque, les femmes n’avaient pas encore le droit de vote! J’admire son entêtement extraordinaire. Les femmes qui débarquent ici, elles sont "à boutte". Je souhaiterais qu’on intervienne avant. C’est ce que mon expérience de marraine m’a appris : il faut être attentive à ce qui se passe autour de soi. Être présente aux autres. »
Chantal Durivage, coprésidente du Groupe Sensation Mode
« Mon entreprise organise le Festival Mode et Design de Montréal. Cet été, on a tiré parti de l’événement pour présenter un défilé de mode, Love Vintage, au profit du Chaînon. Le concept était bien spécial : on a demandé au styliste Yso de créer les tenues à partir des vêtements qui sont donnés au Coffre aux trésors, la boutique d’articles d’occasion qui soutient financièrement le Chaînon. Ce sont les marraines de l’organisme qui jouaient les mannequins. Succès monstre : 20 000 personnes sont venues! Je suis contente parce que ça permet de faire connaître l’organisme à des jeunes – les hipsters sont friands d’articles vintage… Et puis, ça montre que la mode peut aussi avoir une belle profondeur. »
Marie-Josée Desmarais, éditrice et rédactrice en chef de Châtelaine
« Châtelaine s’est associé au Chaînon parce qu’on a eu un coup de foudre mutuel. Ça coulait de source. On partage la même mission depuis des décennies : soutenir la femme dans son désir d’indépendance, se consacrer à son bien-être. Et puis, j’admire infiniment la présidente, Marcèle Lamarche, entre autres pour sa générosité et sa force de persuasion. Quand je serai grande, je veux être comme elle! »
Sophie Cadieux, actrice
« J’ai passé une demi-journée au Chaînon cette année. Autour de la table, à midi, je ne pouvais distinguer les intervenantes des résidentes. Souvent, on a des préjugés par rapport à ce qu’une personne dans le besoin est censée avoir l’air… Ça m’a donné un choc : toutes sortes de femmes se retrouvent là, issues de toutes les strates de la société. »
Karine Léveillé, diplômée en psychoéducation, ex-résidente du Chaînon
« Je n’aurais jamais cru me retrouver un jour dans la rue. Jamais. Il y a 10 ans, j’avais une blonde, un poste d’éducatrice à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, un appartement, une voiture. J’ai eu une enfance normale, j’ai été une ado tranquille. Même que ma mère trouvait que je ne sortais pas assez! Mais une peine d’amour conjuguée à différents incidents m’ont fait basculer dans la dépression, en 2007.
Je buvais tout le temps et je fumais du pot. Je faisais de si grandes colères que je me suis aliénée tout le monde : ma famille, mes amis, mes collègues. J’ai perdu mon travail, ce que je regrette encore amèrement. Bref, c’était la déchéance, la perte totale de contrôle.
J’ai épuisé toutes les ressources pour les personnes en détresse avant d’aboutir au Chaînon. C’est un endroit magique! Le personnel m’a donné beaucoup d’amour à un moment où je me sentais comme une loque humaine. C’est fou comme ça fait du bien, recevoir des sourires, une écoute patiente et du respect quand on est détruite. Peu à peu, l’espoir est revenu. J’ai trouvé un travail dans un écoquartier, je me suis raccrochée à la société. Ça a donné un break à ma mère, qui ne m’a jamais abandonnée… En mon nom et en son nom, je veux dire merci au Chaînon. Je suis sur une lancée, ma vie recommence. »
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