Entrevues

Nathalie Bondil du Musée des beaux-arts

À la tête du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) depuis janvier 2007, Nathalie Bondil enfile les succès. Son prochain, assurément : l’exposition Imagine en hommage au bed-in de John Lennon et Yoko Ono à Montréal en 1969.

Pourquoi remettre à l’avant-plan, 40 ans plus tard, le fameux bed-in pour la paix ?
Tout d’abord pour souligner l’anniversaire de l’événement. Ensuite, on part de là pour drainer l’intérêt des gens sur ce qui s’est passé lors du bed-in, mais aussi sur tout le contexte historique et les valeurs peace and love véhiculées à cette époque. Et au cœur de tout ça, il y a bien sûr l’union de John et Yoko, un couple mythique. Le but est de rappeler leur message de paix et d’amour. [Yoko et John, nouvellement mariés, se sont servis de leur notoriété et de leur lit pour promouvoir la tranquillité d’esprit (peace of mind), et la paix dans le monde.]

D’ailleurs, j’ai rencontré Yoko Ono à New York pour lui proposer de participer à cette exposition. C’est une femme fidèle à elle-même, qui défend son message de paix avec obstination. Elle garde d’excellents souvenirs de Montréal, son côté rassembleur et pacifique, entre autres. L’exposition s’articule autour des mots apprendre, ressentir et agir. À la toute fin, les gens seront invités à faire un geste concret. C’est une œuvre collective, finalement.

On entend souvent dire que l’art et la culture peuvent sauver le monde, amener la paix…
La culture qui nous rassemble, l’art qui nous transcende nous aident à mieux comprendre notre monde, notre identité. Je ne sais pas si l’art et la culture peuvent sauver le monde – les religions, les tyrannies et les idéologies ont déjà montré qu’elles pouvaient aussi générer des cultures de masse réductrices et des arts de propagande.

Je ne crois pas en la mission messianique de l’art mais plutôt aux valeurs qui conduisent nos actions. Il est certain qu’un gouvernement sera plus efficace, à court terme, pour mener une politique de paix qu’un musée. Mais celui-ci peut quand même défendre ces valeurs sans lesquelles nos vies auraient moins de sens.

Qu’est-ce qui vous apaise ?
La solitude… La lecture, l’écriture, la musique, le cinéma, les voyages. La solitude permet de laisser aller en soi le libre flot de la réflexion, des émotions et de l’imagination.


 

Cliquez ici pour un aperçu de l’exposition Imagine en hommage au bed-in de John Lennon et Yoko Ono.

Vous dépoussiérez l’idée qu’on se fait d’un musée avec des expos populaires (Warhol Live, ¡ Cuba ! Art et histoire, Yves Saint Laurent). Qu’est-ce qui vous guide ?
Le contenu didactique est primordial. Et il faut que l’exposition propose quelque chose de nouveau. Mais ce ne sont pas là les seuls critères. Je considère toujours un projet selon son aspect novateur, son accessibilité et sa pertinence, c’est-à-dire le lien entre l’exposition et la société dans laquelle on vit.

Première femme nommée directrice du MBAM, vous êtes en outre, à 41 ans, la plus jeune personne à occuper ce poste. Qu’est-ce qu’on attend de vous ?
J’ai toujours eu une immense reconnaissance envers la génération de ma mère et celle des femmes qui ont revendiqué l’égalité avec les hommes. Sans leur lutte, je ne serais pas là. Cela dit, je suis conservatrice en chef du Musée des beaux-arts depuis 10 ans. [Elle l’est toujours, en plus d’être directrice du musée.] Je ne suis pas une nouvelle venue. J’imagine que j’ai été nommée parce qu’on était satisfait de mon travail. Être une femme, à ce poste, n’est ni un atout ni une difficulté.

D’origine française, vous avez posé vos bagages à Montréal il y a neuf ans, en pensant n’y être que de passage. Qu’est-ce qui vous a incitée à rester ici ?
En tout cas, sûrement pas l’hiver ! Mais la qualité des gens et celle des institutions. Aussi la liberté de création. J’aime l’engagement collectif qu’on trouve ici. Il y a une offre incroyable en musique, en cinéma, en littérature, dans les arts du cirque… C’est extrêmement gratifiant de travailler dans un milieu comme celui-là.

On vous décrit comme un bourreau de travail. Comment conciliez-vous carrière et famille ?
J’ai lu un dicton que j’ai trouvé marrant : « Choisissez un travail qui vous plaît et vous ne travaillerez pas un seul jour de votre vie. » Je me reconnais là-dedans. J’ai la chance d’avoir un mari plus disponible que moi. Il travaille de la maison et ses horaires sont flexibles. Il est donc présent pour notre fille Angèle, qui a 10 ans.

Que répondez-vous aux gens qui disent ne pas avoir le temps, les connaissances ou l’argent pour visiter un musée ?
On n’a pas besoin de connaissances pour visiter un musée, comme on n’a pas besoin de savoir lire une partition pour apprécier la musique. Pour ce qui est du temps, eh bien, on peut prendre 10 minutes pour faire le tour d’une salle, s’asseoir devant une œuvre et repartir. Il n’y a pas de code établi ni de marche à suivre. Enfin, beaucoup de gens ignorent que la collection permanente du MBAM est gratuite en tout temps.

Montréal dispose d’une trentaine de musées. Comment tirer son épingle du jeu quand l’offre est si diversifiée ?
Nous avons la chance d’être un grand musée. Mais c’est vrai que c’est un milieu compétitif… En fait, je ne vois pas ça comme de la compétition, mais plutôt comme de l’émulation. Je crois plus à l’entraide entre musées. On peut s’unir pour faire naître un projet intéressant. Par exemple, nous avons publié, en coédition avec le Musée d’art contem­porain, un catalogue sur l’artiste québécois Nicolas Baier.

Votre dernier coup de cœur artistique ?
Le prochain ! J’ai dévoré deux bouquins sur Séraphine de Senlis [qui fait aussi l’objet d’un film français, Séraphine, en salle ici l’hiver dernier]. Il s’agit de l’histoire fascinante d’une bonne, au début du XXe siècle, qui s’est mise à la peinture de façon spontanée. C’est une autodidacte qui a fait des natures mortes. Elle a été découverte par un marchand d’art. Après avoir sombré dans la folie, elle est morte internée. Personnellement, je ne suis pas amatrice d’art naïf, mais cette femme a connu un tel destin ! En même temps, son art parle d’une époque, d’une condition sociale qu’on voudrait mieux connaître.

 

Bio express
Depuis que Nathalie Bondil tient les rênes du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), l’établissement multiplie les records : 636 219 visiteurs ont franchi les tourniquets au cours de la saison 2007-2008, du jamais vu ; le musée a reçu l’équivalent de 23 millions de dollars en œuvres d’art, un exploit ; la collecte de fonds tenue par les bénévoles a aussi atteint un sommet avec un million de dollars de profits. Ces éclatantes victoires montent-elles à la tête de la jeune directrice ? Pas du tout. Humble, la Française d’origine – elle est née à Moustiers Sainte-Marie, en Provence – remet sans cesse son équipe à l’avant-plan. « Les décisions sont collégiales. Travailler seule, dans mon coin, très peu pour moi. » Le regard pétillant, Nathalie Bondil devient particulièrement volubile quand il est question d’art, quel qu’il soit. « Je suis d’abord une historienne de l’art, pas une administratrice. »

Diplômée de l’école du Louvre, à Paris, elle a été recrutée en 1999 par son ancien professeur, Guy Cogeval, pour occuper le poste de conservatrice en chef du MBAM. Elle lui succède à la direction, en janvier 2007, où elle chapeaute une équipe de 700 travailleurs (200 employés et 500 bénévoles). La tâche, colossale, pourrait faire peur à plusieurs. Pas à elle. « Je ne suis pas de nature à faire les choses à moitié, affirme-t-elle en souriant, alors quand je plonge dans quelque chose, j’y vais à fond. »

L’exposition Imagine se tiendra au Musée des beaux-arts de Montréal du 2 avril au 21 juin 2009. Entrée libre.

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