Entrevues

Oprah, l’impératrice

Après 25 ans à la barre du talk-show le plus influent de la télé américaine – et à la tête d’un conglomérat tentaculaire –, Oprah tirera bientôt sa révérence… pour revenir encore plus puissante.

Céline Dion lui a raconté en exclusivité sa fausse couche. Pour elle, Nelson Mandela a fait le voyage d’Afrique du Sud à Chicago et, sans elle, Barack Obama ne serait (peut-être) pas à la Maison-Blanche. Un jour, à son émission, elle a offert une voiture neuve à chacune des 276 personnes en studio…

Elle ? C’est Oprah, bien sûr. Un prénom étrange pour un personnage unique, une success story typiquement américaine mais diffusée partout dans le monde. Née dans l’extrême pauvreté, Oprah pèse aujourd’hui près de 2,5 milliards de dollars. Télé, radio, magazine, sites Web, édition, production de films, son empire ne cesse de grandir. Tout récemment, elle a inauguré des boutiques Oprah, où ses fans peuvent acheter des objets qu’elle chérit et même des vêtements qu’elle a portés.

Depuis un quart de siècle, The Oprah Winfrey Show, son émission quotidienne d’après-midi, trône au sommet des cotes d’écoute. Au menu : un fascinant méli-mélo d’entrevues amicales avec des vedettes, de thérapie de groupe autour du sujet du jour, de rencontres de gens qui font l’actualité, de conseils pratiques donnés par des spécialistes.

Sa popularité est immense et son aura, planétaire. En juin dernier, le magazine Forbes l’a, une fois encore, mise au premier rang des célébrités les plus puissantes au monde. Selon un sondage Gallup, elle occupait en décembre 2009 la troisième place du palmarès des femmes les plus admirées aux États-Unis, derrière Hillary Clinton et l’ex-candidate républicaine Sarah Palin.

Tout ce qu’Oprah touche – ou plutôt, ce qu’elle aime – se transforme en or. On parle de « l’effet Oprah » ou du « facteur Oprah », qui peut prendre des formes diverses.

Premier exemple. En 1996, pendant une émission traitant des « aliments dangereux », le segment sur la maladie de la vache folle, qui terrorisait alors l’Europe, s’est terminé sur une Oprah dégoûtée qui a déclaré : « Je n’ai plus envie de manger de hamburgers ! » Le lendemain, le prix du bœuf baissait de 10 % à la Bourse de Chicago. Les producteurs de bovins du Texas intentèrent à l’animatrice un procès de 12 millions de dollars qu’elle a gagné, au nom de la liberté d’expression.

Deuxième exemple. La même année, Oprah a lancé son club littéraire. Chaque mois, elle invitait son auditoire à lire un ouvrage qu’elle avait aimé, sortant de l’ombre des auteurs inconnus, mais choisissant aussi parfois un classique de la littérature mondiale. Ainsi, dans les semaines qui ont suivi la mise au programme d’Anna Karénine, de Tolstoï, un million d’exemplaires se sont envolés… contrairement aux 2 000 vendus habituellement dans une année. Barack Obama a aussi bénéficié de « l’effet Oprah ». Deux économistes de l’Université du Maryland ont estimé à plus d’un million le nombre de votes que l’appui public de l’animatrice a apporté au candidat pendant la course à la présidence. Le système électoral américain étant très complexe, impossible de savoir si ces voix supplémentaires ont pesé dans la balance. Ce qui est sûr, c’est que le coup de pouce d’Oprah n’a pas fait de tort à Obama…

Une telle influence implique des responsabilités. L’an dernier, Oprah ornait la couverture du magazine Newsweek, couronnée d’un titre peu flatteur : « Crazy Talk : Oprah, Wacky Cures & You » (Propos fous : Oprah, cures idiotes et vous). L’article décriait ses émissions consacrées aux médecines douces et à leurs porte-parole, dont l’ex-playmate Jenny McCarthy, qui a déclaré la guerre aux vaccins, qu’elle tient responsables de l’autisme de son fils, et Suzanne Somers – connue pour son rôle de dumb blonde dans la comédie télévisée des années 1970 Three’s Company –, qui s’est recyclée en « experte » en traitement homéopathique de la ménopause.



 

Une bio qui dérange

Admirée, vénérée et crainte, tant son pouvoir est étendu, Oprah est devenue quasi intouchable.

C’est pourquoi la parution, au printemps dernier, de la première vraie biographie (non autorisée) d’Oprah Winfrey a créé l’événement. « L’énergie et la détermination qu’Oprah a déployées pour atteindre son but – devenir riche et célèbre – n’ont pas d’équivalent chez les sujets de mes livres précédents, qu’il s’agisse d’Elizabeth Taylor, de Frank Sinatra ou de Jackie Kennedy Onassis », affirme l’auteure. Pour rédiger les 525 pages d’Oprah : A Biography, Kitty Kelley a interviewé 850 personnes, dont la famille de l’animatrice (mais pas Oprah, qui a refusé de rencontrer la biographe) et recensé les 2 732 entrevues qu’a données Oprah depuis ses débuts.

Dénigré par la majorité des critiques américains, qui considèrent Kitty Kelley comme « une fouilleuse de m… professionnelle », le livre possède néanmoins un atout de taille : c’est à ce jour, en attendant l’autobiographie d’Oprah, le meilleur résumé d’une ascension incroyable mais vraie, selon le L.A. Times et le Washington Post.

Les fans purs et durs d’Oprah – qui ne liront jamais ce « torchon », jurent-ils sur tous les réseaux sociaux – n’apprendraient rien qu’ils ne sachent déjà (ou qu’ils n’aient envie de savoir). Leur idole a élevé la confession publique au rang d’un art. Non seulement les grandes stars qui ont fauté viennent à son émission demander pardon à l’Amérique, mais elle-même a révélé la plupart des traumatismes de son passé tumul­tueux : elle a été victime d’attouchements dès l’âge de 4 ans, violée à 9 ans par un cousin et agressée sexuellement par un oncle jusqu’à 14 ans.

Son combat contre l’obésité est devenu un sujet d’intérêt national. Depuis 25 ans, son poids varie continuellement : de 237 livres, il a chuté à 154, est remonté pour redescendre, et l’effet yoyo se poursuit. Oprah partage avec son public les hauts et les bas de ses régimes, porte fièrement un jean de taille 10 à la télé dans le but de montrer le résultat de sa dernière diète, se traite de « grosse vache » quand elle fait sauter le pèse-personne. La milliardaire qui se déplace en jet privé d’une résidence à l’autre – elle en a six, peut-être même huit, dont la principale, en Californie, a coûté 50 millions de dollars – sait bien que c’est tout ce qui lui reste de commun avec son auditoire, composé en grande partie d’Américaines de la classe moyenne. Et si la plupart d’entre elles ont le même problème, l’obésité, c’est sans le chef culinaire et l’entraîneur à temps plein payés pour tenter d’y remédier.

Malgré ses amitiés avec les stars et les puissants de ce monde, le cercle intime d’Oprah est restreint et très stable. Depuis 1986, elle partage sa vie avec Stedman Graham, un homme d’affaires de Chicago. On la voit beaucoup plus souvent avec sa « meil­leure amie », Gayle King, qui dirige O et en mène large chez Harpo, maison de production multimédia fondée par Oprah.



 

L’irrésistible ascension

Savoir d’où elle vient, voir où elle s’est rendue donnent le vertige. Oprah a décrit en détail la pauvreté abjecte de son enfance à Kosciusko, un bled du Mississippi ségrégationniste. Vêtue de robes faites de sacs de pommes de terre, la fillette n’a rien, ni jouets ni amis, sauf deux coquerelles, qu’elle baptisera Melinda et Sandy. Son rêve ? Devenir blanche, car ce sont les Blancs qui ont tout. Mais à 10 ans, quand elle voit Diana Ross et les Supremes au Ed Sullivan Show, Oprah découvre avec stupeur que sa couleur n’est pas un frein à la réussite sociale. Elle décide, non, elle sait, qu’un jour elle sera aussi riche, célèbre et glamour que les inter­prètes de Stop ! In the Name of Love.

À 15 ans, elle donne naissance à un garçon qui meurt peu après. Elle n’aura pas d’autres enfants. « Je n’ai pas la fibre maternelle », a-t-elle souvent répété. Elle n’a pas non plus la fibre familiale. Oprah a l’impression que ses proches la voient comme un guichet automatique. Elle n’a pas tort : c’est sa demi-sœur qui a vendu à un tabloïd l’histoire de sa maternité. Elle garde ses distances avec eux. Vernita Lee, sa mère, n’a pas son numéro de téléphone privé.

Adolescente, Oprah gagne des concours d’art oratoire et même un concours de beauté (Miss Black Tennessee). Ensuite, c’est l’ascension, rapide. La diplômée en communication de l’Université du Tennessee devient journaliste à la première station de radio noire de Nashville, puis lectrice de nouvelles à la télé, avant de partir pour Chicago. En 1984, à 30 ans, elle prend la barre de A.M. Chicago, un talk-show local d’avant-midi. C’est la révélation. Son naturel désarmant, son empathie, sa curiosité font merveille. Les cotes d’écoute explosent. L’année suivante, le titre change et devient The Oprah Winfrey Show. L’émission est bientôt distribuée partout aux États-Unis. Le pays tout entier fait sa connaissance. Sur son plateau défilent actrices pornos, femmes amoureuses de pédophiles, transsexuels. Aucun sujet n’est tabou, et Oprah pose les questions que tous aimeraient poser.

En 1995, la formule s’essouffle, d’autres vont plus loin qu’elle dans la trash tv et mettent en péril son titre de reine de la télé. Elle décide de prendre une autre route, celle du développement personnel. Oprah veut maintenant aider ses spectateurs à trouver l’amour, la santé, la sécurité financière. Son slogan : « Live your best life » (Vivez le meilleur de votre vie). Elle sympathise avec ses invités, pleure avec les victimes de violence sexuelle, applaudit ceux qui surmontent leur handicap. En lançant en 2000 son propre magazine, simplement baptisé O, puis en se faisant entendre chaque semaine à la radio, Oprah atteint un sommet de popularité inégalé tous azimuts. Pour des millions de personnes, elle devient un gourou, un guide, un phare, certains parlent même d’une nouvelle religion. Ce n’est plus une femme, c’est un phénomène.



 

Encore des projets

À la surprise générale, Oprah a annoncé en novembre dernier la fin de son talk-show, prévue pour septembre 2011. « J’ai consacré ma vie à cette émission et je l’aime. Mais je sais quand il faut arrêter. » Sans compter que les cotes d’écoute ne sont plus ce qu’elles étaient, passant de 11 millions de téléspectateurs en 1996, à « seulement » 4 millions. Les réseaux traditionnels ont du plomb dans l’aile. La puissante femme d’affaires l’a compris et, dès l’hiver prochain, mettra en ondes sa propre chaîne câblée, Oprah Winfrey Network (OWN). Elle y animera une émission hebdomadaire. Elle a par ailleurs lancé il y a quelques semaines un grand concours, ouvert à tous ceux qui rêvent d’y avoir leur émission. Les meilleurs candidats devront faire leurs preuves dans une téléréalité diffusée sur OWN, produite par la même équipe que Survivor.

Oprah a déclaré que, le jour (lointain) où elle prendra sa retraite, elle ira vivre avec « ses filles », les 152 élèves noires de la Leadership Academy for Girls, un établissement qu’elle a ouvert en janvier 2007 à Johannesburg, en Afrique du Sud. L’école, fastueuse, équipée de foyers et de literie fine, lui a coûté 40 millions de dollars, une facture salée qui a fait sourciller dans ce pays où plus de la moitié des gens vivent avec moins de 100 dollars par mois. Comme d’habitude, Oprah a balayé les critiques du revers de la main, en disant : « Je veux le meilleur pour mes filles. » Et pour elle aussi.

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