Entrevues

Régine Laurent

Infirmière de carrière, militante syndicale, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Comment expliquer la crise?
Il faut regarder derrière l’écran de fumée pour comprendre. Pour moi, la frustration de la population découle de l’idéologie de la « juste part », expression martelée sans relâche par le gouvernement Charest depuis le dépôt du dernier budget provincial, en mars [le ministre des Finances publiques Raymond Bachand avait alors utilisé cette formule pour expliquer que les contribuables devront maintenant accepter de payer de leur poche une partie des frais liés aux services publics dont ils bénéficient, en plus de contribuer par le biais de leurs impôts]. Comme si les Québécois ne la faisaient déjà pas assez, leur juste part, en se levant chaque matin pour gagner leur vie!

Déjà, le gouvernement a réussi à faire passer une taxe de 200 $ par citoyen pour soutenir son Fonds de financement de la santé. Idem du côté d’Hydro-Québec, qui a annoncé d’importantes augmentations des tarifs d’électricité dès 2014 [il est question d’une hausse de 3,7% par année jusqu’en 2018]. Québec a voulu faire la même chose en éducation, en refilant la facture aux étudiants, mais ces derniers ont eu le cran de dire non. Ils ont été les plus courageux des mécontents. Ils ont ouvert la voie à tous ceux qui en ont assez de ce régime.

Que vous inspirent ces événements?
Je suis très fière des étudiants. La FIQ, qui représente 60 000 professionnels en soins au Québec, se range de leur côté. Je suis fière de leur solidarité, de leur imagination, de leur cohérence. Ils ne font pas que de beaux discours : ils agissent. Ils ont des arguments. Aussi, je me réjouis que notre système d’éducation forme des têtes aussi bien faites. Les jeunes sont éloquents, leur pensée est structurée. Ça me frappe chaque fois que des manifestants sont interviewés dans les médias. Alors je les comprends de dire au gouvernement : « Permettez donc à un plus grand nombre de jouir de ce système! » Autre objet de fierté : l’éveil actuel de la population québécoise. À travers le mouvement des casseroles, on a vu de quoi on était capables dans nos quartiers.

Par ailleurs, l’attitude du gouvernement me rend perplexe. Comment expliquer qu’un politicien aussi expérimenté et aguerri que Jean Charest n’ait rien vu venir de la crise ? Les associations étudiantes répétaient depuis un an que la hausse des droits de scolarité à l’université ne passerait pas. Cette crise était-elle souhaitée, orchestrée, alimentée? Je l’ignore. Mais toutes les questions sont bonnes.

Chose certaine, Jean Charest et ses ministres n’ont pas pris les étudiants au sérieux. Il s’est écoulé 10 semaines avant qu’ils acceptent de leur parler ! Pendant ce temps, la situation s’envenimait.  Le gouvernement a manqué à sa responsabilité de mener un dialogue, de négocier dans le vrai sens du terme. Plutôt que de faire preuve d’écoute et d’humilité, il a préféré adopter l’effarante loi 78. « Vous n’êtes pas d’accord avec nos décisions, tant pis pour vous !  » Ça fait 20 ans que les gouvernements successifs ont cette même attitude méprisante vis-à-vis des syndicats, écrasant leurs mobilisations à coup de lois spéciales. Un exemple : la loi 72, en 1999, adoptée par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard pour forcer le retour au travail des infirmières en grève.

Heureusement, les étudiants ne se sont pas laissé impressionner.  Ils se sont tenus debout avec solidarité, faisant mentir ceux qui les accusaient de former une génération nombriliste, individualiste, peu politisée.

Que souhaitez-vous pour la suite des choses?
Des élections sans pancartes, pour une fois ! C’est-à-dire : des élections qui iraient au-delà du marketing et de la gestion de l’image pour s’attaquer aux grands enjeux pour le Québec. Je rêve de voir les députés dans la rue, en train de discuter sérieusement avec la population. Il faut parler de la gestion de nos ressources naturelles, de santé, d’éducation, des accords internationaux, tel l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union Européenne. Le gouvernement a désigné un non-élu, Pierre Marc Johnson, afin de nous représenter à la table. Hélas! on a peu de comptes rendus des négociations qui s’y trament. Pourtant, cet accord pourrait avoir de lourdes conséquences. En santé, par exemple, il pourrait mener à une plus importante privatisation des services au Québec. Je désire qu’on débatte cela publiquement.

Par ailleurs, je plaide pour des états généraux sur l’éducation. Est-ce si compliqué de s’arrêter pour faire le débat global? Il faut voir si les programmes universitaires répondent aux besoins pour l’avenir, s’ils sont financés adéquatement. Je pense, par exemple, aux subventions que les entreprises privées accordent aux universités. Pas un sou de cet argent ne peut être investi dans l’enseignement : il va en recherche et développement, point à la ligne. Est-ce vraiment ce qu’on souhaite? Aussi, est-ce une bonne décision de la part des universités d’investir dans la construction de campus satellites, comme celui de l’Université de Montréal à Laval, plutôt que d’embaucher des professeurs [le Québec compte 18 campus satellites pour 17 campus principaux]? Prenons donc le temps de répondre à ces questions.

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