Société

Intersexualité : Sylvain Tremblay, l’artiste militant

Rarement a-t-on vu un artiste à ce point interpellé par un sujet. Son exposition No Gender, présentée à Pékin – et maintenant au Québec –, met en scène des personnes intersexes rencontrées aux quatre coins de la planète.

Intersexualite-Sylvain-Tremblay-oeuvre

Oeuvre de Sylvain Tremblay. Il s’agit du portrait de Kathie Berthiaume. Elle a dit: « Sylvain a jasé un peu avec moi, puis s’est assis avec son bloc-notes. Quand il m’a montré son esquisse, j’ai vu ma vie défiler. Il ne s’était pas trompé. »

Le jour où le peintre Sylvain Tremblay s’est retrouvé avec un bébé « hermaphrodite » dans les bras, sa vie a basculé. C’était il y a 16 ans, dans un orphelinat au Vietnam, alors qu’il accompagnait un ami travaillant pour un organisme d’adoption. Autour de lui, les médecins discutaient de l’avenir du poupon. Qu’allaient-ils en faire, une fille ou un garçon ? « Toutes sortes de questions ont assailli mon esprit : Sur quels critères se basait-on pour déterminer le genre du nouveau-né ? Pourquoi ne pas le laisser tel que la nature en avait décidé ? Et si on se trompait sur le choix du sexe ? » Il n’a plus cessé d’y penser.

Le projet No Gender était né.

Pour voir les oeuvres de Sylvain Tremblay, consultez notre galerie d’images. 

De retour à Montréal, seul dans son atelier de la rue Saint-Denis, Sylvain s’est replongé au cœur de son ressenti. Et le personnage qui l’envahissait a pris forme sur la toile. « Je peignais de façon instinctive. J’ai voulu faire les tableaux suivants à partir de vraies rencontres. Parce que j’étais hanté par le sort de cet enfant et de tous ceux qui sont passés sous le bistouri. Je voulais les laisser s’exprimer à travers mon art. »

L’exposition No Gender se déploie en une installation de 12 tableaux, un dôme (écran sphérique sur lequel sont projetées des images) et une vidéo d’art qui illustre la démarche de l’artiste. « C’est la preuve que je n’ai rien inventé, que je peins le monde tel qu’il est. »

Au fil du temps, une vingtaine de collaborateurs bénévoles se sont joints à Sylvain, dont un « agent de liaison » intersexe qui a noué les premiers contacts avec des personnes intersexes découvertes sur Internet. « Il leur expliquait les motifs de notre projet. Si elles acceptaient, j’établissais à mon tour une complicité. » Et des voyages se sont organisés au Maroc, en France (Bretagne), à Taïwan, en Afrique du Sud… En tout, six participants de cinq pays différents se sont livrés à lui.

Pour lever le tabou de leur condition, Sylvain a demandé à quelques-uns d’entre eux de se montrer nus à la caméra. Comme des modèles vivants. « Pour eux, c’était une forme de coming out. Ils l’ont fait pour dire qu’ils existent. Qu’il est temps de s’accepter avec sa différence. »

Tout en images et en musique, la vidéo de No Gender ne contient aucune parole, hormis « No more ! », lancé par l’un des modèles. « Il a dit : “J’étais trop jeune, j’ai pas pu dire non parce que je parlais même pas.” Puis il a crié de toutes ses forces : “No more !” » Plus jamais d’intervention chirurgicale sur des enfants intersexes.

Les portraits de Sylvain Tremblay sont durs, intenses, crus. Il y a de la nudité et du sang. Mais c’est terriblement beau aussi. « Le but est de faire réfléchir et de célébrer la diversité. Si le visiteur en ressort en sifflotant, j’aurai manqué mon coup. »

No Gender s’arrêtera au Today Art Museum, à Pékin, avant de faire escale dans différents pays, en passant par le Québec. Tous les textes de Châtelaine sur l’intersexualité ont été réunis dans le livret qui accompagne l’exposition. L’argent amassé ira à la création d’une Fondation pour les personnes intersexes.

L’exposition No Gender est présentée à la galerie Never Appart, du 23 janvier au 9 avril 2016.

Pour plus d’informations: http://www.neverapart.com/exhibitions/no-gender/

* * *

Note : J’ai rencontré Sylvain Tremblay il y a plus d’un an, au cours d’un souper. C’était la première fois que j’entendais parler d’intersexualité. Quelques jours plus tard, il m’invitait à visiter son atelier. Ses toiles m’ont prise aux tripes : des silhouettes prisonnières de leur corps, meurtries par les opérations et les préjugés. À mon tour, je suis partie à leur rencontre. Sylvain m’a ouvert des portes, j’en ai défoncé d’autres. Je le remercie, car c’est en partie grâce à lui si ce dossier a vu le jour. [Mylène Tremblay]

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