Kankou Mansaré a fui la Guinée, toute seule avec ses cinq enfants. Elle est arrivée au Canada en 2007. Et tente depuis ce temps d’obtenir le droit d’y rester. Quatre fois, au printemps dernier, le gouvernement a voulu l’expulser. Chaque fois, elle est partie pour l’aéroport et a été sauvée in extremis par un sursis. Un jour de l’été dernier, je lui ai téléphoné. Je voulais la connaître. Elle m’avait gentiment reçue avec ses filles. Ça avait donné une chronique dans notre numéro de juillet.
Son droit de résidence, elle vient de l’obtenir. Et le pays, je crois bien, n’y perdra rien au change.
Une heure chez Kankou (Chronique Lâchée lousse, juillet 2012)
Elle s’appelle Kankou Keita Mansaré. Arrivée au Québec il y a cinq ans avec ses cinq enfants, elle est apparue sur nos écrans quand le Canada a tenté de l’expulser quatre fois, au printemps dernier. J’ai voulu savoir qui elle était. Et comment elle allait.
J’ai frappé à sa porte le jour où elle retournait travailler. Après un congé forcé de deux mois, provoqué par un avis du ministère de l’Immigration : on l’expulsait. Avec ses cinq enfants. Congé ? Des mois à ne pas dormir, à multiplier les démarches, à faire et défaire des valises, à s’inquiéter.
Tout le Québec a suivi, en mars et avril derniers, l’histoire rocambolesque de cette mère de famille. Une histoire causée, entre autres, par un imbroglio administratif de documents envoyés et jamais reçus.
Quatre fois en quelques semaines, Kankou est presque partie. Quatre fois, un revirement de dernière minute a changé la donne. La troisième fois, elle était déjà à bord de l’avion, escortée par des agents des services frontaliers. Toute seule, obligée de laisser ses enfants ici. Le commandant de bord s’est approchée d’elle : « Voulez-vous partir, madame ? » « Pas sans mes enfants », a répondu Kankou. Sous l’ordre du commandant, les agents ont dû la faire débarquer. « Grâce à Dieu… »
La dernière fois, elle était à s’habiller pour partir à l’aéroport, quand le ministre a téléphoné. Il accordait un sursis ! Pour les Mansaré, ce coup de fil signifie une année ou deux de grâce. Et la chance, peut-être, d’être acceptés comme résidents permanents.
Kankou a 45 ans. Elle est arrivée ici en 2007. Seule avec ses cinq enfants, dont l’âge s’échelonnait entre 3 et 15 ans. Pourquoi partir de Guinée ? La vie y était trop difficile, m’a-t-elle répondu sans trop développer. Je n’ai pas insisté ; pas de mes affaires. Ce qu’elle m’a dit, c’est qu’elle était mariée. Que pour gagner leur vie, elle et son époux achetaient du pain qu’ils revendaient à un étal près de leur maison. Et qu’un jour, le mari les a abandonnés.
Je ne sais rien des raisons et des circonstances précises de cet exode. Mais il me semble qu’on ne part pas, toute seule avec cinq enfants sous le bras, à l’autre bout du monde, dans un pays inconnu (aussi bien dire pour la planète Mars) pour des vétilles.
Après ces deux mois de fou, Kankou retourne au boulot. « Les Québécois sont gentils. Beaucoup de gens nous ont aidés. Mais je veux gagner ma vie et celle de mes enfants. » Elle a suivi un cours pour devenir préposée aux bénéficiaires. Et a renoncé quand les avis d’expulsion sont arrivés. « J’étais trop stressée pour pouvoir m’occuper comme il faut de gens âgés », dit-elle. Depuis, elle emballe des disques compacts de 15 h à 23 h dans une entreprise du nord de Montréal. Quand elle rentre, passé minuit, les enfants sont couchés. Seule Néné, qui s’occupe des petits quand sa mère est au travail, l’attend.
Kankou parle de l’émerveillement vécu à leur arrivée. De l’électricité et de l’eau courante. Des rues sécuritaires. Des bonnes écoles. Le paradis... Son aîné, Ousmane, 20 ans, rêve de devenir ingénieur. Néné, 18 ans, voudrait travailler en garderie, Zenab qui a 17 ans, parle de faire sa médecine. Et Kankou ? Elle voudrait bien se marier avec un Québécois.
Elle a même un soupirant qui l’a déjà demandée en mariage. Gentil ? Elle ne sait pas. Assise sur son divan élimé, magnifique dans son boubou bleu, Kankou rit. « Je ne le connais pas. Il m’a contactée par les médias, pour me proposer de l’épouser. On se parle au téléphone et on doit se rencontrer bientôt… » Mais elle n’est pas pressée.
Dura lex, sed lex, disaient les Romains. La loi est dure, mais c’est la loi. Je ne suis pas juriste. Pas anarchiste non plus. Je comprends qu’un pays comme le Canada ne peut ouvrir toutes grandes ses portes à tout le monde. Mais je comprends mal qu’un pays comme le Canada puisse imposer à quelqu’un le traitement qu’on a fait subir à Kankou et à ses enfants. Je crois même que ça me fait honte.
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