Très souvent, je songe à aller offrir mes services au patron du café en face du bureau. « Du chocolat ou de la cannelle sur votre cappuccino ? » que je demanderais 130 fois dans la journée. Après la fermeture, je rentrerais chez moi le cœur léger, les pieds en compote. Le bonheur.
Ce n’est qu’un rêêêve, comme chantait Céline. J’ai les mains pleines de pouces et personne ne m’embauchera jamais comme barista.
Ce fantasme ressurgit chaque fois que je m’assois devant mon ordinateur, le deadline sur la tempe, l’estomac en boule et le stress dans le plafond. J’ai beau gagner ma croûte avec mon clavier depuis plus de deux décennies, je suis à tous les coups convaincue que, cette fois, je n’y parviendrai pas, que ce texte-ci va avoir ma peau. Même si, jusqu’à présent, j’ai toujours fini par y arriver (quoique, pour cette chronique-ci, je ne garantisse rien…).
Deux décennies à avoir mal au ventre m’ont appris qu’on est toujours plus capable qu’on ne le pense. On dirait une évidence de psycho-pop. Sauf quand c’est Carol Dweck, psychologue à l’Université Stanford, qui l’affirme, après des années passées à étudier le sujet. Sa conclusion : la manière d’évaluer ses propres capacités influence les choses qu’on réalise et la vie qu’on mène.
Il y a deux façons de voir ça. Certaines personnes, dit-elle, croient qu’on naît avec la bosse des maths ou le pied marin, bonne nageuse ou cuisinière pourrie. Que c’est ça qui est ça. Que l’intelligence, la personnalité, les capacités sont des données fixes. C’est ce qu’elle appelle une posture mentale figée (fixed mindset).
Quand on est bâtie comme ça, l’échec ne peut pas signifier qu’on a mal compris la question ou qu’on manque de pratique. Ce n’est pas une évaluation de ce qu’on a fait, mais un jugement sur ce qu’on est : une ratée, une pas bonne. « Une posture mentale figée oblige à se rassurer constamment sur sa propre valeur, dit Carole Dweck, dans Mindset: The New Psychology of Success (Changer d’état d’esprit – Une nouvelle psychologie de la réussite). Elle condamne au succès, sous peine de chute mortelle de l’estime de soi. Alors on évite les défis et on recule devant les difficultés. Trop dangereux.
Cette mentalité est une entrave vissée à l’imagination, et pas la meilleure façon d’apprendre ou d’avancer. Pourtant, on la distille partout : à l’école, qui sanctionne les performances ; dans les sports, où tout va aux meilleurs ; dans la culture populaire, qui glorifie les stars et oublie tous les autres.
Il y a moyen de penser autrement. C’est la posture de la constante possibilité de progrès (growth mindset), qui apporte la certitude que rien n’est joué d’avance. Qu’on peut apprendre, s’améliorer, repousser ses limites.
« Bien sûr, tout le monde ne peut pas devenir Einstein ou Beethoven, dit la psychologue. Mais personne ne peut prédire jusqu’où l’effort et la motivation pourraient mener. »
Selon cette philosophie, pocher un examen ou ne pas décrocher l’emploi convoité ne signifie pas qu’on a échoué. Simplement qu’on n’a pas encore réussi. Méchante nuance.
« Si vous annoncez à un enfant qu’il a raté son examen ou coulé sa première année, vous le démolissez, poursuit Carole Dweck. Alors que lui dire qu’il n’a pas encore réussi ouvre la porte à l’espoir, à l’effort, à la réussite prochaine. » Elle appelle ça le pouvoir du « pas encore ».
Ça change tout. C’est la différence entre être obligée de prouver qu’on est bonne et se donner la possibilité de devenir meilleure encore.
Comment on fait ça ? En apprenant l’existence de ces deux postures mentales, d’abord. En comprenant qu’elles reflètent une croyance, pas la réalité. Puis en écoutant attentivement son monologue intérieur. Celui qui juge sans cesse les résultats qu’on atteint, qu’il s’agisse d’une omelette ratée ou d’un client qu’on a convaincu. Qu’on a réussi, qu’on est géniale et qu’on le mérite bien. Ou qu’on s’est plantée parce qu’on est stupide. Les deux jugements sont faux. L’intelligence ou le talent ne dispensent pas de l’effort. Et l’effort, bien planifié, peut mener à des résultats qu’on n’aurait jamais crus possibles.
La preuve : je l’ai faite, finalement, cette chronique.
La prochaine ? Pas encore.