Banlieue de Dacca, capitale du Bengladesh, le 24 avril 2013. Le Rana Plaza, une manufacture de vêtements destinés aux boutiques occidentales, s’effondre. Dans l’immeuble de huit étages, où s’échinaient plus de 3000 employés, des femmes en majorité, plus de 1100 personnes trouveront la mort. La catastrophe a secoué le monde entier. Non seulement l’édifice ne répondait pas aux normes – déjà peu élevées – de ce pays asiatique, mais les conditions de travail des employés étaient déplorables, inhumaines. Des multinationales s’engagèrent à mieux encadrer leurs activités dans le tiers-monde, les gouvernements promirent des changements, et tout le monde passa à autre chose.
Festival de Cannes, 22 mai 2015. Sur le tapis rouge, une vedette de cinéma, l’acteur anglais oscarisé Colin Firth, célèbre depuis son rôle de Mark Darcy dans la série Bridget Jones. À son bras, Livia Firth, son épouse. Ils sont venus présenter un documentaire qu’elle a produit : The True Cost. Deux ans de tournage dans 13 pays, des manufactures indiennes insalubres aux boutiques chics de Manhattan. Pour un résultat accablant, bouleversant et choquant : les vêtements bon marché ont un prix humain très, trop, élevé. Et ça ne peut plus continuer.
En entrevue sur le site officiel de The True Cost, Livia Firth raconte la genèse de ce projet. Activiste du développement durable, elle a fondé Eco-Age il y a plusieurs années pour aider les entreprises à être plus éco-responsables. Un séjour à visiter les usines à vêtements du Bengladesh en 2009, donc quatre ans avant le drame du Rana Plaza, lui a donné un choc, «comme si j’avais reçu un seau d’eau glacée. Après, je ne pouvais plus faire semblant que cette réalité n’existait pas.» Une réalité qu’on ne peut pas imaginer quand, dit-elle, on succombe à la «fast fashion», le «prêt-à-jeter». «Dans les vingt dernières années, on a vu se développer un nouveau phénomène appelé «fast fashion». Avec comme résultat que, nous, les consommateurs, sommes pris dans un engrenage absurde de micro-tendances. Pensez-y. Environ deux mini-saisons par semaine en magasins. Des fringues bon marché qui restent dans le garde-robe d’une femme cinq semaines en moyenne, avant d’être jetés, et tout cela au nom de la démocratisation de la mode.»
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : des milliards de t-shirts, pantalons, jupes et blouses sont fabriqués chaque année par 40 millions de personnes travaillant dans 250 000 usines. Une industrie tentaculaire, gigantesque et si puissante qu’elle dicte ses propres lois, en plus d’être la deuxième activité humaine la plus polluante (après le pétrole). Entre autres, parce qu’une grande partie des vêtements payés quelques dollars finissent leurs jours au dépotoir.
Et derrière les chiffres, une mer de visages anonymes. Sauf celui de Shima Akhter, au centre du documentaire. Née dans un village du Bengladesh, arrivée à 12 ans à Dacca pour travailler dans une usine comme celle qui s’est effondrée en 2013, mère d’une fillette, Shima a décidé que cette situation, la sienne et celle de millions d’autres, était intenable. «Les vêtements que nous confectionnons sont faits avec notre sang», dira-t-elle.
Que faire? Visionner The True Cost (disponible au coût de 10 $ sur le site du film) est un bon début. Acheter moins, acheter mieux, porter les vêtements le plus longtemps possible, recycler au maximum, encourager les entreprises éco-responsables, bref utiliser son pouvoir d’achat pour sortir du cycle du prêt-à-jeter. Sommes-nous prêts à agir?
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Journaliste depuis plus de trente ans, Jean-Yves Girard a écrit pour diverses publications (Le Devoir, Elle Québec, L’actualité), et collabore à Châtelaine depuis 2002. Il a signé une centaine de portraits de personnalités en couverture du magazine, de Julie Snyder à Louis-José Houde en passant par Juliette Binoche. Il a aussi réalisé de grands reportages, dont un sur Vision Mondiale au Nicaragua pour lequel il a reçu la médaille d’or dans la catégorie Journalisme d’enquête aux Prix du magazine canadien. De plus, il est l’auteur de biographies, notamment celles de France Castel et de Michel Courtemanche.
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